écrit de Jean Dorst en 1965 : Le Seigneur a dit : « croissez et multipliez… » – Oui, mais il n’a pas dit par combien ! Si on voulait caractériser le XXe siècle par un phénomène unique, ce ne serait pas par la découverte d’innombrables perfectionnements techniques, ni même par la fusion nucléaire, mais bien plus par l’explosion démographique aux conséquences incalculables. Quand on a présent à l’esprit l’accroissement démographique selon une progression géométrique, on ne peut que nourrir de sombres inquiétudes sur le destin de l’humanité. Il a fallu 600 000 ans pour que l’humanité atteigne un effectif de 3 milliards (en 1965) ; si la tendance actuelle se poursuit, il suffira de 35 ans pour que ce chiffre soit doublé (ndlr : 6,1 milliard ont été effectivement atteint en 2000). Pour le naturaliste, ce phénomène a les caractéristiques d’une véritable pullulation. Comme l’a souligné un rapport des Nations unies en 1958, si le rythme actuel d’accroissement se poursuivait pendant encore 600 ans, le nombre d’êtres humains serait tel que chacun n’aurait plus qu’un mètre carré de surface à sa disposition. Autant dire que c’est là un événement qui n’aura pas lieu. Quelque chose se passera pour arrêter cette prolifération intempestive ; souhaitons que ce ne soit pas une catastrophe à l’échelle de la planète. Peu d’entre nous ont conscience du problème de la surpopulation du fait de sa nouveauté et de tout l’obscurantisme qui en masque la gravité. D’ardents zélateurs continuent pourtant à prôner la famille nombreuse. La Suisse oublieuse de la peine qu’elle eut à nourrir ses enfants de 1940 à 1945, a explosé de joie imbécile en 1964 lorsqu’elle apprit qu’était né son cinq millionième citoyen ! Et pendant ce temps, les peuples dits sous-développés continuent de se développer à une vitesse plutôt digne de Lapins que d’êtres doués de raison.
Il faut constater que l’augmentation massive et accélérée des humains finit par rendre le problème de leur subsistance absurde ; les ressources alimentaires ne pourront jamais suivre cette progression et tôt ou tard se produira un décrochement. Nous sommes parfaitement conscients que les rendements agricoles ont été considérablement augmentés depuis les première ères de l’humanité. Le chasseur paléolithique avait besoin de 10 km² pour se nourrir ; le pasteur néolithique 10 hectares ; le paysan médiéval 2/3 d’ha de terre arable ; le cultivateur japonais peut se sustenter maintenant avec 1/16 d’hectare. Mais tout se passe comme si la quantité de nourriture et celle des multiples produits que l’homme demande à la terre essayaient de rattraper leur retard sur les effectifs de consommateurs, sans jamais y parvenir. La survie et la prospérité de l’ensemble des communautés biotiques terrestres dépendent en définitive de la mince strate qui forme la couche la plus superficielle des terres. Il existe une érosion accélérée consécutive à une mauvaise gestion du sol dont l’homme est l’unique responsable. La morphogenèse anthropique affecte gravement la fertilité par perte de substances et par transformation de la structure physique, chimique et biologique des sols. L’homme a même empiété sur des terres marginales, sans vocation agricole, et dont l’équilibre ne peut être assuré que par le maintien des biocénoses naturelles. Il y a eu déboisement, perturbations dans le régime des fleuves, destruction des habitats aquatiques, abus des insecticides, déchets de la civilisation technique à l’assaut de la planète, pollution des mers et de l’atmosphère, pollution radioactive, pillage des ressources des mers… Il faut aussi tenir compte du fait que les difficultés de répartition des denrées et les inégalités de ressources entre les différentes fractions de population ne disparaîtront pas facilement, sans doute jamais. Même si chaque homme était assuré d’une ration suffisante, il est néanmoins plus agréable de ne pas être obligé de manger debout ! Aussi est-il sage que chacune des fractions de l’humanité proportionne son expansion démographique à ses ressources propres.
