En agrégeant toutes les crises à un niveau inouï, en combinant inégalités des richesses et pénurie des ressources, le drame écologique a une capacité de nuisance sans précédent : celle de nous ramener au pire de l’homme et de la barbarie. D’ici à 2050, la synergie des crises alimentaires, énergétiques, climatiques et démographiques va en effet entraîner une dégradation rapide et brutale du niveau de vie à l’occidentale. Il y aurait toutes les raisons d’être pessimiste, ce serait la fin de la démocratie. Stéphane Foucart* confirme : « Pour demeurer sous le seuil de 1,5 °C de réchauffement, la transition à accomplir est aujourd’hui hors d’atteinte sans des mesures radicales de planification de l’économie mondiale, donc des restrictions massives au droit d’entreprendre et de consommer. Longtemps taboue, l’idée d’une nécessité de la contrainte, de la prise de décisions impopulaires commence à faire son chemin. De plus, comme le fait remarquer Jean-Marc Jancovici, les bouleversements qu’imposera le réchauffement aux sociétés, notamment en termes de migrations, vont favoriser l’arrivée au pouvoir de mouvements politiques peu enclins à défendre les valeurs démocratiques. L’alternative est sombre : renoncer à la forme actuelle de la démocratie pour endiguer le réchauffement, ou attendre que celui-ci ait raison de la démocratie ? » Dans son livre « L’écologie à l’épreuve du pouvoir », Michel Sourrouille écrivait en 2016 : Face au désordre socio-économique croissant, la tentation d’un écofascisme va devenir omniprésente, préparée par la montée généralisée des extrêmes droite en France et ailleurs. Les différentes sortes de terrorisme amplifient d’ailleurs la militarisation de nos sociétés. Alors une dictature au nom de l’écologie serait-elle un moindre mal ? Bernard Charbonneau (1910-1996) avait fait un raccourci saisissant de l’ambiguïté de la démocratie de masse qui est en fait orientée par un leader : « Toutes les révolutions commencent dans la classe dirigeante. En Russie soviétique, la fin du régime porte un nom : Gorbatchev. » Il avait développé cette analyse dans un livre antérieur :
« Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusion peut mener à penser que le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra plus faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie : ils ne croient qu’au pouvoir. Pour contrôler les dangers de moyens de plus en plus puissants et fragiles parce que complexes, gérer un espace et des ressources qui s’épuisent, prévoir et maîtriser les réactions humaines qui empêcheraient de le faire, on est obligé de renforcer l’organisation. L’écofascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de gauche que de droite sous la pression de la nécessité. En effet, les gouvernements seront de plus en plus contraints. Déjà commence à se tisser ce filet de règlements assortis d’amendes et de prison qui protégera la nature contre son exploitation incontrôlée. Que faire d’autre ? » **
Catherine Vincent en arrive même à citer cette horrible conception, si réaliste : « Pour ceux – de plus en plus nombreux – qui considèrent comme inéluctable un effondrement massif de notre société thermo-industrielle, le chemin le plus sombre est celui emprunté par Pierre-Henri Castel dans Le Mal qui vient, livre à mi-chemin entre la philosophie et la psychanalyse qui pose un pronostic cinglant : l’homme est un loup pour l’homme, et nous allons entrer dans une période où riches et puissants profiteront à fond des ultimes ressources qui nous restent afin de « jouir de la destruction ». »
Il est vrai que la démocratie, on le voit bien avec l’épisode des « gilets jaunes », a échoué à traiter l’urgence écologique.
* LE MONDE du 4 janvier 2018, La démocratie à l’épreuve de l’environnement
** Le Feu vert (1ère édition 1980, réédition Parangon 2009)
*** LE MONDE du 4 janvier 2018, Climat 2019. Les nouveaux récits de l’écologie
Une révolution technologique s’est produite qui permet au premier venu d’insulter la Terre entière en toute impunité. Du point de vue de la philosophie libérale, cela pose un vrai problème : celui d’une liberté d’expression illimitée sans responsabilité. Une radicalité qui n’est plus politique mais morale et subjective se développe, marquée par une intolérance virulente au point de vue de l’autre.
C’est évidemment inquiétant car la démocratie, ce n’est pas seulement la liberté, mais la liberté au service d’une discussion commune destinée à aboutir à un accord pacificateur. Cette dimension-là est en train de s’évanouir psychologiquement de l’esprit des gens, y compris les plus cultivés.
Marcel Gauchet (LE MONDE papier du 12 mars 2019)
Oui je suis d’accord avec vous Michel C, il y aura des survivants sans doute même largement plus que 1 %. Un tel chiffre nous ramènerait aux effectifs de l’humanité d’il y a disons 3 ou 4 000 ans, c’est à dire encore très largement supérieurs à ceux de notre espèce durant la majorité de son histoire.
