Superbe, cette chronique d’Hervé Kempf*: « La croissance économique implique un fort dégât environnemental… Or l’idéologie dominante reste obsédée par l’objectif de maximisation de cette croissance… Mais la réduction du chômage par l’augmentation du produit intérieur brut est donc vouée à l’échec, d’autant que la hausse de la productivité réduit mécaniquement le besoin de travail… Du point de vue écologiste, l’enjeu prioritaire actuel de l’activité économique est de modérer son impact sur la biosphère, en raison de la gravité des conséquences de la crise écologique sur la société humaine… Un levier essentiel d’une économie écologique (c’est-à-dire visant la prospérité dans le respect de l’environnement) est le partage du travail… la recherche de « l’état stable » de l’économie (conceptualisé par Herman Daly) est souhaitable… » Quelques précisions avec cette préface d’un livre** écrite par Daly :
« Lorsque l’économie croît, elle devient plus grande. Et donc, cher économiste, à quel point ce quelque chose pourrait-il être grand à l’avenir ? Cette question n’est pas du tout posée. Le mérite de Prospérité sans croissance est de contribuer à combler cette lacune. Car qu’est-ce qui grandit exactement. Il y a certes le flux de biens et de services (le PIB), mais il y a également le flux métabolique des matières et d’énergie qui part de sources environnementales, traverse le sous-système économique de la production et de la consommation et qui revient dans l’environnement sous forme de déchets. Les économistes se sont focalisés sur le ¨PIB, ils ont négligé ce « throughput ». Le sous-système économique a donc acquis une taille réellement grande quand on le réfère à l’écosystème sur lequel il s’appuie.
Au vu de la longue tradition de léthargie intellectuelle des économistes universitaires, il n’est sans doute pas étonnant que le rapport qui a inspiré cet ouvrage soit le fruit d’une initiative gouvernementale. Si nous étions de vrais économistes, nous mettrions un terme à la croissance du « throughput » avant que les coûts sociaux et environnementaux qu’elle provoque ne dépasse les bénéfices qu’elle génère. Il y a fort à parier que certains pays sont désormais entrés dans une ère de croissance non économique qui accumule plus rapidement ses impacts négatifs qu’elle n’accumule de la richesse. C’est la raison pour laquelle on ne peut faire appel à la croissance pour combattre la pauvreté. Bien au contraire, elle rend plus difficile la lutte contre la pauvreté ! »
* LE MONDE du 15-16 janvier 2012, Emploi, les solutions par Hervé Kempf
** Prospérité sans croissance (la transition vers une économie durable) de Tim Jackson
(de boeck, 2010) ; 1ère édition 2009, Economics for a finite planet)
Herman Daly et le malthusianisme
Il peut être souligné que, à la différence des auteurs favorables à la décroissance, Daly ne craint pas d’aborder la question de la surpopulation. Il est en effet vraisemblable que les effets du principe de population de Malthus n’ont été que retardés grâce à l’énorme énergie auxiliaire dont l’économie humaine a bénéficié en se branchant sur les sous-sols de millions d’été de l’ère paléolithique : les énergies fossiles. Un seul baril de pétrole fournit potentiellement l’équivalent de 13 700 heures de travail humain. Une fois cette ressource en voie d’épuisement, le diable malthusien pourrait bien ressortir de sa boîte.
Toutefois une approche marchande, comme celle proposée par Boulding, n’est sans doute pas l’option politique la plus appropriée pour une question aussi délicate que la démographie. Boulding (1964) suggérait un marché des droits à la naissance, chaque couple disposant à l’origine d’un droit à 2,1 (démographie stationnaire). Dès lors, pour avoir droit à plus de deux enfants, un couple devrait racheter tout ou partie d’un droit à d’autres. Il serait plus judicieux de s’inspirer des mouvements néomalthusiens de libération de la femme pour une procréation consciente.
In Décroissance économique versus état stationnaire (Christian Ker)
Les propositions d’Herman Daly
Daly est aussi convaincu qu’il serait hautement profitable pour les humains de réaliser l’état stationnaire avant d’y être contraint. Il formule trois propositions :
– L’instauration de quotas sur les actifs physiques en déplétion afin de limiter le stock physique de biens manufacturés et de maintenir notre consommation en deçà des limites écologiques ;
– la création d’une institution redistributive afin de limiter à un niveau déterminé le degré d’inégalité dans la répartition des stocks;
– l’adoption de formes de contrôles des naissances, tels des droits à la procréation transférables.
In Décroissance économique versus état stationnaire (Christian Ker)