L’humanité, envisagée comme une population animale, a réussi à se débarrasser de la plupart des freins à sa prolifération au risque non négligeable de multiplier les maladies héréditaires, autrefois éliminées en plus grande proportion par la sélection naturelle. On a parfois tenté de se poser la question : faut-il condamner Pasteur en raison de ses découvertes ? Certes non. Mais l’homme se doit de trouver dans les plus brefs délais, un moyen de contrôler une prolificité exagérée, véritable génocide à l’échelle de la planète. Un premier moyen de régulation est l’émigration. Or cela n’est plus guère possible à l’heure actuelle car toute la planète est strictement compartimentée et coupée de barrières. Un deuxième procédé est l’augmentation du taux de mortalité. Certaines sociétés primitives éliminent les vieillards, tandis que d’autres préconisent l’infanticide. C’est impossible à envisager dans le cas de l’humanité évoluée. Le troisième procédé consiste à une diminution du taux de natalité. Aucune religion, aucune morale et aucun préjugé ne doivent nous en empêcher. Le jour où les peuples se jetteront les uns contre les autres, poussés par des motifs en définitive écologiques, cela serait-il plus hautement moral que d’avoir maintenu les populations humaines en harmonie avec leur milieu ? Même si l’homme décide de suivre aveuglément les bergers modernes, il a le devoir de prendre une assurance et de ne pas rompre tous les liens avec le milieu dans lequel il est né. Il faut chasser de notre esprit les concepts selon lesquels la seule manière de tirer profit de la surface du globe est une transformation complète des habitats et le remplacement des espèces sauvages par quelques végétaux et animaux domestiques. La conservation de la nature sauvage doit être défendue par d’autres arguments que la raison et notre intérêt immédiat. Un homme digne de la condition humaine n’a pas à envisager uniquement le côté utilitariste des choses.
Avant que nature meure de Jean Dorst (Delachaux et Niestlé 1965)
Bonsoir Didier Barthès.
Bien entendu et vous le savez, il n’est pas question pour moi de sous-estimer le problème démographique. Bien entendu ce problème s’inscrit dans cette démesure (hubris) que je pointe, mais je ne dirais pas pour autant que c’est là » l’illustration la plus significative de cette démesure », il y en a tellement d’autres. C’est bien une simple question de lunettes.
Les milliards de victimes que fera la Catastrophe ne seront pas spécialement le résultat de notre nombre (« surnombre »), mais bien de cette folie dont nous sommes atteints, autrement dit la démesure, symptôme du nihilisme de notre temps.
Bonjour Michel C
L’explosion démographique (quand même de 1900 à 2000 la Terre a gagné 4,4 milliards d’habitants (passant de 1,6 à 6) soit 2,75 fois plus en 100 ans qu’elle n’avait gagné dans les 100 000 ans précédents, c’est bien l’illustration la plus significative de cette démesure.
C’est aussi beaucoup plus dangereux que les guerres mondiales auxquelles vous faites allusion, elles ont fait disons 50 millions de morts à elles deux, mais c’est en milliards que se compteront les victimes de notre nombre.
En ce sens je pense que ce que vous appelez les » lunettes » de Jean Dorst étaient quand même un instrument particulièrement utile. Je maintiens, il avait raison et son message nous manque bien aujourd’hui. J’aurais aimé le contacter et aussi Cousteau, et Dumont et Lévi-Strauss pour leur proposer de parrainer Démographie Responsable.
Selon Jean Dorst ce serait donc « l’explosion démographique » qui caractériserait le mieux le XXe siècle.
Déjà il ne s’agit là que de son point de vue, donc d’une simple affaire de lunettes. Selon lui la fusion nucléaire passe après, les horreurs du XXe siècle passent après. Comme d’autres Jean Dorst se focalise sur ce problème du « surnombre », je dirais que c’est leur problème.
Selon moi, autrement dit avec mes lunettes, ce qui caractérise le XXe siècle est l’explosion de la démesure, l’éruption de cette folie qui devait couver depuis quelque temps.
Deux guerres mondiales et particulièrement la seconde nous ont révélées de quoi les hommes étaient réellement capables. On a dit « plus jamais ça » … mon cul !
En 1945 la bombe atomique aurait dû mettre un terme à la folie technologique, nous faire comprendre que nous étions déjà allés trop loin, qu’il ne fallait pas jouer avec le feu, qu’il ne fallait surtout pas se prendre pour Dieu, etc. Même pas !
Bien au contraire on ne s’est jamais autant cru tout permis. Après cette horrible guerre il n’y a plus eu de limites. Le seul credo : Toujours plus !
Le XXe siècle a tout simplement été marqué par le nihilisme.
Jean Dorst avait tout compris il y a plus de 50 ans
Cette phrase devrait résumer la philosophie de l’écologie d’aujourd’hui.
« Il faut chasser de notre esprit les concepts selon lesquels la seule manière de tirer profit de la surface du globe est une transformation complète des habitats et le remplacement des espèces sauvages par quelques végétaux et animaux domestiques. La conservation de la nature sauvage doit être défendue par d’autres arguments que la raison et notre intérêt immédiat. Un homme digne de la condition humaine n’a pas à envisager uniquement le côté utilitariste des choses. »
Hélas, l’écologie politique en France n’a fait que régresser en s’engageant dans un affrontement droite – gauche, en laissant largement de côté la question de la protection des animaux sauvages et plus généralement la tendresse pour le monde, en niant le facteur démographique, en défendant le concept de croissance verte (cet oxymore !) et par exemple en faisant preuve, encore aujourd’hui, d’une coupable naïveté sur les potentialités et l’innocuité des énergies dites vertes justement.