Oubliant Ivan Illich, nous sommes partis du mauvais côté

L’honnêteté oblige chacun de nous à reconnaître la nécessité d’une limitation de la procréation, de la consommation et du gaspillage ; mais il importe davantage d’abandonner l’illusion que les machines peuvent travailler pour nous ou les thérapeutes nous rendre capables de nous servir d’eux. La seule solution à la crise écologique est que les gens saisissent qu’ils seraient plus heureux s’ils pouvaient travailler ensemble et prendre soin les uns des autres. Une telle inversion des vues courantes réclame de qui l’opère du courage intellectuel. En effet, il s’expose à une critique qui, pour n’être guère éclairée, n’en est pas moins douloureuse à recevoir : il ne sera pas seulement traité d’anti-pauvre, mais aussi d’obscurantisme opposé à l’école, au savoir et au progrès. Je montrerai que le surpeuplement est le résultat d’un déséquilibre de l’éducation, que la surabondance provient de la monopolisation industrielle des valeurs personnelles, que la perversion de l’outil est l’implacable effet d’une inversion des moyens en fins.

Le débat unidimensionnel mené par les tenants de divers remèdes miracles, qui conjuguent la croissance industrielle et la techno-science, ne peut qu’alimenter l’illusoire l’espoir qu’en quelque façon l’action humaine convenable outillée répondra aux exigences de la survie. Une survie garantie bureaucratiquement signifierait l’expansion de industrialisation du tertiaire jusqu’au point où le guidage de l’évolution planétaire serait identifié à un système centralement planifié de production. Selon les partisans d’une telle solution, esprits portés à l’outillage, la conservation du milieu physique pourrait devenir le principal souci du Léviathan bureaucratique. Une telle réponse technocratique à la croissance démographique, à la pollution et à la surabondance, ne peut être fondée que sur un développement accru de l’industrialisation des valeurs.

Le rétablissement d’un équilibre écologique dépend de la capacité du corps social à réagir contre la progressive matérialisation des valeurs, leur transformation en tâches techniques. Faute de quoi l’homme se trouvera encerclé par les produits de son outillage, enfermé à huis-clos. Enveloppé par un milieu physique, social et psychique qu’il se sera forgé, il sera prisonnier de sa coquille-outil, incapable de retrouver l’antique milieu avec lequel il s’était formé.

Ivan Illich, La Convivialité (Seuil 1973)

7 réflexions sur “Oubliant Ivan Illich, nous sommes partis du mauvais côté”

  1. Didier Barthès
    Je suis évidemment d’accord avec cette citation de James Lovelock, et je partage aussi votre vision pessimiste. Toutefois je m’efforce de faire avec la Réalité, qui est ce qu’elle est… Heureusement qu’il reste encore du Beau !
    Ivan Illich , André Gorz, Bernard Charbonneau, Jacques Ellul … sont pour moi des références, bien que je ne les ai pas assez lus. (mes journées ne font que 24 heures)Ivan Illich a été un grand critique de la société industrielle. Selon lui la technique occupe la place de la religion. Et comme en Occident, Dieu est mort vers la fin du XIX ème siècle (Nietzsche l’ayant déclaré)…. le poste était libre. Bien entendu il y en a un autre, qui semble intemporel, Mammon le Dieu Pognon . Même pas la peine d’en parler ! Dans son oeuvre, Illich a développé le concept de la « contre-productivité » :
    – « lorsqu’elles atteignent un seuil critique (et sont en situation de monopole) les grandes institutions de nos sociétés modernes industrielles s’érigent parfois sans le savoir en obstacles à leur propre fonctionnement : la médecine nuit à la santé (tuant la maladie parfois au détriment de la santé du patient), le transport et la vitesse font perdre du temps, l’école abêtit, les communications deviennent si denses et si envahissantes que plus personne n’écoute ou ne se fait entendre), etc. »
    Illich était un prêtre catholique, son œuvre est donc très imprégnée de spiritualité, il parle beaucoup du sacré. De son côté Ellul, plutôt anarchiste, disait : « ce n’est pas la Technique qui nous asservit mais le sacré transféré à la Technique ».
    Je pense que le seuil critique dont parle Illich a été franchi au moment où le sacré a été transféré à la technique. C’est le moment où « nous sommes partis du mauvais côté » pour reprendre le titre de cet article.Nous pouvons historiquement retrouver cette époque, d’après moi c’est assez récent.
    C’est l’époque où on s’est mis à rêver qu’en l’an 2000 tout le monde aurait son hélicoptère et qu’on irait passer ses vacances sur Mars, que la technique mettrait un terme aux guerres, à la misère… bref que tout était possible. Au diable les limites !A peine quelques années plus tard certains ont tiré la sonnette d’alarme, le Club de Rome, Illich, Ellul et compagnie. En vain … il était déjà trop tard, le seuil venait d’être franchi. Nous retrouvons là la notion d’ « hubris » , cette folie que redoutaient tant les Anciens.
    Je ne peux pas dire ce qu’aurait été le Monde si … Adam Smith, Malthus, Marx, Illich… n’avaient jamais existés.
    Tout ce que je peux dire, c’est qu’ il continuerait de tourner.

