Au milieu des nombreuses parutions qui traitent actuellement du réchauffement climatique, le livre « Crime climatique STOP ! » a le mérite d’être écrit à plusieurs voix et de déboucher sur un appel à la société civile. De l’introduction nous retiendrons cette phrase : « Malgré des négociations internationales dont la durée totale cumulée dépasse une année entière depuis le sommet de Rio en 1992, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté de plus de 60 % sur la période qui court jusqu’à aujourd’hui. »
Auteurs du livre : Geneviève Azam, Nnimmo Bassey, Philippe Bihouix, Christophe Bonneuil, Susan George, Clive Hamilton, Jean Jouzel, Bill McKibben, Naomi Klein, Vandana Shiva, Pablo Solon, Desmond Tutu, etc. Un livre à lire absolument. En voici quelques extraits dans notre bimensuel. Pour s’abonner (gratuitement) à BIOSPHERE-INFO, il suffit d’écrire à biosphere@ouvaton.org
Agir contre les crimes climatiques
Bi-mensuel BIOSPHERE-INFO n° 357 (1er au 15 octobre 2015)
1/3) L’appel de la société civile
« Laissons les fossiles dans le sol pour en finir avec les crimes climatiques »
Lire le texte complet sur le site http://350.org/climate-crimes-fr/. Voici un résumé :
– Nous sommes à la croisée des chemins. Nous ne voulons pas nous retrouver contraint.e.s à survivre dans un monde devenu à peine vivable. Par l’acidification des océans, par la submersion des îles du Pacifique Sud, par le déracinement de réfugiés climatiques en Afrique et dans le sous-continent indien, par la recrudescence des tempêtes et ouragans, l’écocide en cours violente l’ensemble des êtres vivants, des écosystèmes et des sociétés, menaçant les droits des générations futures.
– Nous ne nous faisons pas d’illusions. Depuis plus de vingt ans, les gouvernements négocient mais les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas baissé et le climat poursuit sa dérive. Alors que les constats de la communauté scientifique se font plus alarmants, les forces de blocage et de paralysie l’emportent.
– Ce n’est pas une surprise. Partout, des forces puissantes — entreprises du secteur fossile, multinationales de l’agro-business, institutions financières, économistes dogmatiques, climatonégationnistes et décideurs politiques prisonniers de ces lobbies — font barrage et promeuvent de fausses solutions.
– Nous gardons confiance en notre capacité à stopper les crimes climatiques. Par le passé, des femmes et des hommes déterminé.e.s ont mis fin aux crimes de l’esclavage, du totalitarisme, du colonialisme ou de l’apartheid. Elles et ils ont fait le choix de combattre pour la justice et l’égalité et savaient que personne ne se battrait à leur place. Le changement climatique est un enjeu comparable. A travers le monde, nous luttons contre les véritables moteurs de la crise climatique, défendons les territoires, réduisons les émissions, organisons la résilience, développons l’autonomie alimentaire par l’agro-écologie paysanne, etc.
A l’approche de la conférence de l’ONU sur le climat à Paris-Le Bourget, nous affirmons notre détermination à laisser les énergies fossiles dans le sol. C’est la seule issue.
Concrètement, les gouvernements doivent mettre un terme aux subventions qu’ils versent à l’industrie fossile, et geler leur extraction en renonçant à exploiter 80% de toutes les réserves de combustibles fossiles.
Pour signer cet appel :
http://crimesclimatiquesstop.org/
ou http://350.org/climate-crimes-fr/
2/3) La folie des COP
Pablo Solon a été négociateur en chef sur le changement climatique au nom de la Bolivie. Son point de vue est radical à propos des conférences sur le climat (dites COP) : absence de logique, folie des COP, aspect irrationnel, refus de regarder les réalités en face, etc. Voici quelques extraits :
« Après vingt conférences de l’ONU sur le changement climatique, les émissions de gaz à effet de serre sont passées de 38 gigatonnes d’équivalent CO2 en 1990 à près de 50 Gt. Au lieu de corriger cette absence de logique, la COP21 de Paris va l’aggraver et la faire durer jusqu’en 2030. Il n’apparaîtra nulle part qu’il faut arrêter d’extraire les combustibles fossiles présent dans le sous-sol pour réduire les émissions de carbone. Pourtant les études sont très claires : pour limiter le réchauffement en deçà de 2°C, il faut laisser sous terre 80 % des réserves connues de combustibles fossiles d’ici à 2050.Le texte de négociation de l’accord de Paris n’aborde pas du tout cette question. Les négociateurs cherchent seulement à traiter les effets du problèmes, pas à en résoudre les causes.
