La décroissance est devenue en 2021 un thème de présidentielle, voici quelques éléments de réflexion pour mieux percevoir cette rupture conceptuelle.
Timothée Parrique : La décroissance est bien plus qu’une simple réduction du PIB. L’économie actuelle ressemble à une voiture lancée à pleine vitesse contre un mur écologique. L’urgence est de ralentir avant l’accident. L’objectif est de construire une économie où la production serait socialement utile et écologiquement soutenable : réduction du temps de travail, relocalisation de la production, rationnement du budget carbone… Pour les décroissants, le niveau de PIB par habitant de la France est démesurée par rapport aux capacités des écosystème. Passé une certaine taille critique, toute activité économique – aussi désirable soit-elle – devient écologiquement problématique. Au sein du mouvement écologiste, si Delphine Batho défend la décroissance, les autres candidats s’y opposent. Mais ils connaissent mal le sujet, qu’ils réduisent à une croissance négative du PIB.
Michel Lepesant : Nous n’éviterons pas un monde à + 1,5 °C (entre 2030 et 2040), explique le GIEC. La réponse politique consiste à cesser de faire de la croissance du produit intérieur brut (PIB) notre boussole. Cet indicateur est devenu une idéologie au service du monde de la croissance. Or tout gain de croissance est corrélé à une dégradation de l’empreinte écologique (EE). Pire, le « jour du dépassement » en 2021 a eu lieu le 29 juillet. Il n’est donc pas devant nous, mais derrière nous. Désormais chaque humain doit se sentir responsable et s’efforcer de repasser sous ce seuil : c’est cela qui s’appelle la « décroissance ». Il s’agit bien d’une crise économique. Une récession correspond au recul du PIB pendant au moins deux trimestres consécutifs. Quand une récession est grave et durable , elle devient une dépression. Quelle devra être la durée de ce recul ? Le temps de revenir à une EE soutenable. En France, l’EE est de 1,8 planètes par rapport à la biocapacité française et de 2,9 par rapport à la biocapacité mondial. Avec un taux de décroissance de 10 % par an, il faudra près de 40 trimestres de récession si on part d’une EE de 2,9. Pas grave, ce sera une vie où chacun pourra préférer les dimensions du commun, de la coopération, de la convivialité, de la sérénité plutôt que de fétichiser l’individualisme, la concurrence, la rivalité, l’agitation…
François Jarrige : Chaque société a ses tabous comme le mot « décroissance », sans cesse disqualifié depuis vingt ans. Anxiogène, peu mobilisateur, négatif, punitif, tous les qualificatifs pour le discréditer ne peuvent résister au constat implacable selon lequel l’accumulation matérielle atteint ses limites et nous pousse vers l’abîme. Les grands médias s’intéressent aujourd’hui à la décroissance après des décennies de déni. Ils y sont évidemment poussés par la force des choses, alors que les pires prévisions, répétées depuis des décennies par ceux qui se disaient « décroissants », ne cessent de se confirmer, alors que s’impose l’urgence d’une réduction massive des émissions de CO2, c’est-à-dire de la plupart des flux de matières qui constituent le fondement de nos existences. Longtemps, l’idée même de croissance économique n’avait aucun sens. Jusqu’au XIXe siècle, les sociétés vivaient dans un monde relativement stable, gérant la pénurie et des ressources contraintes. Mais l’accumulation matérielle s’intensifie au milieu du XXe siècle. Sa mesure par le PIB est inventée par Simon Kuznets en 1934. La théorie économique se développe ensuite en laissant de côté les effets délétères sur la nature, les « externalités négatives ». La remise en question de la croissance s’intensifie surtout dans les années 1970, à la suite des chocs pétroliers, des crises énergétiques et des alertes écologistes formulées dans un contexte de vives conflictualités sociales. En 1972, le rapport Meadows sur les « limites à la croissance » suscite d’abondants débats. Nicholas Georgescu-Roegen propose un nouveau paradigme, une « perspective bioéconomique » qui vise à réduire l’empreinte matérielle. Le concept de « décroissance » a été inventé par le philosophe Jacques Grinevald pour contrer les opérations idéologiques de « greenwashing ». La « décroissance » est devenue un « mot-obus », une stratégie disruptive qui porte l’attaque au cœur du système idéologique dominant. Le terme circule de plus en plus dans divers pays… Alors que les plans de relance continuent de célébrer la croissance comme seul horizon, il s’agit de rompre avec cette évidence pour rouvrir le champ des possibles, et imaginer d’autres façons de vivre dans un monde « post-croissance ».