  2. Bonjour Michel C,
    Je suis assez d’accord avec vous, encore que peut-être moins optimiste que vous sur ce que pourrait nous apporter un nouvel Adam Smith ou un nouveau Karl Marx qui chacun à leur manière ont réfléchi sur les choses économiques. Après tout, leur absence n’aurait sans doute pas changé grand chose à l’histoire du monde. Le mouvement de croissance aurait probablement suivi la même pente.
    En fait, je suis pessimiste car je crois beaucoup à cette phrase, tirée de « La Revanche de Gaïa » de James Lovelock : « Notre civilisation se trouve dans la situation de celui que la drogue tuera, qu’il continue ou cesse brusquement d’en consommer. »
    La drogue étant la croissance, je ne vois pas de solution acceptable et l’absence de solution ne l’est pas non plus.
    Je crains donc que nous n’allions vers un système de régulation par les catastrophes. Ce qui, vu à l’échelle des centaines de millions d’années, est sans importance, mais à la nôtre…

  3. Autant pour moi, grossière erreur !
    J’ai écrit 3 fois « LR » … au lieu de « LO » (Lutte Ouvrière).
    Probablement un lapsus en pensant à l’ancienne LCR … j’en parlerais à mon psy.
    LR (Les Républicains) avec qui je ne partage pas grand chose, ne se bat pas contre le Capitalisme, bien au contraire.

  4. Bonjour Didier Barthès

    J’ai eu l’occasion de discuter récemment avec des militants LR en campagne (j’aime discuter, et je suis bavard…)
    Bien que je partage avec eux de nombreux points de vue, j’ai pu constater encore une fois leurs lacunes en écologie. (ils ne sont pas les seuls)
    La décroissance … ils balaient ça tout simplement d’un revers de la main, en opposant les lieux communs habituels.

    LR se bat contre le Capitalisme, prône un certain communisme. Dit en passant, ce n’est pas parce que ça n’a pas marché ici ou là, que l’idée est à rejeter. J’ai déjà dit que nous aurions probablement besoin d’un nouveau Marx … je rajoute, d’un nouveau Adam Smith … qui remettrait tout ça à plat en prenant en compte les limites de notre planète.
    En parlant de tautologie, tout système productiviste ne peut pas durer.
    Le constat c’est que même au niveau mondial, nous avons dépassé les limites. Bien entendu le problème des inégalités reste entier, et nous qui avons la chance d’être du bon côté… nous nous sommes sacrément embourgeoisés. Et ces simples évidences, la raison ne PEUT pas les entendre !

    Le problème c’est que la solution qui consisterait à imposer la décroissance ( économique, démographique), la sobriété, la simplicité, tout ce que vous voudrez… ne pourrait pas fonctionner. Les individus (citoyens, consommateurs…) tiennent trop à leur liberté. Plus exactement à leur illusion de liberté
    Et « le Meilleur des Mondes » de Huxley nous conduirait inévitablement à ce « bonheur insoutenable » imaginé par Ira Levin.