Une autre question que les COP se refusent à regarder en face est que, pour s’attaquer de façon efficace au changement climatique, il faut changer en profondeur notre rapport à la nature. Si on en est arrivé à cette situation de cris climatique, c’est parce qu’on a altéré des processus et des cycles vitaux de la nature. On ne peut pas sortir de cette crise si on continue à se comporter comme un prédateur. L’économie humaine doit arrêter de traiter la nature comme un stock de ressources qu’elle peut exploiter et dont elle peut jouir à son gré. Sans la reconnaissance des droits de la nature et du crime d’écocide, et sans la mise en œuvre d’un ensemble de réglementations qui permette de dépasser une approche anthropocentrique, on ne pourra faire face à la crise climatique.
Avant les négociateurs étaient des gens qui se préoccupaient d’environnement, maintenant la majeure partie se préoccupe surtout de business. Pour le capital, l’idéal est que les négociations aboutissent à un accord qui ne limite pas le commerce, qui ne limite pas l’extraction de matières premières, qui ne réduise pas le niveau de consommation… Exactement le type d’accord auquel les COP aboutissent ! Tout est laissé à la bonne volonté des pays, et aucun mécanisme ne contraint ou ne sanctionne réellement ceux qui ne respectent pas leur engagements. Les COP n’affectent pas les accords de libre-échange, au contraire ils ouvrent la voie à de nouveaux marchés Après un ouragan, il y a toujours beaucoup de services et d’infrastructures à reconstruire. Pour la logique du capital il n’y a pas d’humanité ou de nature, mais des consommateurs et des matières premières. Son existence dépend de sa croissance.
Mais la logique du capital n’agit pas seule, elle s’articule à la logique du pouvoir. L’essentiel pour les gouvernants est de faire en sorte d’être réélus. La politique est « l’art du possible », et le possible ne consiste pas à diminuer les émissions de gaz à effet de serre de façon conséquente. La grande majorité des partis sont aux ordres de tel ou tel secteur des classes dominantes. En conséquence un accord international peu contraignant sur le court terme, même s’il est suicidaire sur le long terme, est le plus indiqué.
En résumé, la véritable lutte contre le changement climatique est intimement liée à la lutte contre les logiques du capital et du pouvoir. Si on ne construit pas, à partir de la société civile, un rapport de forces pour faire changer ces logiques dominantes, on ne pourra pas empêcher la planète de brûler.
3/3) Du mythe de la croissance « verte » à un monde post-croissance
L’auteur, Philippe Bihouix, est ingénieur centralien. Il a notamment publié en 2010 « Quel futur pour les métaux ? » et en 2014 « L’âge des low tech, vers une civilisation techniquement souhaitable ». Il démonte dans ce chapitre l’illusion d’une lutte purement technologique au réchauffement climatique. Voici quelques extraits :
« Les problèmes auxquels nous faisons face ne pourront pas être résolus simplement par une série d’innovations technologiques et de déploiements industriels de solutions alternatives. Car nous allons nous heurter à un problème de ressources, essentiellement pour deux raisons : il faut des ressources métalliques pour capter les énergies renouvelables ; et celles-ci ne peuvent qu’être imparfaitement recyclées, ce phénomène s’aggravant avec l’utilisation de hautes technologies. Ces technologies utilisent des métaux plus rares, comme le néodyme dopé au dysprosium pour les éoliennes de forte puissance, l’indium, le sélénium ou le tellure pour une partie des panneaux photovoltaïques à haut rendement. L’économie circulaire est une gentille utopie. Les ressources métalliques, une fois extraites, ne disparaissent pas. On ne peut jamais recycler « à l’infini ». Le recyclage n’est pas un cercle mais un boyau percé, et à chaque cycle de production-usage-consommation, on perd de manière définitive une partie des ressources. De plus il y a dégradation de l’usage de la matière : le métal « noble » finit dans un acier bas de gamme, comme la bouteille plastique finit en chaise de jardin. Un Internet de l’énergie, est irréaliste ; on ne stocke pas l’énergie aussi aisément que des octets. Pour produire, stocker, transporter l’électricité, même « verte », il faut quantité de métaux. Et il n’y a pas de loi de Moore (postulant le doublement de la densité des transistors tous les deux ans environ) dans le monde physique de l’énergie. La croissance « verte » se base sur le tout-technologique. Elle ne fera alors qu’aggraver les phénomènes que nous venons de décrire. Ce qui nous attend à court terme, c’est une accélération dévastatrice et mortifère, de la ponction de ressources, de la consommation électrique, de la production de déchets ingérables, avec le déploiement généralisé des nanotechnologies, des big data, des objets connectés. Le saccage de la planète ne fait que commencer.
