La spécificité du cerveau humain fait que l’acquis détermine notre comportement. Les gènes délimitent seulement la multiplication de nos neurones et c’est la confrontation avec l’environnement qui va donner sa densité à nos capacités cérébrales. A l’âge adulte, on estime qu’un cerveau humain contient 10 à 100 milliards de neurones, chacun établissant avec les autres environ 10 000 contacts synaptiques. A comparer avec les 20 000 à 25 000 gènes que contient notre ADN. Le programme génétique ne fixe pas notre destin, c’est notre plasticité cérébrale qui conditionne nos pensées et nos actes. Les gènes en permettant la prolifération de nos cellules cérébrales, desserrent l’étau des comportements innés auxquels sont si étroitement assujettis les autres animaux.
Entre l’inné et l’acquis, la neuroscientifique Angela Sirigu* ne tranche pas, son discours reste très ambigu : « Le rôle des gènes dans l’expression du comportement est aujourd’hui accepté (…) Certains comportements semblent contrôlés par l’action d’un gène unique (…) Exemple, la souris chez qui l’action du gène de l’ocytocine** (OXT) est supprimée, perd tout comportement maternel. Doit-on considérer ce résultat pertinent pour le comportement humain ? Je pense que oui (…) Mais établir de manière certaine des liens entre gènes et comportement reste difficile (…) L’environnement change l’expression des gènes (épigenèse)… » L’exemple de la souris est maladroit, il n’y a pas de comparaison possible entre les capacités cérébrales de cette espèce et la nôtre. La société humaine fait de l’amour maternel ce qu’elle veut. Précisons.
La procréation étant naturelle, on imagine qu’au phénomène biologique de la grossesse doit correspondre une attitude maternelle prédéterminée, instinctive. Sitôt l’agneau venu au monde, sa mère le lèche longuement et le débarrasse du liquide amniotique qui recouvre son pelage. Dans le même temps survient une modification de l’activité des neurones de son bulbe olfactif qui intensifie la mémorisation par son cerveau de l’odeur du petit. Moins de deux heures plus tard, quand il manifestera le désir de téter, la mère le laissera faire. Seul celui qu’elle aura léché – et donc flairé à la naissance – aura droit à ce privilège. Mais n’importe quel autre nouveau-né ferait l’affaire, pour peu que son odeur soit première ; on pourrait ainsi trouver une mère adoptive pour n’importe quel agneau. Même si le conditionnement génétique autorise les mères de substitution, la relation mère-agneau est bien inscrite dans le programme biologique de cette espèce animale. Tout comportement universel chez une espèce tend à prouver une détermination génétique. Mais la femme s’éloigne de la femelle, il n’y a pas d’odeur ou de gène qui guiderait son comportement.
Elisabeth Badinter montre que l’amour maternel ne va pas de soi, il est « en plus ». Un lieutenant de police constatait en 1780 que sur les 21 000 enfants qui naissaient annuellement à Paris, mille à peine sont nourris par leur mère, mille autres, des privilégiés, sont allaités par des nourrices à demeure ; tous les autres quittent le sein maternel pour le domicile plus ou moins lointain d’une nourrice mercenaire. Nombreux sont les enfants qui mourront sans avoir jamais connu le regard de leur mère et ceux qui reviendront quelques années plus tard sous le toit familial découvriront une étrangère dans celle qui leur a donné le jour. Cet exemple parmi d’autres contredit l’idée répandue d’un instinct propre également à la femelle et à la femme. Toutes les études faites montrent en effet qu’aucune conduite universelle et nécessaire de la mère ne peut être mis en évidence. Au contraire, on constate l’extrême variabilité des sentiments des mères selon leur culture, leurs ambitions, leurs frustrations.
Il n’y a pas de comportement humain inscrit par la nature, génétiquement programmé. C’est notre liberté, mais c’est aussi le lourd fardeau de notre responsabilité. Une mère peut tuer son nouveau-né, y compris avec délectation. Comme l’espèce humaine peut éradiquer entièrement une autre ethnie ou une autre espèce animale, avec délectation… Arrêtons de gloser sur l’acquis et l’inné, améliorons notre apprentissage social pour mieux aimer son prochain et la biosphère !
* LE MONDE du 19 novembre 2011, Comportement humain : héritage ou apprentissage ?