Biosphère : Ces trois intellectuels se centrent sur la décroissance économique, ils ignorent complètement l’idée de décroissance démographique. Il en était de même pour le programme de Delphine Batho. Pourtant, dès 1972, le rapport Meadows sur « les limites à la croissance » montrait les interrelations entre exponentielles, qu’elles soient économiques ET démographiques. Dans le programme du présidentiable écolo René Dumont en 1974 on indique explicitement que « depuis 1650, la population du globe a augmenté à un rythme exponentiel… Nous sommes les premiers à dire que la croissance démographique doit être arrêtée d’abord dans les pays riches, ce qui remet en cause toutes les formes d’encouragement à la natalité, chez nous en France…Nous luttons pour le droit absolu de toutes les femmes de régler à leur seule convenance les problèmes de contraception et d’avortement. »
Des écologistes digne de ce nom devraient assumer une perspective de décroissance économique ET démographique.
Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :
24 septembre 2021, Population et consommation en interactions
9 août 2021, Le GIEC nous recommande la décroissance
26 décembre 2020, Décroissance économique ET démographique
» Nous sommes les premiers à dire que la croissance démographique doit être arrêtée d’abord dans les pays riches, ce qui remet en cause toutes les formes d’encouragement à la natalité, chez nous en France »
Tous les pays riches sont déjà en décroissance démographique depuis 50 ans ! Ça fait 50 ans que la natalité est en-dessous du seuil de renouvèlement des générations ! Et encore, même en étant inférieur à 2 enfants par femmes, nos taux européens seraient encore plus bas sans l’immigration, car ce sont bien les migrants qui redressent nos taux de natalité. Taux de natalité de l’Italie 1,29 Royaume Uni 1,68 Allemagne 1,57 Espagne 1,26 Japon 1,42 France 1,88 Portugal 1,42 Bon voilà et encore ce sont les taux de 2018, car avec le covid on a encore baissé ! Qu’est ce qu’on vient casser les pieds aux français avec le décroissance démographique alors que c’est déjà le cas depuis 50 ans, alors que nos hausses ne sont liées qu’à l’immigration…
En juillet 2019 l’INED publiait une étude qui montrait que la présence des immigrés ajoutait à peu près 0,1 enfant de plus au taux de fécondité national. L’amenant ainsi à 1,99 en 2017.
Cette étude disait aussi que le cas de la France n’est pas représentatif de l’Europe. Que dans nombre de pays (Islande, Finlande, Pays-Bas, Danemark, Tchéquie, Bulgarie, Hongrie, Pologne…) les taux de fécondité des femmes immigrées et natives sont proches, voire en faveur de ces dernières. Comme quoi ! Mais bien sûr, les Zemmour et autres adeptes de la théorie du «grand remplacement» nous diront que ce ne sont là que des salades, que la réalité est toute autre et patati et patata.
A part que dans ton 0,1 % tu ne comptes pas les naturalisés ! Et avec les naturalisés ? Dans tous les cas, même avec 0,1 % de plus ça confirme bien qu’ils ont un taux de natalité supérieur aux autochtones pour faire monter de 0,1% le taux national. D’ailleurs, il y a des banlieues où l’on ne voit même plus 1 blanc à l’horizon, mais il n’y aurait pas de grand remplacement.
Ceci étant dit, ça ne change rien au fait que de toute façon, faire campagne en Europe pour une décroissance démographique est inutile, puisque cette décroissance démographique est déjà effective depuis 50 ans, comme je l’ai démontré avec les chiffres ci-dessus, qui sont bien inférieurs à 2,1 pour obtenir un renouvellement des générations. Si campagne de décroissance démographique il doit y avoir, c’est en-dehors de l’Europe que c’est nécessaire !
L’impossibilité d’une croissance permanente dans un monde fini relève d’une telle évidence que l’on ne comprend pas qu’elle ne soit pas au cœur de toutes les réflexions politiques.
Bien sûr que c’est difficile, que cela pose des problèmes énormes d’emploi, de ressources de changements de mode de vie à faire à accepter, de droit au nombre qui doit être remis en cause. James Lovelock avait bien résumé le dilemme en rappelant que la croissance était une drogue qui tuerait celui qui continuerait ou qui arrêterait d’en consommer. Comment mieux énoncer l’énormité du problème et l’effroi devant l’impasse potentielle ?
Mais on a pas le choix, et c’est ça le courage et l’intelligence politique : s’attaquer aux réalités et aux plus grandes difficultés.