Prétextant des cas d’euthanasie au Pays-Bas, un professeur d’éthique de la santé à l’Université théologique protestante de Groningue, s’inquiète de l’évolution de la loi dans son pays et met en garde les Français, dans une tribune au « Monde ».
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Theo Boer : J’ai soutenu la légalisation de l’euthanasie aux Pays-Bas en 2002. J’étais convaincu que les Néerlandais avaient trouvé le bon équilibre entre la compassion, le respect de la vie humaine et la garantie des libertés individuelles. Cependant nous avons assisté à une augmentation spectaculaire du nombre d’euthanasies, qui sont passées de 2 000 en 2002 à 7 800 en 2021, avec une augmentation continue en 2022. Dans certains endroits des Pays-Bas, jusqu’à 15 % des décès résultent d’une mort administrée. La pratique s’est étendue aux personnes souffrant de maladies chroniques, aux personnes handicapées, à celles souffrant de problèmes psychiatriques, aux adultes non autonomes ayant formulé des directives anticipées ainsi qu’aux jeunes enfants. Actuellement, nous discutons d’une extension aux personnes âgées sans pathologie. Cette pente glissante se pare des atours de la justice, de sorte que les prochaines étapes sont facilement prévisibles. Pourquoi seulement une mort assistée pour les personnes souffrant d’une maladie, et pas pour celles qui souffrent du manque de sens, de marginalisation, de la solitude, de la vie elle-même ? Ce qui est perçu comme une occasion bienvenue par ceux qui sont attachés à leur autodétermination devient rapidement une incitation au désespoir pour les autres. les gens sont confrontés à l’un des choix les plus déshumanisants qui soient : est-ce que je veux continuer à vivre ou est-ce que je veux mettre fin à mes jours ?
Le point de vue des malthusiens
La seule certitude de la vie sociale en démocratie, c’est le principe de la libre détermination de la personne une fois qu’on lui permet de choisir en toutes connaissances de cause. Si dans un pays libre on permet le suicide assisté à des personnes ayant toute leur faculté de penser, c’est à la personne de décider pour sa propre mort sans qu’on puisse la rendre responsable du suicide des autres personnes. Theo Boer parle « d’incitation au désespoir ». Mais on peut aussi bien considérer la réalité psychologique inverse : si on sait qu’on peut choisir de mourir quand on veut, autant décider de continuer à vivre le plus longtemps possible. Une de ses phrases interpelle : « Dans une société où l’aide à mourir est accessible, les gens sont confrontés à l’un des choix les plus déshumanisants qui soient : est-ce que je veux continuer à vivre ou est-ce que je veux mettre fin à mes jours ? » Et alors ? En quoi est-ce déshumanisant. C’est peut-être le contraire, une interrogation sur ce qu’est le sens de l’humain, le sens de la vie sur Terre. Au delà de sa propre personne, il faut aussi s’interroger sur le sentiment d’être ou non encore utile à la collectivité humaine.
Peut-être que Theo Boer ne fait-il que révéler son inclination religieuse dans son discours, ou alors un amour immodéré des soins palliatifs… Lorsque l’euthanasie a été légalisée aux Pays-Bas, il est significatif que les réactions hostiles proviennent à la fois de l’Osservatore Romano et de la Société française de soins palliatifs. A une époque de technologisation de l’existence et d’appareillage médico-social de la mort, il paraît nécessaire de se poser la question : qu’est-ce qu’une mot douce ? On peut donner ou non la vie avec la légalisation de la contraception et de l’interruption volontaire de grossesse, il semble dans la logique des choses de pouvoir soi-même déterminer le bon moment pour mourir. Du point de vue des malthusiens, il faut savoir maîtriser sa fécondité. Du point de vue contemporain, il faut savoir en finir avec l’acharnement thérapeutique et des existences qui n’ont plus de sens pour la personne.
Pente glissante ? Le terme est utilisé par Theo Boer. Il s’agit d’un sophisme, un procédé rhétorique qui consiste à voir l’aboutissement à l’inhumain alors que la discussion portait sur des raisonnements entre humains. Ici on part de la réalité d’une loi favorisant le suicide assisté à l’idée que tout le monde ou presque va se suicider à cause de cette loi. Ce n’est qu’une interprétation de ce théologien « expert en éthique ». Or l’éthique des uns n’est pas l’éthique des autres, il n’y a plus dans notre société sans religion de parole sacrée et de valeurs sacralisées. On se contente de délibérations collectives pour déterminer ce qui paraît le plus juste dans une situation donnée. Et le plus judicieux est de se baser principalement sur la clairvoyance du libre arbitre de chacun même si l’ouverture de la boîte de Pandore aboutit on ne sait où. Si cela donne lieu à une épidémie de suicides, il faut surtout se poser la question de la raison pour laquelle beaucoup de monde désespère et perd le goût de vivre.
Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. » (
Arthur Schopenhauer)
« Soyez libres » de « vous émanciper des idées reçues, de dire vos doutes, vos désaccords, de partager vos expériences, de vous laisser convaincre, et bien sûr, surtout, de défendre vos opinions, vos convictions, dans le souci du bien commun. La décision médicale est évidemment centrale, mais elle n’est qu’un aspect du débat. La fin de vie, c’est aussi un enjeu d’humanité, une exigence d’anticipation, d’accompagnement, une éthique du soi » », a déclaré Elisabeth Borne, en ouvrant vendredi 9 décembre la convention citoyenne sur la fin de vie,
Et voilà qu’on nous rejoue le ridicule couplet de la pente glissante. Cette fois c’est un professeur d’éthique de la santé qui se voit accusé de sophisme, autrement dit de mauvaise foi.
Faut oser quand même, non ? Et de mieux en mieux, toujours plus.
Hier c’était le pape qu’on renvoyait dans ses buts, aujourd’hui c’est l’éthique.
Comme si l’éthique avait quelque chose à dire sur une décision politique dans un pays démocratique ! (« Comme si le représentant d’une religion avait quelque chose à dire sur une décision politique dans un pays démocratique ! » : Biosphère 10/2/2022)
Le pape et l’éthique… circulez il n’y a rien à voir ! Chapeau !
– « Peut-être que Theo Boer ne fait-il que révéler son inclination religieuse dans son discours, ou alors un amour immodéré des soins palliatifs [etc.] »
Comme si Biosphère ne faisait pas la même chose avec la sienne, inclinaison religieuse. Le malthusianisme n’est pas une religion peut-être ?
Ah les soins palliatifs ! Comme si les partisans de l’euthanasie n’avaient rien à dire, ni à redire, sur les manques de moyens criants de nos hôpitaux. Trop chers les soins palliatifs peut-être ? Et en plus on ose douter des titres de Theo Boer, on sort les guillemets. Or un véritable «expert en éthique» se reconnait à ça :
– « Or l’éthique des uns n’est pas l’éthique des autres, il n’y a plus dans notre société sans religion de parole sacrée et de valeurs sacralisées [etc.] ».
Enfin presque. On sait bien que la parole sacrée, les valeurs sacralisées et blablabla seront toujours celle du sinistre Pasteur. Pour des siècles et des siècles, amen.
De toute façon, si le pape n’a rien à dire sur le sujet… si on se fout des états d’âme de Macron, sur la fin de vie (Biosphère hier)… si même l’éthique n’a qu’à aller se faire voir ailleurs… en quoi le point de vue des malthusiens et/ou celui des écologistes devrait-il nous intéresser ? Et pourquoi pas, tant qu’on y est, le point de vue des économistes ? Quel est le lien entre euthanasie et malthusianisme ?
Et avec l’écologie, et/ou l’économie ?
– « Pour certains écologistes radicaux, ne plus soigner les personnes âgées serait le bon moyen de réduire la population et donc de limiter les atteintes à l’environnement. » (Non à l’euthanasie écologique – L’Express 30/07/2019)
– « Un article scientifique récemment publié dans la revue Clinical Ethics encourage la légalisation du suicide assisté et de l’euthanasie sur base d’arguments financiers. » (Légaliser l’euthanasie… pour des raisons économiques – 25/03/2020 ieb-eib.org)
– « Il ne faut pas opposer l’aide active à mourir aux soins palliatifs »
( Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) – 08/12/2022 sur ouest-france.fr )
– « Les soins palliatifs sont un devoir, l’euthanasie une préférence d’opinion »
( Professeur Roger Gil, directeur du site de Poitiers de l’Espace de réflexion éthique de Nouvelle-Aquitaine – 09/12/2022 sur la-croix.com )
– Fin de vie : « Avec l’aide active à mourir, la violence sera déplacée sur les professionnels de santé » (Le Monde 19 mai 2022, mis à jour 20 septembre 2022)
– quelques sophismes au secours de « l’aide active à mourir » (02/10/2021 sur fr.aleteia.org)