Bonsoir Didier Barthès
En effet notre civilisation est aujourd’hui étendue à la totalité de la planète, à tous niveaux cet effondrement sera une première dans l’aventure humaine, je suis d’accord avec vous.
Pour mieux comprendre ce que j’entends par mou et fatigué je vous propose de lire « Décadence » de Michel Onfray. Bien sûr Onfray n’a rien découvert tout seul, vous pouvez également vous référer à Nietzsche et à d’autres aussi. Je pense que nous avons beaucoup trop négligé ce que nous avaient appris les Anciens. Et ceci, tout simplement parce que réfléchir fait mal à la tête. Résultat, maintenant il est trop tard.
Je peux me tromper mais je pense qu’il y aura des survivants. Même s’ils ne sont que 1% (je vous laisse compter) ils seront assez nombreux pour repeupler la Terre. J’espère seulement qu’ils sauront retenir la leçon.
Quant à notre civilisation, elle a tout simplement une histoire. Le capitalisme aussi d’ailleurs.
Bonjour Michel C,
Je pense quand même que l’effondrement qui nous menace est difficilement comparable avec celui qui toucha les sociétés passées par son caractère global.
L’effondrement d’une société de 5 ou 50 millions de personnes n’a rien à voir avec celui d’une société de 8 milliards, encore une fois l’ordre de grandeur participe à la nature d’un phénomène. A une telle échelle il n’y a quasiment aucune voie de sortie pour aucun groupe.
La seconde différence résulte du caractère écologique de la chose. Aujourd’hui 90 % des animaux sauvages ont disparu (par rapport aux époques préalables à nos civilisations), cela, aucune société ne l’a jamais connu.
Dernier point enfin, la majorité des humains sur la Terre sont dépendants de complexes réseaux, et sont tout à fait incapables de survivre dans des conditions difficiles (même dans les pays en voie de développement, la médecine est de fait très présente, c’est d’ailleurs ce qui explique l’explosion démographique) cela nous rend beaucoup plus fragiles.
Pour toutes ces raisons je suis très pessimiste.
Plus mous plus fatigués ? Je ne sais pas ce sont des notions imprécises, de même notre civilisation, dire qu’elle a 2000 ans est difficile, quand la faire la commencer ? Comment la définir ? Tout cela relève de trop d’arbitraire
J’adhère assez à cette analyse de Bernard Charbonneau. Je suis toujours impressionné par le côté visionnaire de ces gens que je considère comme de véritables penseurs. Je pense qu’ils sont de plus en plus rares.
Maintenant, à part dire que nous n’allons pas vers des lendemains qui chantent, personne ne peut dire exactement quel sera le scénario. On peut imaginer beaucoup de choses : « 1984 », « Le meilleur des mondes », « un bonheur insoutenable », « Mad Max » etc. etc. Si je devais voter, ce serait plutôt Mad Max.
@ Didier Barthès.
Démographie et démocratie ont en effet la même racine grecque (demos = peuple). Les causes de l’effondrement d’une civilisation sont multiples, ce n’est pas seulement une affaire de taille de la population. Bien avant la notre, de nombreuses civilisations (bien moins nombreuses) se sont développées, ont atteint une apogée, puis ont décliné pour disparaître, parfois noyées dans la suivante. Hors mis les causes naturelles, généralement la cause du déclin et de l’effondrement c’est la fatigue.
Comment ne pas voir que nous sommes extrêmement fatigués ? Là encore, c’est le déni qui nous en empêche. Nous sommes de plus en plus mous, de plus en plus débiles, nous ne croyons plus à rien ou alors à n’importe quoi ce qui revient au même, le nihilisme. Notre civilisation a maintenant plus de 2000 ans, c’est très vieux pour une civilisation.
Si ça peut nous consoler on peut toujours se dire qu’elle aura bien vécu, que rien n’est éternel, pas même les étoiles. Et puis se dire qu’après celle-ci il y en aura une autre, ou pas.
Démographie et démocratie sont des mots qui se ressemblent, mais ils ne sont pas liés seulement par les lettres, ils le sont aussi par les faits et par l’Histoire.
Si l’on considère (ce que je fais) que l’explosion démographique est le principal ferment de l’effondrement qui s’annonce, alors on peut dire que l’explosion de la démographie entrainera l’explosion de la démocratie.
La démocratie ne semble pas à apte à gérer les problèmes de long terme c’est à dire à consentir des efforts de court et moyen terme pour protéger le long et très long terme.
La démocratie risque donc d’être à la fois coupable par son incapacité et victime de l’effondrement. Il n’y a à long terme pas de solution durable qui ne passe par une société des hommes à beaucoup plus petite échelle, l’Hubris nous aura tués.