LeMonde du 3.07.2008 présente Yves Cochet comme un missionnaire de l’apocalypse. Oui la pétro-apocalypse est pour bientôt, non ce n’est pas un message de culpabilisation, c’est juste un constat de réalité. Nous sommes tous responsables de la détérioration de la planète, mais certains d’entre nous sont plus coupables que d’autres, particulièrement tous ceux qui font l’apologie de la croissance et nous mènent à l’apocalypse. Voici comme information supplémentaire le compte-rendu d’un exposé-débat à Sciences-Po Paris (L’après-pétrole, quelles solutions énergétiques ?, le 13 juin 2008) :
1) le constat
Yves Cochet fait porter son exposé sur l’amont du carbone, c’est-à-dire la production d’énergies fossiles, plutôt que sur l’aval du carbone (la détérioration climatique). En 1956, le géophysicien Marion King HUBBERT annonce que la production étasunienne de pétrole va décroître quatorze ans plus tard. Personne ne le croit, mais en 1970 celle-ci décroît effectivement. On a aujourd’hui extrapolé au monde entier le pic de Hubbert pour déterminer la date de la déplétion (c’est-à-dire le moment où les quantités de pétrole extraites commenceront à diminuer). Le pic pétrolier est fixé à 2007 ou 2008. Il faut dire que dans les cinq premières années du XXIe siècle, nous avons autant consommé d’énergie que pendant les 50 premières années du XXe siècle. Pourtant les théologiens de la croissance, comme l’AIE (agence internationale de l’énergie) disent encore que la production de pétrole va continuer d’augmenter.
Le pic des ressources fossiles pourrait s’accompagner d’un pic démographique, une chute terrible de la population humaine. Nous serons en 2025-2030 environ 7,2 milliards d’êtres humains. Selon les résultats d’une étude récemment parue de Chris Clugston, la population mondiale en 2100 pourrait être redescendue à 2 milliards d’habitants.
La décroissance est notre destin, ce n’est pas un projet politique. La décroissance n’est pas signe de pessimisme, mais de réalisme géologique. Le représentant de l’ADEME confirme que dans 25 ans, il n’y aura plus une goutte de pétrole accessible au moindre coût. Entre 1996 et 2006, la hausse du prix réel des combustibles a augmenté annuellement de 4 %. Cela va entraîner des inégalités sociales croissantes. Entre 2001 et 2006, les dépenses énergétiques des 20 % de ménages les moins favorisés sont passées de 10,2 % des revenus à 14,9 % Dans le même temps, les 20 % les plus riches voyaient leurs dépenses budgétaires en matière d’énergie diminuer de 6,3 % à 5,9 %
Jacques Grinevald (auteur de La Biosphère de l’anthropocène, 2008) montre que nous sommes passés de sociétés traditionnelles relativement stables à un modèle économique néo-classique qui ne tient aucun compte de la raréfaction des ressources de la planète. Pourtant dès 1949, K.Hubbert avait averti que l’ère du pétrole se terminerait très rapidement. Georgescu-Roegen, un économiste mathématicien, seul économiste de renom contre toute la pensée dominante, a montré qu’il fallait tenir compte du deuxième principe de la thermodynamique, la loi de l’entropie, la dégradation de l’énergie que nous avons utilisée.
2) les solutions ?
Sylvain David (chargé de recherche à l’Institut de physique nucléaire d’Orsay), pro-nucléaire par profession, estime que nous aurons mondialement besoin de 3000 centrales nucléaires pour couvrir une partie de nos besoins en prenant pour hypothèse qu’on désire consommer autant d’énergie qu’actuellement. Mais l’accès au nucléaire est inégal, beaucoup de pays n’ont pas la stabilité nécessaire pour gérer des réacteurs nucléaires.
Yves Cochet émet quatre limites techniques au nucléaire: la faible quantité d’uranium (60 ans de réserves), le problème des déchets que nous produisons depuis 50 ans alors qu’on ne sait toujours pas comment les gérer, le coût du démantèlement, le fait que les assurances privées ne couvrent pas le risque nucléaire. Anthropologiquement, on peut ajouter que l’homme n’est pas bon par nature, que le système démocratique n’est pas assuré de durer. Pourtant une société technologique qui veut reposer sur le nucléaire a besoin de stabilité et de sécurité. Nous avons déjà oublié ce qui s’est passé au XXe siècle, deux guerres mondiales, la grande crise de 1929. On se grise, on devient un démiurge, le lobby nucléaire nous dirige. Jacques Grinevald ajoute que les hommes ont fabriqué des armes avant de construire des machines, la bombe atomique avant le réacteur nucléaire civil. On ne peut pas isoler une technique du système social et on ne peut pas faire confiance à l’homme : la guerre a fait l’Etat, et l’Etat fait la guerre, la Suisse n’a pas d’armée, la Suisse est une armée ! Sylvain David pense qu’il faudrait laisser les ressources fossiles restantes sous terre. Il faut donc penser à limiter la demande, puisque l’offre est limitée. Quant aux agrocarburants selon Yves Cochet, peut-être une production locale d’huile végétale pour une consommation locale, certainement pas de l’éthanol qui demande un litre de pétrole pour produire un litre d’un liquide moins performant que le pétrole : entre manger et conduire, il faut choisir.
Selon Jacques Grinevald, si le boom automobile continue, on va se noyer dans le pétrole et les échéances sont pour demain. Yves Cochet ajoute que le temps joue contre nous, il faut anticiper l’avenir. La solution technique n’existe pas alors que l’ONU ne voit que par la technique. Jacques Grinevald indique que les pays pauvres ont été humiliés, ils veulent leur revanche et consommer comme nous dans un monde où tout est basé sur la compétition. Yves Cochet remarque que de toute façon il n’y a pas assez de ressources pour que les Chinois atteignent notre niveau de vie, cela n’arrivera jamais, jamais jamais. Nous devons nous rendre compte qu’une voiture individuelle (1,2 tonnes pour 1,2 passagers en moyenne), c’est moins efficace qu’une chaise à porteur ! Les pays riches doivent obligatoirement montrer l’exemple de la sobriété, baisser drastiquement leur consommation d’énergie fossile. La vérité des prix va nous y obliger de toute façon, la paix et la sécurité en dépendent. La bonne vie, ce n’est pas le pétrole, c’est l’amitié, la méditation, la poésie… Mais l’irresponsabilité des décideurs politiques et économiques est totale.
La sobriété, c’est révolutionnaire dans une société inégalitaire et bling bling. Pour Yves Cochet, il faut penser l’impensable, à savoir un changement de civilisation, sans pour autant verser dans « l’écolo-fascisme ». S’il avait le pouvoir, il mettrait en place une économie de guerre à la Roosevelt après Pearl Harbor, un krach-programme avec démocratie participative. Les riches ne se rationnent pas, on mettra en place un rationnement global, le même quota de carbone pour chaque humain sur notre planète. Jacques Grinevald fait remarquer qu’il a lui-même fait le choix de ne pas faire d’enfants, la position malthusienne est aussi une solution à nos problèmes. La nécessité risque de créer l’espoir.