Faut-il débrancher les personnes sans conscience ?

La légalisation de l’avortement donne entièrement aux parents, et particulièrement à la femme, droit de vie et de mort sur une personne potentielle. Mais pour arrêter un acharnement thérapeutique sur un enfant se joue un subtil équilibre entre la volonté des parents, celle des médecins et la décision des juges.

Marwa, une petite fille de 15 mois, était atteinte de lésions neurologiques graves et irréversibles après avoir été victime d’un entérovirus foudroyant. Les médecins voulaient débrancher l’assistance respiratoire en place depuis le 25 septembre 2016. L’expertise médicale conclut le 1er décembre à une « atteinte neurologique sévère et définitive » de Marwa et prévoit à terme un « handicap majeur (…) avec une impossibilité de communication verbale ou non verbale ».* Le père refuse la réalité: « Marwa a fait beaucoup de progrès depuis quatre mois, on voit qu’elle veut vivre, il faut lui donner une chance ». A partir de là, il y a acharnement judiciaire. Cassant la décision prise, le 4 novembre, par l’équipe médicale, le tribunal administratif de Marseille ordonne, le 8 février, la poursuite des soins. L’AP-HM (Assistance publique-Hôpitaux de Marseille) saisit dès le lendemain le Conseil d’Etat. Appelé à trancher un « dilemme éthique », le Conseil d’Etat a tranché le 8 mars 2017. Il considère qu’il n’y avait pas d’« obstination déraisonnable », les médecins auraient dû attendre plus longtemps, et l’avis des parents doit prendre une « importance particulière »**. La loi ne prévoit pas en effet « l’accord » des parents, mais seulement « leur avis », afin de ne pas faire peser sur eux le poids d’un tel choix. Le conseil d’Etat considère que le terme « avis » est plus fort que le terme « accord » ! Nous soupçonnons cette justice-là de mettre le « respect de le vie » avant le respect de la dignité humaine, c’est-à-dire le fait d’avoir la possibilité d’une conscience consciente d’elle-même des autres. L’affectif serait plus fort que la profondeur des lésions cérébrales. Les parents de Marwa envisageraient d’hospitaliser leur fille chez eux. Ce serait juste d’ajouter « à leur frais » !

Rappelons-nous le cas d’Ariel Sharon, dans un coma irréversible. Les enfants refusaient le débranchement contre l’avis médical. Sharon a été maintenu en vie par les médecins pendant 8 ou 9 ans jusqu’à ce que l’hôpital demande à la famille de payer les soins … il a fini par être débranché. A l’heure où l’espèce humaine dépasse les 7 milliards de représentants sur une planète qu’elle a dévastée, l’arrêt des machines qui maintiennent artificiellement en vie des personnes aux frais des contribuables ne serait-elle pas une bonne chose ?

* LE MONDE du 2 mars 2017, Le Conseil d’Etat saisi d’un « dilemme éthique »

** LE MONDE du 10 mars 2017, Fin de vie : le Conseil d’Etat désavoue les médecins

6 réflexions sur “Faut-il débrancher les personnes sans conscience ?”

  1. @ biosphère
    D’accord avec ce que vous dites-là.Toutefois rien ne nous oblige à suivre les « priorités » des journaleux ou des politicards.
    Pour un véritable écolo, la priorité est de mettre un terme à ce système, ce système avec toutes ses conséquences néfastes, et aussi heureuses sur d’autres points. Ce qui ne veut pas dire que dans cet Autre Monde ( qu’il faut inventer et construire) tout ce que nous considérons aujourd’hui comme une avancée, un réel progrès, n’existerait plus. Mais là aussi il faudra trier, garder le plus précieux. Encore faudra t-il à ce moment là savoir faire la différence …
    Le rasoir électrique, les « soins » d’épilation et de « bien-être » … OK, tout ça à la poubelle !La compétition aussi, à la poubelle ! Tous ces calculs bassement comptables, avec !Place à la solidarité, à la simplicité, à la convivialité, à l’humanité, à la réflexion, à la lenteur !
    Dans ce Monde là notre rapport au pouvoir, au pognon, à la possession, au temps… serait tout autre. Notre rapport à la mort également. Nous aurions le temps d’y penser, d’apprendre à ne plus en avoir peur, ou plutôt, moins peur. Qui a dit que vivre c’était apprendre à mourir ? En effet, à quoi bon en avoir peur ? A quoi bon vivre branché à une machine ? Et à quoi bon vivre comme une machine ?
    Or nous ne sommes pas dans ce Monde là. Nous sommes dans celui-ci, l’actuel. Nous sommes dans ce système qu’il nous faudrait changer (renverser ?) , mais hélas nous n’avons pas de baguette magique.Et quand nous serons (nous = nos descendants) dans  » l’ère post-carbone « , les priorités seront dictées par le contexte. Sans la médecine moderne nous n’en serions pas discuter de ça ! Or aujourd’hui il est difficile de prévoir ce que sera exactement ce contexte, cette société… « Soleil vert », « Un bonheur insoutenable », « Mad Max » ?
    Mais d’ici là, si nous ne faisons pas l’effort de « décoloniser nos imaginaires » , si nous en restons toujours à cette lutte de tous contre tous, à cette manie de tout vouloir mettre en équation… alors en effet je crois que ce sera Soleil vert ou Mad Max !

