La question n’est pas de définir des limites d’émission en alignant des chiffres abstraits comme la limite des 2 °C. Mais plutôt d’essayer de penser et de définir une économie mondialisée et un mode de développement qui seraient sobres en carbone. L’article du MONDE* l’écrit, « Il faudrait cesser de séparer la question climatique du monde réel ». Or le monde réel est allergique à la question climatique. Aux conférences internationales règnent les shadoks. Les Etats-Unis et les pays émergents ne veulent pas d’un « partage du fardeau » climatique. Ni aucun autre pays si ce n’est les petites îles comme les Maldives… qui seront bientôt englouties. Ce qui compte, ce sont les rapports de force et les intérêts particuliers. C’est l’économique qui supplante l’écologique, c’est le conflit entre Sud et Nord, pays « en voie de développement » contre pays anciennement développés.
L’organisation de l’économie mondiale se joue dans des arènes comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où il n’est pas question de climat. Quand on discute du traité transatlantique de libre-échange, on ne se préoccupe pas du climat. Pourtant le libre-échange, qui tire la croissance économique, est bien facteur d’émissions de gaz à effet de serre supplémentaires. Le protectionnisme est un mot actuellement tabou. Et quand on traite directement du climat dans une conférence internationale, il n’est pas question de réguler le commerce. Ce hiatus, Stefan Aykut et Amy Dahan l’appellent « schisme de réalité »**.
Le deuxième problème qui fait du processus de négociations une véritable « fabrique de la lenteur », c’est le fait que le monde est scindé en deux : le Nord d’un côté et le Sud de l’autre. Les uns veulent réduire le moins possible leurs émissions de CO2, les autres s’accordent le droit de les augmenter le plus possible pour rattraper leur retard de développement sur le Nord. C’est le triste résultat du « discours d’investiture » que le président Truman devait prononcer début 1949. Un fonctionnaire suggéra d’ajouter une extension aux nations défavorisées de l’aide technique jusqu’ici apportée à quelques pays d’Amérique latine. Ce public relations gimmick (hochet médiatique). Au lendemain du discours présidentiel, la presse américaine fit ses gros titres sur le « Point IV », même si personne, pas même le président, ne pouvait en dire plus que ce que chacun avait lu : « Quatrièmement, il nous faut lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l’amélioration de la croissance des régions sous-développées. Plus de la moitié des gens de ce monde vivent dans des conditions voisines de la misère. Leur vie économique est primitive et stationnaire. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace tant pour eux-mêmes que pour les régions les plus prospères… Une production plus grande est la clef de la prospérité et de la paix. » C’est la première fois que l’adjectif « sous-développé » apparaît dans un texte destiné à une pareille diffusion. Cette innovation terminologique introduisit un rapport inédit entre « développement » et « sous-développement », à la source du blocage actuel des négociations sur le climat : tout le monde a voulu se « développer », c’est-à-dire faire de la croissance économique, et donc brûler le plus possible de ressources fossiles.
Face ce double blocage, économique contre écologique et Sud qui veut faire comme le Nord, il reste la voie étroite de la limitation volontaire (et un jour ou l’autre forcée) de nos besoins : bientôt nos chambres ne seront plus chauffées !
* LE MONDE du 18 février 2015, « Il faut cesser de séparer le climat du monde réel »
** Gouverner le climat ? du sociologue Stefan Aykut et de l’historienne des sciences Amy Dahan (Presses de Sciences Po, 750 p., 23 euros)