On ne peut pas être un bon anarchiste si on n’est pas d’abord un bon écologiste. Le livre de Philippe Godard « L’anarchie ou le chaos », approuve cette conception dans son chapitre « L’écologie la plus radicale qui soit ! ». Voici quelques extraits qui mêlent comme le reste du livre les analyses de l’auteur et des citations.
Les anarchistes sont contre toute domination, y compris celle des humains sur la nature. Nous devrions plutôt penser à aider notre environnement pour qu’il puisse survivre malgré notre présence. Il y a presque deux siècles, le géographe anarchiste Élisée Reclus (1830-1905) décrivait ainsi son sentiment de nature : « Les développements de l’humanité se lient de la manière la plus intime avec la nature environnante. Une harmonie secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, ils finissent toujours par s’en repentir. Parmi les causes qui dans l’histoire de l’humanité ont déjà fait disparaître tant de civilisations successives, il faudrait compter en première ligne la brutale violence avec laquelle la plupart des nations traitent la terre nourricière. Ils abattaient les forêts, laissaient tarir les sources et déborder les fleuves, détérioraient les climats ; puis quand la nature profanée par eux leur était devenu hostile, ils la prenaient en haine, et ne pouvant se retremper comme le sauvage dans la vie des forêts, ils se laissent de plus en plus abrutir par le despotisme des prêtres et des rois. (Du sentiment de la nature dans les sociétés modernes, 1866) »… Pour les anarchistes, la question de l’écologie n’est donc pas abstraite. Elle est avant tout politique. Cela implique de remettre en cause le prétendu progrès, l’industrialisation, y compris de l’agriculture, et nos modes de vie de consommateurs. Les anarchistes renversent la perspective traditionnelle. La nature est une authentique richesse, tandis que les villes et les mégapoles, souvent célébrées comme les symboles magistraux de la victoire du progrès et du travail sur la nature, sont synonymes de domination et de contrôle renforcé de leurs habitants. L’écologie la plus radicale rejoint ce qui fait la base de l’anarchie ; une politique de non-domination absolue.
D’après Philippe Godard, l’anarchisme se revendique plutôt de la non-violence que de la violence : La violence « révolutionnaire » et la violence d’État sont « les deux mâchoires d’un même piège à cons », selon les derniers mots du héros anarchiste du film de Claude Chabrol, Nada (1974). La cascade d’assassinats politiques ne déboucha jamais sur un élargissement politique de la révolte. Un article du périodique anarchiste Le Révolté démonte, dès les années 1980, cette logique impossible qui oublie la nécessité d’une propagande continue et fondée sur la raison plutôt que sur l’émotion. Selon Malatesta, « L’édification d’une société d’être libres ne peut être que l’effet de leur libre évolution ». La non-violence est-elle efficace ? Les non-violents répondront que les révolutions violentes ont toutes débouché sur des régimes plus ou moins dictatoriaux. Mais si Gandhi affirmait que la non-violence était infiniment préférable à la violence, il soulignait également que la violence était infiniment préférable à la lâcheté. Le principal débat ne se situerait pas tant entre violence et non-violence qu’entre action et passivité. Que le débat entre violence et non-violence reste ouvert n’a donc rien de surprenant : aller vers l’émancipation dans une société comme la nôtre qui s’éloigne de la démocratie ne simplifie pas les réflexions des anarchistes…
Les thèmes du livre : La liberté, Le pouvoir, Le vote, L’individu, Le collectif, La révolution, La violence, La non-violence, L’argent, La consommation, L’écologie, L’éducation, L’abolition des frontières, La science, La folie, L’illégalité.
(éditions calicot, novembre 2018, 226 pages pour 10 euros)
Philippe Godard : D’accord avec « voter Dumont », moi, j’avais quinze ans, mais si j’avais pu, j’aurais voté Dumont. la position de principe est une chose, dans ce cas-là, il y avait une particularité qui valait le coup de reconsidérer une position de principe. Je ne suis pas un idéologue et déteste les positions idéologiques.
Quant à la question de l’abolition des frontières, je ne pense pas du tout que ça soit irréaliste, parce que la question est ailleurs : pourquoi les gens viennent ici ? Et la réponse « ici c’est mieux que chez eux » n’est pas la bonne. C’est parce que tout le système leur fait croire ça, c’est très manipulatoire. Donc, c’est irréaliste tout de suite, peut-être, mais tout de suite, tout est irréaliste, y compris le statu quo. Par contre, l’abolition des frontières peut devenir réaliste à très court terme, simplement si l’Occident, le Capital, etc., cesse sa propagande mensongère. Je pourrais argumenter largement, mais de voyager en Amérique latine, en Afrique, en Inde, m’a convaincu que les gens préfèrent, pour leur immense majorité, l’endroit où ils sont nés. Cela dit, il faudrait ouvrir le débat pour considérer tous les aspects du peuplement de cette planète, en fait !
Santé, Écologie et Anarchie !
Deux points de désaccord avec ce livre sur l’anarchisme.
On peut être d’accord pour dire « élection = piège à cons », mais il ne faut pas regretter son vote quand René Dumont s’est présenté comme écologiste (et utopiste) lors de la présidentielle de 1974.
D’autre part une « abolition totale des frontières » est une vue de l’esprit. Une planète close et saturée d’humains ne peut plus servir d’exutoire à l’inconscience de populations qui veulent procréer sans frein et sans se soucier des possibilités durables d’un territoire donné à satisfaire ses besoins. Bien entendu cela inclut la France comme territoire surpeuplé ayant des gouvernements successifs toujours aussi natalistes…