l’acharnement thérapeutique, conséquence de l’énergie fossile

« La croissance de la quantité d’énergie consommée par personne, qui permet en termes purement physiques d’augmenter la productivité des gens qui travaillent, a pour conséquence l’entretien des gens qui ne travaillent pas (…) Une journée d’hospitalisation en service de réanimation coûte de 500 à 5000 kWh d’énergie, l’essentiel étant contenu dans les biens et services utilisés par l’hôpital. Elle n’est en outre possible que grâce à l’utilisation en France de métaux et produits chimiques extraits dans de lointaines contrées, de gaz russe ou de pétrole norvégien pour chauffer les bâtiments, laver les draps ou faire le plastique des cathéters, etc. (…) Même si cela peut paraître sordide, dès lors que la quantité d’euros (d’énergie) est limitée, il faudra soigner avec moins de flux matériels à disposition. Cela soulèvera des débats difficiles sur notre rapport à la mort, et sur le fait qu’aujourd’hui nous jugeons que toute consommation de ressources non renouvelables est justifiée pour maintenir en vie des personnes en bout de course avec des dispositifs lourds. » (Jean-Marc Jancovici dans son livre Changer le monde, tout un programme).

Ce diagnostic objectivé sur la contrainte énergétique croissante se double de (res)sentiments à l’égard de l’acharnement thérapeutique. Ainsi ce témoignage d’une de nos correspondantes :

« Je travaille dans le médico-social depuis 11 ans, animatrice en maison de retraite pendant plusieurs mois, j’ai eu le sentiment d’être tantôt gardienne de prison pour vieillards, tantôt gaveuse d’oie sans foie gras. Que faire des personnes valides physiquement mais errantes ? Que faire des personnes invalides ne communiquant plus alors que vous êtes en sous-effectif et qu’il n’y a ni code d’accès, ni jardin clôturé ? Et bien, on vous invite à enfermer tel ou tel résident, à clé dans sa chambre. On passe des harnais avec sangle molletonnée pour ligoter une personne sur un siège ou une chaise. Plus de problème de fuite ni d’évasion !

Pour ce qui est des personnes dépendantes physiquement et « silencieuses », les difficultés sont autres. N’avez-vous jamais été interloqué par ces adultes dans les maisons de retraite qui ne regardent ou ne comprennent plus ? Sous prétexte de bienséance, on nourrit parfois des édentés à la petite cuillère et si cela devient difficile, reste la solution de la seringue XXL avec lesquelles on titille des bouches closes dans un visage tout recroquevillé sur des yeux fermés depuis une éternité… Parfois un simple réflexe fait entrouvrir cette bouche et parfois on insiste…faut bien nourrir pour faire vivre ! A la question « Mais comment savoir si on ne les force pas, s’ils n’arrêtent pas de manger pour partir ? » on peut s’entendre dire « Mais comment sais-tu toi, qu’ils ne sont pas bien comme ils sont et n’ont pas envie de vivre ? » CERTES ! Mais rappelez-vous les droits de l’Homme…Liberté ! Où est la liberté quand on est instrumentalisé, douché, changé, gavé ?

Autrefois, quand on gardait ses vieux parents à la ferme, il y avait toujours un enfant pour donner la soupe à l’aïeul mais croyez bien que si ce dernier refusait de prendre sa becquée, l’enfant s’en retournait à ses travaux agricoles ou devoirs d’école… et si le lendemain, le pépé ou la mémé refusait la bouchée, on repasserait plus tard… jusqu’à ce que le corps s’épuise et s’endorme ou que la volonté resurgisse. Chez nous que nenni ! On paye du personnel pour vous nourrir et comme la priorité reste aux besoins primaires, on annulera volontiers une animation pour s’attarder sur l’assiettée.

Où commence l’acharnement thérapeutique ? Je n’accuse pas, j’interroge… Je travaille dans l’accompagnement de l’individu car je mets l’être vivant au centre de mes préoccupations. Mais à trop vouloir subvenir aux besoins du plus faible, n’avons-nous pas fait défaut à la sélection naturelle et au droit de s’éteindre parce que c’est l’heure ? N’y a-t-il pas un moment où il est correct de laisser filer la vie, où il faut cesser de soutenir le plus faible, quand seuls les « accompagnés » ont une chance de vieillir sans qu’importe le temps ni le monde du vivant ? Ne fait-on pas plus de bien que de mal quand on se positionne dans l’assistance à outrance ? Vivre n’est pas une fin en soi ! Mais bien VIVRE, bien LE vivre, ETRE, oui ! Comment ne pas être une société d’assistés qui va s’effondrer mais une société de l’entraide parce que telle est l’humanité, qui veut comprendre et dépasser ?

