Alors que la procréation médicalement assistée est un détournement des mécanismes de la nature, la mort médicalement assistée fait le contraire. Il s’agit d’accepter sa fin de vie et d’enlever ainsi les effets nocifs d’un autre mécanisme technicisé inventé par les humains, les soins palliatifs, qui débouchent sur l’acharnement thérapeutique. La loi Leonetti (22 avril 2005) n’est qu’une loi sur l’euthanasie passive qui laisse mourir et n’a pas le courage de permettre une mort digne et librement choisie. Cela permet aux services payants de soins palliatifs de conserver en vie des mourants. Que disait Ivan Illich sur ces techniques ?
« En 1974, quand j’écrivais Némésis médicale, je pouvais déjà parler de « médicalisation » de la mort. Les traditions occidentales régissant le fait de mourir sa propre mort avaient cédé à l’attente de soins terminaux garantis. Je forgeai alors le mot « amortalité » pour désigner le résultat de la liturgie médicale entourant le « stade terminal ». Le dernier cri en matière de soins terminaux a motivé la montée en flèche de l’épargne de toute une vie pour financer la flambée de l’échec garanti. C’est le rapport Flexner de 1910 qui a donné le feu vert à la montée en flèche des coûts des soins terminaux, au misérable prolongement de « patients » plongés dans un coma irréversible. De même que l’habitude d’aller « en voiture » atrophie les pieds, la médicalisation de la mort a atrophié le sens intransitif de vivre ou de mourir. Il n’est plus aujourd’hui de considération éthique ou sociale qui tienne quand elle contrarie la recherche sur un « traitement » ou la « prévention » de la plus rare des maladies « incurables », peu importe que ce soit le généticien ou un autre qui réclame des crédits. La gestion de l’agonie a fini par apparaître comme la tâche de l’équipe médicale, la mort étant décrite comme la défaite de ladite équipe. L’âge industriel réduit l’autonomie somatique, la confiance dans ce que je sens et perçois de mon état. Les gens souffrent maintenant d’une incapacité à mourir. Peu sont capable d’envisager leur propre mort dans l’espoir qu’elle apporte la dernière touche à une vie active, vécue de manière intransitive. »*
« Dans Némésis, j’avais pris la médecine de 1970 et l’avais étudiée avec une méthode démontrant l’efficacité paradoxalement contre-productive implicite dans des techniques disproportionnées. La médecine m’apparaissait comme le paradigme d’une mégatechnique visant à vider la condition humaine du sens de la tragédie. L’enjeu en était le remplacement de l’homme-acteur par l’homme considéré comme patient nécessiteux. Un quart de siècle plus tard, je reste satisfait de la rhétorique de Némésis. Ce livre a ramené la médecine dans le champ de la philosophie. »**
Le récent rapport Sicard*** rejoint l’analyse d’Ivan Illich. Il s’agit d’une critique sévère envers les défenseurs des soins palliatifs. Le rapport s’en prend également fortement au « laisser mourir » de la loi Leonetti. Il propose une sédation terminale et ouvre la voie au suicide assisté. Il n’a malheureusement pas été jusqu’au bout, c’est-à-dire l’euthanasie active. La Suisse est un pays où des non-médecins peuvent pratiquer l’assistance au suicide. L’article 115 du code pénal stipule en effet qu’aider quelqu’un à mourir n’est punissable que si cette démarche obéit à des motifs égoïstes.
* De la difficulté de mourir sa mort (1995) in La perte des sens (recueil de textes d’Ivan ILLICH), Fayard 2004
** Postface à Némésis médicale (1992) in La perte des sens (recueil de textes d’Ivan ILLICH), Fayard 2004
*** LE MONDE du 19 décembre 2012, la mission Sicard veut respecter les volontés du malade jusqu’à donner la mort
précisions :
La loi Leonetti (22 avril 2005) n’est qu’une loi sur l’euthanasie lente. Que dit la loi ?
– Les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis avec une obstination déraisonnable.
– Lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus.
– Si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne, en phase avancée d’une affection grave et incurable, qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade ou à défaut…
– Lorsqu’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin respecte sa volonté.
En fait cette loi qui laisse mourir et qui n’a pas le courage de permettre une mort digne et librement choisie ne fait plaisir qu’au lobby des spécialistes des soins palliatifs. Si l’euthanasie passive dure des jours et des jours, comme c’est souvent le cas, cela constitue un tourment pour tous, le mourant, la famille et les soignants.