Fragments de vie, fragment de Terre (suite)

Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.

La communauté de résilience, un idéal à atteindre

Quelques idées générales : En 1972, le rapport du MIT au club de Rome a dénoncé la course à la croissance en démontrant les limites de la planète. Depuis 1974 et le premier choc pétrolier, nous savons que notre civilisation dépend du pétrole. Depuis 1990 et le premier rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), nous savons que l’humanité va faire face à un réchauffement climatique. Nous savons aussi de façon scientifique que le choc des hydrocarbures n’est qu’une partie des dégradations écologiques qui menacent nos sociétés. Comment agir efficacement ? L’échec des conférences internationales et les inerties gouvernementales montre que cette voie est trop lente. Pratiquer à l’échelle personnelle la simplicité volontaire semble nécessaire, mais c’est insuffisant. Ce qui me semble le plus pragmatique, c’est d’agir directement au sein de sa communauté d’appartenance pour en restaurer la résilience, la capacité de résister aux chocs.

Ce paradigme ou modèle de référence porte des noms différents : Communautés intentionnelles ou Ecovillages ou Agenda 21 local ou Towns transition ou Plan climat ou Cités jardins ou communautés de résilience … La profusion des termes montre la richesse de cette alternative à l’ère de la fin des combustibles fossiles. Il ne s’agit pas d’une nouvelle théorisation, mais d’une pratique applicable au Nord comme au Sud, par les gens de droite comme par les gens de gauche, par les urbains et les paysans, par les chefs d’entreprise et par les travailleurs. Tout le monde est concerné puisqu’il s’agit de rendre notre avenir convivial et durable.

Mon projet maintenant, en 2011, faire de ma ville, Angoulême, et de son territoire une communauté de résilience. Il s’agit de tendre à l’autonomie territoriale en matière alimentaire et énergétique pour pouvoir supporter le choc des jumeaux hydrocarbures, pic pétrolier et réchauffement climatique.

En fait, c’est un certain retour à la terre comme le prônait certains dans les années 1970. A cette époque, je n’étais pas favorable à une telle idée. J’écris le 13 avril 1971 à Pierre Fournier, l’écolo de service à Hara-Kiri : « D’accord, avec l’urbanisation de la campagne la vie s’accorde de moins en moins directement aux rythmes biologiques et naturels… Mais on n’est pas obligé d’être toujours d’accord, tu fais ta révolution à la campagne, je la fais en ville, en faisant à la fac des exposés genre : j’ai plus rien à vous dire… discutons maintenant ! » J’aimais bien la nature, mais les communautés rurales ne me branchaient pas. J’avais choisi de devenir professeur de SES alors que mon ami José Bové s’installait paysan au Larzac.

En mars 1972, j’assiste à la fac de sciences à une conférence de Grothendieck, l’un des plus grands mathématiciens du XXe siècle. Il nous confie qu’il va vivre en communauté : « L’avenir est dans les phalanstères, autonomes, agricoles, sans centralisation. La science ne peut plus sauver notre civilisation des grands bouleversements qui nous attendent. Il faut abandonner les études et mettre sur pied des communautés viables, c’est-à-dire équilibrés avec leur environnement. » Son message va me trotter dans la tête toute ma vie. Son message est partagé à l’époque par Pierre Fournier. La Gueule ouverte, mensuel écologique « qui annonce la fin du monde », apparaît pour la première fois en novembre 1972.

Dans son premier éditorial, Pierre hésite entre rester journaliste et devenir homme des bois : « La GUEULE OUVERTE est virtuellement née le 28 avril 1969. J’étais dessinateur et chroniqueur à Hara-Kiri hebdo, payé pour faire de la subversion et lassé de subvertir des thèmes à mes yeux rebattus, attendus, désamorcés à l’avance…. La grande fête à Bugey (ndlr, manif autour d’une usine atomique) fut un révélateur. Tout nous semble avoir concouru à sa réussite : l’ordre et le désordre, le refus des discours, le refus de la violence et le refus du spectacle, le nudisme ingénu, le partage et la rencontre. Tout y était en germe. Le sit-in de six semaines, face à l’usine, à ses esclaves et à ses victimes, enracina chez les participants à l’action le besoin irrépressible de CHANGER LA VIE… A peine sorti le premier numéro, voici que nous assaille la tentation de tout remettre en cause, de pousser plus loin, beaucoup plus loin que d’autres, un désengagement, tentation de se consacrer, enfin, à couper notre bois, à faire notre pain, à retourner à l’homme des bois : la disproportion des forces en présence impose, à qui refuse l’inéluctable, une radicalité sans cesse plus affirmée. »

