Contradictions du parti socialiste sur le nucléaire

Deux contributions thématiques pour le congrès d’octobre 2012 s’opposent fortement en matière énergétique. Des membres du CEA infiltrés dans le PS prônent le maintien du nucléaire (Pour une stratégie énergétique responsable), une autre contribution, à l’initiative du mouvement Utopia, la sortie du nucléaire (Sortir du nucléaire pour entrer dans le 21e siècle). Quelle est l’argumentation en présence, quelle conclusion faire valoir ?

Pronucléaires :

La France doit mettre sa compétitivité industrielle à l’abri des fluctuations des prix des hydrocarbures. N’entretenons pas l’illusion que des énergies renouvelables  intermittentes (éolienne et solaire) pourraient se substituer au nucléaire. L’Allemagne brûlera du charbon sans se préoccuper outre mesure du réchauffement climatique.

Les engagements du Président de la République, visant à ramener d’ici 2026 la production électronucléaire de 75 à 50 %, sont réalistes. Chaque arrêt de tranche nucléaire devra être précédé de la mise en service d’une capacité équivalente en énergie de substitution. La décision relative à la construction d’un deuxième EPR devrait être prise avant 2017. Si les énergies fossiles sont  prioritairement écartées, pour des raisons écologiques, il faudra avoir recours à des énergies renouvelables. Il y a lieu de privilégier le développement des ENR permanentes (hydraulique, géothermique, biomasse) par rapport aux ENR intermittentes (éolien, solaire). Une place de choix devra être réservée à la filière hydrogène dont dépendra, à terme, le développement des biogaz et des biocarburants (mais essentiellement à partir des algues et des feuillus à croissance rapide des jachères ou des sous-bois afin de ne pas créer des tensions sur les prix des végétaux comestibles) nécessaires à la compétitivité  d’un des secteurs les plus consommateurs d’énergie, celui des transports.

Les réacteurs de quatrième génération, qui n’arriveront à maturité que d’ici une quarantaine d’années, ne seront probablement pas construits en France. En revanche il est important que le CEA reste à la pointe des technologies relatives à ces réacteurs pour préserver la place de l’industrie française dans leur construction partout dans le monde. Dès à présent, les recherches doivent être menées, notamment par le CEA, pour offrir à notre pays, à partir de 2100, un large éventail de choix entre les énergies renouvelables permanentes, un nucléaire de fission qui n’exclut pas les réacteurs « à sels fondus au thorium» et le nucléaire de fusion.

Antinucléaires :

Au PS, malgré une légère évolution suite à l’accident de Fukushima, il est toujours aussi difficile de débattre de politique énergétique. La probabilité des risques augmente avec le vieillissement des centrales, le dérèglement climatique (sècheresse, augmentation des risques naturels…). Le nucléaire porte des risques si importants que l’humanité ne doit pas les prendre. Vers 1960, on nous disait que le problème des déchets allait être assez rapidement résolu. Un demi-siècle plus tard, le problème reste entier. Comment trouver un lieu sûr de stockage pour une durée quasi éternelle à l’échelle de l’Humanité ? Les déchets nucléaires représentent un cadeau empoisonné que nous allons léguer aux générations futures. Initialement autonome, la France a aujourd’hui exploité ses mines d’uranium jusqu’au dernier filon. Aujourd’hui, on importe tout l’uranium nécessaire au nucléaire.

« Le nucléaire permet de lutter contre le dérèglement climatique » ? Si la lutte contre ce réchauffement est un objectif de toute première importance, il est plus efficace de s’attaquer aux principales sources de réduction de CO2 : la sobriété, l’efficacité, dans les transports, par l’isolation des bâtiments, la relocalisation de la production d’énergie et la substitution à l’énergie fossile et nucléaire de l’énergie renouvelable. Rappelons que le nucléaire ne pèse que près de 3 % de l’ensemble de l’énergie finale mondiale. Le recours au nucléaire et la lutte contre le dérèglement climatique sont en réalité deux enjeux différents, mais l’investissement acharné dans le nucléaire empêche la recherche de l’efficacité énergétique et les solutions  renouvelables.

Le CIRED et WWF ont  analysé le scénario Négawatt 2006 qui permettrait de baisser les GES de 30 % d’ici 2020 tout en créant 684 000 emplois. L’industrie nucléaire emploierait aujourd’hui au maximum 100 000 personnes en direct, une centrale nucléaire dans sa phase de fonctionnement n’emploie que 250 personnes. En Allemagne, on estime que 340 000 emplois ont été créés ces 10 dernières années dans le domaine des renouvelable et de l’efficacité énergétique à la suite de la volonté de sortir du nucléaire.

Conclusion du mouvement Utopia

La renaissance du nucléaire, credo des communicants d’EDF, d’AREVA et du CEA, tient plus de la propagande que de la réalité industrielle. La dette d’EDF accroît la dette publique française et on paie l’électricité trois fois : en tant que contribuable pour la recherche appliquée et les infrastructures, en tant qu’usager pour la consommation et à nouveau en tant que contribuable pour le démantèlement et les déchets.

La «société nucléaire» se révèle pour ce qu’elle est : la soumission à un modèle de société productiviste, centralisé,  pyramidal, mettant la consommation au service de la production, dans une logique du toujours plus, incompatible avec l’écologie. La décision de sortir du nucléaire doit s’accompagner de mesures d’urgence : la fermeture des centrales à risques, l’abandon de l’EPR (chantier à Flamanville, projet à Penly), la restriction de la recherche dans le domaine de l’énergie nucléaire aux seules questions relatives au démantèlement ou à la protection des sites,  au stockage et à la gestion des déchets ainsi que l’affectation des budgets ainsi dégagés aux  projets avancés et prototypes d’énergie renouvelable (production, réseau de distribution intelligent, stockage), une négociation européenne pour l’arrêt du projet de réacteur thermonucléaire expérimental ITER sur la fusion nucléaire, un moratoire/arrêt  concernant les surgénérateurs de la 4ème génération (fin du projet ASTRID).

1 réflexion sur “Contradictions du parti socialiste sur le nucléaire”

  1. L’avenir du démantèlement des centrales nucléaires
    Il y a fort à parier que la plupart des centrales nucléaires ne seront en réalité jamais démantelées, mais uniquement laissée en place, devenant nos futurs territoires tabous, quand bien même le montant provisionné à ce jour serait correct. Car il faut une société riche d’énergie, de matériaux et de technologie pour avoir les moyens matériels d’un démantèlement. L’exemple spécifique de Superphénix est spécifique, mais néanmoins hallucinant : 3500 tonnes de sodium désormais radioactif maintenues en fusion depuis son arrêt pour être lentement et précautionneusement désactivées en soude.

    Pour les centrales « ordinaires », les estimations du démantèlement varient entre 200 millions et 3 milliards d’euros par réacteur. Le jour où il faudra réellement débloquer les sommes provisionnées, c’est-à-dire ni plus ni moins que des octets sur un compte électronique comme signes modernes d’un bon à tirer – malheureusement théorique – sur le travail et les ressources du futur, les moyens humains et matériels feront défaut.
    Philippe Bihouix, quelques extraits de son article Comment démanteler la mégamachine ?
    in Entropia n° 12, printemps 2012, Fukushima, fin de l’Anthropocène

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