J’ai l’impression que l’humanité s’engage dans une impasse, mais il n’y a encore personne pour le dire clairement. Robert Prehoda montrait en 1967 (Designing, the future, the role of technological forecasting) que la prolongation des courbes indique que la quantité d’énergie sur terre dépassera en 1994 celle rayonnée par le soleil, que les vaisseaux spatiaux atteindront le vitesse de la lumière en 1998 et que l’espérance de vie approchera l’immortalité en l’an 2000 ; en l’an 3900, la population humaine formera une masse se propageant par sa propre croissance aussi vite que la lumière ! Notre monde est absurde, mais nous ne le savons pas encore.
Fin 1971, j’acquiers plus de confiance en moi. J’ai même une fâcheuse tendance à croire que j’ai toujours raison quand on discute de problèmes existentiels. Je pense avoir raison à cause des études prolongées auxquelles je me suis astreint, philosophie, droit, économie, connaissance de tous les mouvements politiques, communiste, anarchiste, UDR, PSU, SDS, Black Panthers… En fait je deviens super-chiant aux yeux de mes copains-copines. Et mes recherches tout azimut ne m’empêchent pas de me tromper. En novembre, j’estime que la tribu amazonienne ou la communauté de l’Arche sont des anachronismes voués à disparaître car non intégrés au mouvement général de l’humanité. Mon état d’esprit cosmopolite et global m’empêchait de voir la force du local et de la diversité culturelle.
Nous avions déjà en 1971 une condamnation du catastrophisme qui nous faisait oublier la réalité de la catastrophe ! Ainsi Louis Pauwells, dans sa Lettre ouverte aux gens heureux et qui ont bien raison de l’être (Albin Michel, 1971) : « Aliénation, pollution, surpopulation, sont des mythes. La grande injustice faite au Tiers Monde est aussi un mythe ». L’idée générale, « on n’arrête pas le progrès matériel ». Par exemple cette anecdote relatée par Pauwells : « Au début du XIXe siècle, Stephenson eut l’idée de mettre la locomotive à vapeur sur des rails. Un banquier, réticent, demanda : Et si une vache se met sur les rails ? Si une vache se met sur les rails, eh bien tant pis pour la vache ! » Pauwells prend un autre exemple : « Un bébé américain apporte plus de pollution dans le monde que 1000 bébés asiatiques. Il conviendrait donc d’arrêter l’industrie et de ne plus faire d’enfants. C’est la thèse de la croissance zéro. Mais les chefs syndicalistes en Amérique estiment qu’avec 5 millions de chômeurs, 12 millions d’assistés sociaux et 28 millions de logements à construire, les USA ont autre chose à faire que des grèves anti-progrès… Je crois que la vraie menace est l’invasion des élites occidentales par la sinistrose. » Quarante ans plus tard, les discours resteront malheureusement les mêmes. Mais je suis devenu un expert de la pédagogie de la catastrophe ! (à suivre)
NB : pour lire la version complète de cette autobiographie, ICI