Le 15 Juin 1972, j’avais découpé dans le quotidien Sud-Ouest cet entrefilet sur les Amish : « Qui sont donc ces Amish auxquels la Cour suprême américaine vient de donner officiellement le droit, en plein âge nucléaire, de continuer à vivre en un temps révolu et de le perpétuer à travers leurs enfants ? Pas un moteur dans ces fermes. Pas un tracteur, pas une automobile. Ni radio, ni télévision, ni téléphone, ni réfrigérateur, ni aspirateur, ni d’ailleurs d’électricité, de gaz ou d’eau courante. Seule source d’énergie en vue, un occasionnel moulin à vent. »

Totalement autonomes, les Amish vivent en micro-autarcie. Un choc pétrolier ne mettrait pas du tout en péril cette communauté qui continuerait à vivre de la même façon. Mais le ciment de la communauté Amish repose sur un ordre religieux. Dans notre société laïque, ce n’est pas acceptable. Mon athéisme se révulse. J’avais bien apprécié la vie à la campagne avec mes grands-parents : du côté maternel manger les cerises dans l’arbre, du côté paternel mettre les asperges sous le sable pour les conserver, ramasser à la main les doryphores … Mais les lycées n’existent pas à la compagne, j’étais un homme des villes, et même du centre ville de Bordeaux pendant mes 25 premières années.

Cela ne m’a pas empêché de planter des arbres fruitiers dans la maison de famille de ma femme, mais mes différents militantismes occupaient tout mon temps et rétrécissaient ma pensée. Ce n’est qu’en 2011 que j’ai compris, Grothendieck avait raison : « L’avenir est dans les phalanstères, autonomes, agricoles… Il faut mettre sur pied des communautés viables, c’est-à-dire équilibrés avec leur environnement. »

C’est à cette échelle locale que nous échappons au dilemme de l’individu et de l’Etat. La simplicité volontaire n’est pratiquée que par quelques individus en marge, sans effet d’entraînement sur le reste de la collectivité. L’Etat applique encore les modalités anciennes du productivisme, moteur de gaspillage de l’énergie à l’opposé de la nécessaire descente énergétique. L’échelon intermédiaire du collectif territorial s’impose. Utopie ou réalité ? (la suite, demain)

Une vision d’ensemble de cette autobiographie :

Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE

00. Fragments préalables

01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion

02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas

03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !

04. Premiers contacts avec l’écologie

05. Je deviens objecteur de conscience

06. Educateur, un rite de passage obligé

07. Insoumis… puis militaire !

08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales

09. Du féminisme à l’antispécisme

10. Avoir ou ne pas avoir des enfants

11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs

12. Ma tentative d’écologiser la politique

13. L’écologie passe aussi par l’électronique

14. Mon engagement associatif au service de la nature

15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience

16. Ma pratique de la simplicité volontaire

17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes

18. Techniques douces contre techniques dures

19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie

20. Une UTOPIE pour 2050

21. Ma philosophie : l’écologie profonde

22. Fragments de mort, fragment de vie

23. Sous le signe de mon père

2 réflexions sur “Fragments de vie, fragment de Terre (suite)”

  1.  » L’Etat applique encore les modalités anciennes du productivisme, moteur de gaspillage de l’énergie à l’opposé de la nécessaire descente énergétique »

    Hormis que l’État sera puni et châtié par Dame Nature qui n’a fourni qu’un budget fini d’énergies fossiles ! Plus on en consomme rapidement et plus rapide sera la pénurie ! Si j’ai un budget de 1000 bonbons et qu’en j’en mange 50 par jour, j’ai fini la boite au bout de 20 jours, ce qui est différent que d’en manger 10 par jour où la boite sera terminée au bout de 100 jours ! Et ben pour les énergies fossiles, exactement pareil, d’autant qu’on est de plus en plus nombreux sur Terre a consommer de plus en plus d’énergies fossiles alors qu’il y en aura de moins en moins. Vu qu’on a franchi le pic pétrolier conventionnel en 2008, autant dire que l’autre moitié de pétrole sera épuisé encore plus rapidement qu’on aura épuisé la première moitié.

    1. Cette semaine les journalistes se sont réjouis en marquant ceci « La demande de pétrole devrait atteindre un nouveau record cette année », ça les rassure qu’on ait augmenté la production cette année, en battant le record de production ! Ils ne réalisent même pas qu’on va tarir la ressource plus vite que prévu ! Ils ont encore plus de croissance ils sont contents ! Que des idiots ! A noter aussi que les nappes de pétrole ne sont pas sur notre sol en Europe ! Autrement dit, ceux qui détiennent les gisements vont vouloir garder les dernières réserves pour eux-mêmes ! Les européens seront à la diète avant tout le monde !

Les commentaires sont fermés.