Notre protection contre l’industrie chimique repose sur des termes inaccessibles au commun des mortels : phtalate, bisphénol A, parabens, éthers de glycol, retardateurs de flamme bromés, composés perfluorés (PFC), Chrome VI, HAP (hydrocarbure aromatique polycyclique) aux effets cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques et perturbateurs endocriniens. Les polluants sont présents dans tous les objets du quotidien. Même les institutions censées prendre en charge notre protection se révèlent dépassées par la complexité des problèmes. A Bruxelles, la nouvelle stratégie du Green Deal vise un « environnement sans substances toxiques » à l’horizon 2030. A l’échelle de l’Union européenne (UE), environ 300 millions de tonnes de substances chimiques sont produites chaque année et la grande majorité (74 %) est considérée comme « dangereuse pour la santé ou l’environnement » par l’Agence européenne pour l’environnement. La direction générale chargée du marché intérieur et de l’industrie a pesé de tout son poids pour freiner cet élan réformateur. La chimie, quatrième secteur industriel en Europe (28 000 sociétés, dont les géants Bayer et BASF, un million d’emplois), est aussi un enjeu dans la bataille économique mondiale. Plus surprenant, la direction générale de la santé et de la sécurité sanitaire (DG Santé) s’oppose également au projet porté par la DG Environnement.
La DG Santé se dit « préoccupée » de « l’extension de l’approche fondée sur le danger dans la gestion des produits chimiques », proposée par la DG Environnement. Derrière ce jargon technique se cache une question fondamentale : l’approche fondée sur le danger (hazard based) consiste à réglementer un produit selon ses propriétés intrinsèques (par exemple cancérogène, reprotoxique, perturbateur endocrinien, etc.). La DG Santé, elle, dit préférer une approche fondée sur le risque (risk based) : dans ce cas, une molécule peut être utilisée, indépendamment de ses propriétés, si les évaluateurs du risque estiment que l’exposition de la population y sera très faible. Les commentateurs sur lemonde.fr nous éclairent :
Jean Jouet : Lla présentation du débat ‘approche DANGER , versus RISQUE’ interpelle. En sécurité, on identifie les dangers et on analyse les risques : si on se fie seulement au danger, alors on arrête tout travaux en industrie, mais on arrête aussi le ski de piste, l’alpinisme, la moto , etc… Pour la chimie : quid des médicaments ? à ce que je sache, la plupart si pas tous ont des dangers , parfois très graves. C’est pourquoi on analyse les risques et définit une posologie. Et pour les plus dangereux, on ne peut les acheter sans avis médical. Distinguer DANGER et RISQUE, c’est aussi faire une balance coût / bénéfice , et on doit être capable de prononcer ces deux mots sans y voir de suite la main du libéralisme débridé, mais simplement la traduction de ce que nous faisons tous les jours en tant qu’humain avant de décider.
Izy : Traduisons la novlangue orwellienne. La DG Santé est en fait la DG Maladie, la maladie étant son filon d’exploitation. Cela est conforme au fait que n’importe quel citoyen peut constater : l’industrie de la maladie a remplacé la politique de la santé.
Le sceptique : Aujourd’hui, on parle d’un environnement sans substances toxiques à l’horizon 2030. Hier, on parlait de mettre fin à l’érosion de la biodiversité à l’horizon 2030. Avant hier, quelques avait sûrement dû lancer qu’on pouvait stopper le réchauffement climatique à l’horizon 2030. Pourquoi l’environnement est-il un thème où l’on trouve normal d’énoncer des objectifs absurdes? En santé, on ne dit pas qu’il n’y aura plus de maladies en 2030. En économie, on ne dit pas qu’il n’y aura plus de chômage ou de crise en 2030. En diplomatie, on ne dit pas qu’il n’y aura plus de guerre en 2030. Je trouve que cela indique une certaine immaturité démocratique du thème de l’environnement. Soit c’est resté le truc superficiel où le technocrate se dit : « tiens, je dois combler un vide, pourquoi pas une grande promesse en l’air? ». Soit c’est un thème qui bloque une partie de la raison et conduit à des pensées sans recul.
Camille Pol @ le sceptique : Il demeure néanmoins plus réaliste de mettre en place une réglementation européenne interdisant les produits toxiques (et y parvenant) que de mettre en place une politique publique visant à supprimer le chômage ou la guerre (et y parvenant). Votre commentaire est effectivement révélateur d’une certaine immaturité démocratique du thème de l’environnement. Vous nous avez au moins épargné un argument de tendance néolibérale du type “Ces activités créent des emplois” (en se focalisant sur ceux qui permettent à des capitalistes de s’enrichir) sans prendre en compte les coûts supportés par la collectivité en terme de santé, bien évidemment !
Izy : À la décharge du sceptique, il faut noter que, pour paraître prévoyant et rationnel sans avoir la moindre volonté de l’être, le baratin technocratique ambiant fixe d’autant plus d’objectifs qu’il reste incapable de mettre en œuvre quelque moyen que ce soit pour les atteindre.
Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :
Chimiquement contaminé… et il n’y a pas de solution
4 mars 2018, Néocotinoïdes, le gourdin d’une agriculture chimique
15 décembre 2016, La pollution chimique imprègne nos corps et nos esprits
10 mars 2016, Collusion éhontée des pouvoirs avec l’industrie chimique
14 juin 2013, le point de non-retour grâce aux produits chimiques !
8 novembre 2011, Nanotechnologies, l’industrie passe avant la santé
– «Autant dire que notre civilisation thermo-industrielle imbibée de produits toxiques va s’effondrer sous le poids de sa propre complexité.» (Biosphère octobre 2018)
Eh oui. Si encore nous n’étions imbibés que de produits toxiques d’origine chimiques… Mais non, nous sommes intoxiqués à tous les sens du terme. Mais pas seulement intoxiqués. Parce que le monde n’a jamais été aussi complexe, parce qu’on nous raconte n’importe quoi, parce que tous les sons de cloches se valent etc. nous sommes déboussolés, perdus. Et bien sûr nous sommes apeurés, terrorisés, par tout et n’importe quoi. Et surtout fatigués, très fatigués. Bref, très malades.
– «Un danger est une propriété ou une capacité d’un objet, d’une personne, d’un processus… pouvant entraîner des conséquences néfastes […]
Le risque est la probabilité que les conséquences néfastes, les dommages, se matérialisent effectivement. Un danger ne devient un risque que lors qu’il y a exposition et donc, possibilité de conséquences néfastes.» (fr.linkedin.com)
Nous voilà donc bien avancés. Il ne faut pas alors s’étonner que «même les institutions censées prendre en charge notre protection se révèlent dépassées par la complexité des problèmes.» Ces 5 commentaires nous éclairent un peu, notamment les 2 d’Izy.
Comment croire une seconde, que toutes ces institutions (DG) puissent croire une seconde, qu’à l’horizon 2030 nous aurons un environnement sans substances toxiques ? Et en même temps sans bagnoles à moteurs thermiques, sans chômage, sans misère, sans guerres etc. Là encore tout se résume par Business as usual.