  2. @ Michel C
    Oui, vous avez raison de rappeler que l’humanité consacre la plus importante de son énergie à élaborer des choses inutiles et pires encore.
    Ce débat sur les ressources à consacrer à la santé est donc bien (trop?) pointilleux, alors que la maison brûle.

  3. @Florian

    Peut-être aussi ma dernière phrase est-elle mal tournée…
    En ce qui me concerne, les questions en elles-même ne me posent aucun problème.
    Toutefois je les place dans un certain ordre de priorités. Personnellement, j’estime que nous avons bien d’autres questions à nous poser, bien plus prioritaires.

    Nous avons en effet des moyens techniques pour beaucoup de choses.
    Pour faire de belles choses comme des plus horribles, bien au delà du raisonnable là-aussi ! Tous ces moyens coûtent de l’argent évidemment. Et nous sommes allés trop loin sur bien des domaines, je vous l’accorde. Regardons les dépenses militaires, qui ne cessent d’augmenter ! Deuxième budget mondial après celui de la Défense, la publicité ! (500 milliards de dollars annuels ) Regardons les profits, le nombre de milliardaires, les inégalités, les injustices, la misère dans le monde etc, etc, etc.

    Doit-on arrêter de s’armer ? Doit-on réduire les budgets militaires ? Et ceux de la pub ? Doit-on limiter les profits, le nombre de milliardaires ? Et si oui, comment ? etc, etc !
    Ces questions sont-elles légitimes ? Sont-elles prioritaires, secondaires … ?

    Je pointe seulement un danger à aborder la question de l’euthanasie (délicate et personnelle, je le redis !) sur un plan comptable. La même question se pose également en ce qui concerne certains grands criminels jugés irrécupérables. Et après, en suivant cette logique comptable, ça serait qui ?

    Pour en revenir à votre crainte, celle de « se retrouver à l’avenir dans une situation vraiment dangereuse et hors de notre contrôle »… je crains hélas que nous y soyons déjà.
    Reste la question, délicate et personnelle elle-aussi : Quel avenir, et quelle fin … souhaitons-nous à notre espèce ? Une fin honorable, ou bien lamentable ?

    1. Michel C : « Nous avons bien d’autres questions à nous poser (autres que l’euthanasie), bien plus prioritaires. »

      La hiérarchisation des informations est un problème de journaliste (quoi mettre en Une ?) ou de politique (quoi mettre à l’agenda ?). Pour un écologiste, conscient de la multiplicité des problèmes et de leur interconnexion, il faut tout reprendre dans l’autre sens dans une société grisée par l’enrichissement temporaire à base de ressources fossiles. Dans l’ère post-carbone qui s’annonce, il faudra remettre en question la possibilité de soins médicaux dispendieux, notre regard sur la mort ou même le système d’une retraite financée collectivement. Cela n’implique pas qu’il ne faut pas lutter aussi contre le nucléaire militaire, les exportations d’armement ou l’existence même d’une armée. Sans parler du rasoir électrique qui est vraiment une dépense absolument superflue, sans compter les « soins » d’épilation…

  4. Poser la vie en termes comptables est certes inconfortable, mais est-ce mieux de ne pas poser la question? Nous avons tous une aversion instinctive pour la mort et sommes par réflexe programmés pour toujours vivre un peu plus même si la situation est devenue ridicule.
    Nous avons les moyens techniques de faire vivre des morts vivants ou des êtres purement symboliques au delà du raisonnable. S’il n’y a pas de réflexion sur les moyens (moyens qui se traduisent en thermes de coûts, même si on constate que certains écologistes ont l’argent en horreur), l’asservissement à notre instinct nous amène beaucoup trop loin… (c’est le même problème avec la reproduction).
    La dernière phrase est à mon avis seulement mal posée. Plutôt que parler des frais du contribuable, demandons quelle fraction de la production de la société peut être consacrée à prolonger la vie… dans un monde contraint, c’est nécessaire, d’autant que nous sommes déjà allés trop loin comme le montre l’exemple de l’article.
    A refuser de se poser des questions dangereuses est le meilleur moyen de se retrouver à l’avenir dans une situation vraiment dangereuse et hors de notre contrôle! Je préfère me poser la question en amont et de « seulement » prendre un risque.

  5. La dernière question me fait vraiment peur.

    –  » l’arrêt des machines qui maintiennent artificiellement en vie des personnes aux frais des contribuables ne serait-elle pas une bonne chose ?  »

    Je précise d’entrée, pour ceux qui voient le Monde de façon binaire, manichéenne… que ce je dis là ne me place pas de fait dans le camp des opposants au droit de mourir dans la dignité.

    Voilà que maintenant on met la vie d’une personne dans une équation comptable !
    On sait depuis un moment ce que coûtent ces machines, combien elles nécessitent de matières, d’énergie, de personnes pour les faire fonctionner ( personnes payées par le contribuable)… il ne reste donc plus qu’à calculer si l’opération « vaut le coup ».

    Oui mais voilà… Combien ça vaut (coûte) une vie humaine ?
    Eh bien… comme toutes choses en ce bas monde ! Prenons un chou, un hibou, un joujou… Leur valeur variera selon un tas de critères : l’ aspect, frais ou flétri… l’ âge, jeune ou vieux… l’ utilité, indispensable ou obsolète… etc.

    Voilà où nous mène ce sujet délicat, à nous poser ce genre de questions particulièrement dangereuses.

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