Cette autobiographie de Michel SOURROUILLE, « Fragments de vie, fragment de Terre (Mémoires d’un écolo) », est éditée chaque jour par épisode sur ce blog biosphere tout au cours des mois de juillet et août.
L’océan n’existe que par ses gouttes d’eau
Selon l’anthropologue Margaret Mead, nous sommes passés d’une société post-figurative où l’idéal est de suivre l’exemple des ancêtres à une société co-figurative où les modèles culturels sont pris parmi les contemporains : la vedette, le héros. Cependant l’adulte y est encore considéré comme un modèle. Nous assistons à la fin de cette époque. Nous entrons dans une troisième période, qui est pré-figurative. Les adultes ne gouvernent plus rien parce que le monde où ils vivent leur est inconnu. Il s’établit un dialogue continu jeunes-adultes pour aller en direction d’un futur indéfinissable.
J’écrivais le 6 janvier 1971 : « Les adultes doivent savoir qu’ils ne se sentiront plus tout à fait chez eux dans un monde qui sera de plus en plus soumis aux valeurs et aux opinions de la jeunesse. »
Nous avons connu par la suite le dérapage qui a transformé les enfants en prescripteurs de dépenses… enfants victimes en réalité du système marchand ! Alors pourquoi pratiquer la simplicité volontaire quand le monde entier se jette dans une frénésie productiviste et une boulimie d’achats ? Je prends portant personnellement plus d’assurance dans mes convictions, guidé par ma tendance à être à contre-courant. Je fais mienne la devise, quand la majorité a tort, c’est une minorité qui montre le chemin de l’avenir. Plus tard tout le monde suivra le même chemin si les conditions s’y prêtent. Peu importe dorénavant pour moi le résultat puisque le chemin que je trace est celui que je le pense juste. Je suis bien conscient de n’être qu’une goutte d’eau au milieu de plus de six milliards d’humains(ndlr : 8 milliards en 2022) ; mais un océan n’existe que par ses gouttes d’eau.
La simplicité volontaire que je pratique se voit déjà à des signes extérieurs. J’ai gardé la barbe très tôt. Je trouvais cela naturel, ça pousse, c’est bien. J’avais aussi des motivations familiales : ma barbe et mes cheveux longs ne plaisaient pas à mes parents. Plus tard, j’ai appris les raisons profondes de ne pas se raser. Pour les garçons la transformation du duvet en barbe révèle la fin de l’adolescence et l’identité masculine, un véritable ancrage dans une spécificité corporelle. Mais les garçons sont victimes d’une instrumentalisation : l’absence de poils est devenu le cœur d’une nouvelle cible, à des fins mercantiles. On a inventé les rasoirs mécaniques ou électriques, bravo les ingénieurs au service du profit ! Comme l’exprimera Georgescu-Roegen, « Il faut nous guérir du circumdrome du rasoir électrique, qui consiste à se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore, et ainsi de suite à l’infini… Il est important que les consommateurs se rééduquent eux-mêmes dans le mépris de la mode. » La femme de son côté se veut moderne, elle enlève tous ses poils. D’abord elles ôtèrent les poils du mollet, c’était dans les années 1920 avec les robes plus courtes et les premiers bains de mer. Et puis les maillots couvrant de moins en moins de chair, ce fut l’épilation de la jambe entière et même des poils du pubis qui ne pouvaient dépasser. Aujourd’hui les jeunes filles deviennent adeptes de l’épilation intégrale. Mais pourquoi se raser ? Celles qui se dénudaient à Woodstock étaient à l’aise dans tous leurs poils.
Dès que j’ai eu mon propre logement, j’ai fabriqué mon lit avec un châlit de bois brut ; une caisse en carton servait de table de nuit. J’utilise depuis 1975 la bibliothèque que j’ai confectionnée en clouant quelques planches. Elle me sert toujours aujourd’hui (en 2023), contenant uniquement des livres centrés sur l’écologie, lectures qui se sont substituées aux manuels d’économique, de sociologie, de politique. Je monte et descend les escaliers au lieu d’emprunter escalators et ascenseurs, j’allume une seule lampe à la fois pour l’éteindre dès que possible, je minimise l’usage des appareils électriques, j’ai toujours choisi de me domicilier près de mon lieu de travail pour y aller à pied, j’ai arrêté de lire romans et fariboles, je suis sur le chemin du renoncement. Je mange moins de viande et je mange moins, je diminue une consommation de vin qui ne sert à rien, je refuse le portable et la carte bancaire, je ne pars plus en avion et limite mes excursions, je commence à écrire au crayon à papier pour peser le moins possible sur la planète, etc. Le chemin du renoncement est un parcours difficile car il n’a comme limites que les limites de ma force intérieure.
Il n’y a pas de modèle d’existence en soi, je pourrais vivre comme Diogène, dans son tonneau. Ce « Socrate en délire », comme le surnommait Platon, marchait pieds nus en toute saison, dormait sous les portiques des temples et avait pour habituelle demeure un tonneau. Il dit un jour en abandonnant son écuelle : « Cet enfant qui boit dans le creux de sa main, m’apprend que je conserve encore du superflu ». Ce philosophe pratiquant (ce qui est une extrême rareté) voulait renverser les valeurs dominantes pour transformer la prétention humaine en humilité. Il justifiait sa conduite en affirmant que les hommes s’imposent des efforts démesurés en oubliant de vivre simplement et sainement selon la nature. Ayant vu un jour une souris qui courait sans se soucier de trouver un gîte, sans crainte de l’obscurité, et sans aucun désir de tout ce qui rend la vie agréable, il la prit pour référence. Selon sa conception de l’existence, l’animal qui ne se crée pas de besoins serait supérieur à l’homme prisonnier de ses désirs et de ses angoisses. Le bonheur résiderait dans la simplicité totale et l’autarcie, se suffire à soi-même.