Il ne s’agissait là que d’un témoignage, ce n’était ni un pamphlet ni une requête. Juste une réflexion sur le passage du temps sur nos têtes et sur le rôle de l’accompagnant. »

Nous pouvons conclure avec Jancovici : «  La contrainte sur l’approvisionnement énergétique futur aura pour conséquence que le niveau relatif des retraites baissera, et que l’on va probablement pour partie revenir à un système de gestion des personnes âgées économe en énergie, c’est-à-dire… les garder chez leurs enfants. La question n’est pas de savoir si cette organisation est désirable ou non. Les bons sentiments sans kilowattheures risquent d’être difficiles à mettre en œuvre ! »

5 réflexions sur “l’acharnement thérapeutique, conséquence de l’énergie fossile”

  1. Mon frère et moi avons depuis 3 semaines maintenant, notre mère agée de 89 ans,hospitalisée à l’hôpital de Cannes suite à crise de convulsions… épilesie….AVC???? En service de rhumatologie, beaucoup d’examens, aucun médecin rencontré malgré nos multiples demandes, après un coma, elle ouvre à nouveau les yeux de temps en temps, ne nous reconnait plus, essaie de parler mais ne peux pas ….Etc Oxygène…. Sonde gastrique pour l’alimenter….Sonde urinaire….Escarres importants….Souffrance visible. On ne sait pas quoi faire, on ne nous explique rien, elle souffre et on souffre…. Vu son âge, on sait que jamais elle ne pourra revenir, pourquoi tant d’indifférence, d’acharnement, certains médecins sont devenus inhumains pourtant la loi Leonetti existe….Elle est au bout du chemin et pourquoi ne pas la laisser en paix ?

  2. Pierre-Ernest

    1 tonne de CO2 pour fabriquer un ordinateur portable :
    d’autres (http://www.greenit.fr/article/energie/energie-grise-et-informatique-verte) considèrent qu’il faut 240 kg de fossile pour faire un ordinateur fixe, et 4 ou 5 fois moins pour un portable, ce qui ne fait plus que 50 kg de fossile, soit environ 150 kg de CO2.
    On raconte vraiment n’importe quoi dans le domaine énergétique, l’effet psychologique du chiffre compte beaucoup plus que la vérité…

  3. Jancovici fait dans son livre une seule mention de la contrainte démographique :
    « Plus vite nous voulons croître à bref délai, plus vite et plus fort nous décroîtrons ! L’affaire se termine avec une dégradation forte de l’espérance de vie, des conditions de vie et de la taille de la population mondiale. »

  4. Ce sont des sujets bien délicats et bien douloureux mais une fois encore Jean-Marc Jancovici a raison de rappeler ce que dans tant de nos activités nous devons à une énergie abondante et bon marché. Notons que l’auteur applique le même raisonnement à la peine de mort et rappelle qu’au delà de la morale si nous avons supprimé la peine de mort dans les sociétés modernes c’est aussi parce que nous avions la « richesse » suffisante pour le faire. La lucidité jette un regard terrible sur les choses. Dommage que Jean Marc Jancovici n’évoque pas plus souvent les problèmes liés à la surpopulation car j’applaudirais des deux mains à la plupart de ses analyses. Beaucoup d’hommes politiques devraient se donner le mal de lire et de comprendre le message qu’il tente de faire passer sur l’énergie.

  5. Un article du Monde*, Aide au handicap et modélisation :
    « Sur l’écran de l’ordinateur défilent des lettres, par ordre de fréquence dans la langue française. D’une pression des doigts sur un capteur ou d’un clignement de paupière – dont les muscles moteurs sont parmi les derniers touchés dans les maladies dégénératives -, l’expérimentateur sélectionne la lettre de son choix… »

    Très bien, pourquoi pas. Mais cette aide technologique au handicap est aussi très dépendante de l’énergie fossile.
    C’est ce que démontre Jancovici : « La société de l’information est aussi un enfant de l’énergie abondante. Il faut émettre 1 tonne de CO2 pour fabriquer un ordinateur portable. »
    Pour le moment, tout devient possible,
    après le choc pétrolier ultime,
    pas grand chose sera possible.
    *LeMonde du 28 mai 2011

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