    Il est bien tard , mais s’il y a bien une priorité, un objectif … c’est bien la « décolonisation des imaginaires » , le développement de l’esprit critique et la remise de l’utopie (la vraie) au cœur de la politique.
    C’est donc sur l’éducation, la culture que nous devons miser.

  5. Bonjour Michel C,

    Nous retrouvons là le débat qui nous anime depuis que nous discutons sur le site Biosphère.

    Si je dois reconnaître à Nathalie Arthaud la politesse d’avoir répondu à notre questionnaire (nous la remercions) ce qu’en effet n’ont pas fait la plupart des candidats et notamment les favoris, je ne peux, hélas, qu’être en désaccord avec elle sur le fond.

    Dire que le capitalisme est responsable des problèmes est une tautologie, bien sûr le système en place est par définition responsable des problèmes qui se posent effectivement.

    Pour autant, selon moi, le capitalisme est responsable par ce qu’il a permis la croissance, or Nathalie Arthaud me semble plus favorable à une forme de socialisme ou de communisme qu’à la décroissance.

    Il se trouve justement que je pense que tout système permettant aux hommes de consommer beaucoup et d’être nombreux conduirait aux mêmes dégâts que le capitalisme. Si le socialisme ou le communisme ont fait moins de dégâts (encore que, ils étaient bien peu respectueux de l’environnement et bien peu « propres » au regard de leur niveau de production). c’est avant tout parce qu’à terme, ils ont échoué et ont disparu.

    La meilleure répartition des richesses est un objectif moral (tout à fait respectable, je ne le mets pas en cause), il n’est en aucun cas un gage de meilleur respect de l’environnement. Imaginez que les 7 milliards d’humains aient chacun une petite voiture…que chacun bénéficie du même confort que la classe moyenne française… La biosphère ne le supporterait pas (et Biosphère. blog serait encore plus nécessaire !)

    Comme je ne suis pas par ailleurs un partisan de l’extrême pauvreté, comme je pense qu’il faut laisser de la place aux animaux, j’en déduis logiquement que capitalisme ou pas il faut impérativement être moins nombreux pour pouvoir donner plus à chacun.

    Il faut arrêter de penser qu’à chaque fois qu’un verre se brise, qu’un nuage se profile, qu’une tartine tombe du mauvais côté, c’est la faute du grand capital (Newton survivra à Marx !)

    Rappelons-nous que chaque fois qu’une société a essayé le socialisme, ses membres n’ont eu qu’une idée…. en sortir. Il n’y a presque que dans les sociétés non socialistes qu’on trouve (hors des membre de la classe dirigeante) des gens en faveur du socialisme.

  6. Bonjour Didier Barthès.
    Seulement 6 candidats vous ont répondu, et aujourd’hui de ces 6 il n’en reste que 2.

    J’ai lu avec attention la réponse de la candidate LR, Nathalie ARTHAUD, qui me semble t-il vous a répondu d’une manière claire et sincère.
    Je me retrouve dans bon nombre de ses arguments. Il ne fait pour moi aucun doute que le Capitalisme est le responsable du délabrement de l’environnement, tout comme du social, de la morale etc.
    Ceci dit je ne voterais pas pour elle. Cette fois, en tant qu’écolo… je vais m’essayer au « vote UTILE ».

    Quand elle dit « La « décroissance » c’est au mieux de l’angélisme », je lui répondrais la même chose au sujet de son combat contre la Capitalisme. Je trouve dommage que son mouvement ne porte pas davantage d’utopie.

  7. En parlant de la nécessité de limiter notre procréation, je me permets de renvoyer les lecteurs de Biosphère vers le site de Démographie Responsable où il verront (avant d’aller voter donc) toutes les réponses des candidats à l’élection présidentielle au questionnaire que leur a envoyé l’association
    http://www.demographie-responsable.org
    Six candidats ont donc répondu.

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