Si tout le monde voulait imiter Diogène, même un tout petit peu, la Biosphère s’en porterait bien mieux. Il faut sortir de la surconsommation non seulement pour des raisons philosophiques, mais aussi pour faire face à la pénurie croissante de ressources naturelles. Aujourd’hui la simplification du mode de vie commence à se répandre, ce n’est plus une attitude réservée à des marginaux. Le mensuel « La décroissance », auquel je suis fidèle depuis son origine, présente à chaque fois un témoignage d’expérience vécue dans la simplicité volontaire. Dans un numéro, il s’agit de Laetitia et Alessandro qui cultivent leur potager. Alors qu’avant ils mangeaient de la viande à tous les repas, ils n’en achètent plus. Ils n’ont pas de voiture et mangent bio le plus souvent possible. Mais comme personne n’est parfait, ils vont souvent au cinéma. Ils se définissent comme des déserteurs du travail qui se contentent du RMI.
Même LE MONDE consacre parfois une rubrique à ces sentinelles de l’avenir. Toute une page le 17 décembre 2008 pour Joan Pick, dont l’objectif depuis 1973 est « zéro carbone » : pas de voiture bien sûr, mais aussi pas de réfrigérateur, pas de chauffage, pas de télévision, ni même de douche. Noix et germes de blé forment l’essentiel de son alimentation. Joan va beaucoup plus loin que moi dans la voie du renoncement ! (la suite, demain)
Une vision d’ensemble de cette autobiographie :
Mémoires d’un écolo, Michel SOURROUILLE
01. Un préalable à l’action, se libérer de la religion
02. Une pensée en formation, avec des hauts et des bas
03. En faculté de sciences économiques et sociales, bof !
04. Premiers contacts avec l’écologie
05. Je deviens objecteur de conscience
06. Educateur, un rite de passage obligé
07. Insoumis… puis militaire !
08. Je deviens professeur de sciences économiques et sociales
09. Du féminisme à l’antispécisme
10. Avoir ou ne pas avoir des enfants
11. Le trou ludique dans mon emploi du temps, les échecs
12. Ma tentative d’écologiser la politique
13. L’écologie passe aussi par l’électronique
14. Mon engagement associatif au service de la nature
15. Mon engagement au service d’une communauté de résilience
16. Ma pratique de la simplicité volontaire
17. Objecteur de croissance, le militantisme des temps modernes
18. Techniques douces contre techniques dures
19. Je deviens journaliste pour la nature et l’écologie
21. Ma philosophie : l’écologie profonde
« Même LE MONDE consacre parfois une rubrique à ces sentinelles de l’avenir. Toute une page le 17 décembre 2008 pour Joan Pick, dont l’objectif depuis 1973 est « zéro carbone » : pas de voiture bien sûr, mais aussi pas de réfrigérateur, pas de chauffage, pas de télévision, ni même de douche. Noix et germes de blé forment l’essentiel de son alimentation. Joan va beaucoup plus loin que moi dans la voie du renoncement ! (la suite, demain) »
Il n’y a pas grand monde qui va accepter ce programme de renoncement !
Pas de chauffage ? Probablement plus simple à vivre à Marseille que dans le nord de la France, les Alpes, et la Scandinavie ou Russie ? Si tout le monde tombe malade à cause du froid, je ne vois pas l’intérêt ?
Pas de frigo ? Il faut bien dire que le froid aide grandement à conserver les aliments, sans frigo, il y aura forcément plus de pertes alimentaires !
Et surtout le frigo est une machine qui a beaucoup contribuer à la libération de la femme ! Vont elles vouloir y renoncer ? Sans frigo, c’est le retour des femmes qui vont faire les courses quotidiennes avec un panier en osier ! Car procéder à la conservation des aliments dans des bocaux à la maison ça prend du temps ! Donc on peut dire que c’est le retour des femmes en cuisine !
J’ai hâte de voir les têtes déconfites des écolo-féministes dans un monde sans voiture, sans chauffage, sans frigo, sans douche et tout ça dans un monde sans rasoir à épiler !!! Bref, les écolo-féministes bobo parisiennes ne savent même pas de quoi elles parlent chez Europe-Ecologie ! C’est plus facile de faire de l’écologie politique et idéologique avec des mots que de passer à l’action écologique !
Le but du jeu n’est pas ici de savoir combien accepteraient le programme (ou le régime) de Joan Pick… ni de savoir ce que deviendraient les femmes (les bécasses comme Tu dis)… mais juste de comprendre que « Si tout le monde voulait imiter Diogène, même un tout petit peu, la Biosphère s’en porterait bien mieux.»
Sauf qu’imiter Diogène, même un tout petit peu… ne veut pas seulement dire faire le colibri. Faire le colibri (sa petite part de colibri), certes c’est déjà ça. En plus et en même temps ça permet de se mettre en paix avec sa petite con science, ce qui n’est pas rien. Seulement ça ne fait pas pour autant de Toi un Diogène. Ni un vrai écolo d’ailleurs.
Je suis moins pire que toi en terme d’écologie, car je ne roule pas en bagnole contrairement à toi !