La solution climatique ne peut donc passer que par la voie de la sobriété et de technologies adaptées, moins consommatrices. Nous devrons décroître, en valeur absolue, la quantité d’énergie et de matières consommées. Il faut travailler sur la baisse de la demande, non sur le remplacement de l’offre. La solution climatique passera aussi par les « low tech » , les « basses technologies », par opposition aux high tech qui nous envoient dans le mur. L’orientation vers l’économie de ressources consiste à se poser trois questions.
– Pourquoi produit-on ? Il s’agit d’abord de questionner intelligemment nos besoins, de réduire à la source, autant que possible, le prélèvement de ressources et la pollution engendrée. C’est un exercice délicat car les besoins humains – nourris par la rivalité mimétique – étant a priori extensibles à l’infini, il est impossible de décréter « scientifiquement » la frontière entre besoins fondamentaux et « superflus ». D’autant plus délicat qu’il serait préférable de mener cet exercice démocratiquement, tant qu’à faire. Certaines actions promettent quelques débats houleux : réduction drastique de la voiture au profit du vélo, adaptation des températures dans les bâtiments, urbanisme revisité pour inverser la tendance à l’hypermobilité… Qui est liberticide ? Le conducteur de 4×4, l’utilisateur de jet privé, le propriétaire de yacht, ou celui qui propose d’interdire ces engins de mort différée ?
– Que produit-on ? Il faut augmenter considérablement la durée de vie des produits, bannir la plupart des produits jetables ou dispersifs, s’ils ne sont pas entièrement à base de ressources renouvelables et non polluantes, repenser en profondeur la conception des objets : réparables, réutilisables, faciles à identifier et démanteler, recyclables en fin de vie sans perte, utilisant le moins possible les ressources rares et irremplaçables, contenant le moins d’électronique possible, quitte à revoir notre « cahier des charges », accepter le vieillissement ou la réutilisation de l’existant, une esthétique moindre pour les objets fonctionnels, parfois une moindre performance ou une perte de rendement… en gros, le moulin à café et la cafetière italienne de grand-mère, plutôt que la machine à expresso dernier cri…
– Comment produit-on ? Doit-on poursuivre la course à la productivité et à l’effet d’échelle dans des giga-usines, ou faut-il mieux des ateliers et des entreprises à taille humaine ? Ne doit-on pas revoir la manière dont nous arbitrons aujourd’hui entre main-d’œuvre et ressources / énergie ? Notre rapport au travail (meilleur partage entre tous, intérêt d’une spécialisation outrancière, répartition du temps entre travail salarié et activités domestiques, etc.) ? Et puis il y a la question aigüe de la territorialisation de la production. Après des décennies de mondialisation facilitée par un coût du pétrole suffisamment bas et le transport par conteneurs, le système est devenu absurde. Un système basé sur une Chine « usine du monde » est-il vraiment résilient ? Même enchâssé dans le système d’échanges mondial, un pays ou un petit groupe de pays pourrait prendre les devants, et, protégé par des mesures douanières bien réfléchies, amorcer un réel mouvement, porteur d’espoir et de radicalité. »
Source : Crime climatique STOP ! L’appel de la société civile
livre coordonné par Attac France et 350.org, publié aux éditions du Seuil.
éditions Anthropocène Seuil, 316 pages, 15 euros