L’humanité domine toute la Terre de sa puissance technique démesurée. Un sentiment de responsabilité à l’égard de la planète qui nous (sup)porte devrait donc être généralisé. Malheureusement c’est l’inverse qui se passe.
1/2) L’action de l’homme est devenue la force géophysique dominante. Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz (L’Evénement anthropocène) en dévoilent les grands déterminants dans LE MONDE*. En résumé : « Le constat scientifique de l’empreinte gigantesque, tellurique, des humains sur le devenir de la Terre, est incontestable. Nous ne sommes pas entrés dans l’anthropocène par inadvertance, mais par des processus qui ont systématiquement placé hors jeu des mises en garde « environnementales » ou des résistances sociales à développer telle ou telle technologie, à faire tel ou tel choix économique. Les précédents historiques de réduction des émissions correspondent à des crises subies : Etats-Unis après la crise de 1929, Allemagne après 1945, Russie après 1992. Avec la chute de l’URSS, Cuba a été privée du pétrole soviétique dès le début des années 1990 et sous embargo américain. Des mesures d’économie drastiques ont concerné tous les secteurs d’activité : l’industrie, les transports, l’agriculture, etc. La ration journalière des Cubains est tombée à 1 900 calories par jour et ils ont perdu 5 kg en moyenne. Pourtant, malgré cet effort énorme, les émissions de CO2 [dioxyde de carbone] n’ont décru en dix ans que d’un tiers. Une réduction mondiale ne pourra pas s’obtenir avec des technologies vertes, des plans d’isolation thermique ou des écotaxes suspendues aux premiers remous. Parmi les acteurs qui ont contribué à la situation actuelle, l’institution militaire tient une place centrale. En inventant des outils pour tuer les humains, elle a développé des outils pour tuer le vivant en général. Les pesticides sont directement hérités des travaux menés pour mettre au point les gaz de combat. Le développement des engrais azotés a été intimement lié à celui des explosifs. Les nouvelles technologies de pêche – qui permettent la surexploitation des océans – sont récupérées des radars et des sonars inventés pendant la seconde guerre mondiale. Même le nylon des filets de pêche est une invention militaire ! De manière générale, l’institution militaire ne prête aucune attention à la sobriété énergétique… »
2/2) Nous conseillons aussi la lecture du livre Voyage dans l’anthropocène de Claude Lorius et Laurent Carpentier. En résumé : « Aussi courte soit-elle, l’ère anthropocène est à la fois l’âge d’or – celui des grandes découvertes, du progrès scientifique, de la démocratie, de l’allongement de la vie -, et l’ère de l’aveuglement. La conférence internationale sur le climat tenue à Villach pourra conclure dès 1985 que les émissions de CO2 conduiraient dans la première moitié du XXIe siècle à une température que les hommes n’ont jamais connue. L’industrie décolle, l’économie décolle, les avions décollent. C’est l’ère des grandes vitesses et des grandes dépenses d’énergie. C’est Prométhée franchissant le mur du son. En 2009, au cœur de la crise économique, les constructeurs français font un record avec 2,25 millions d’automobiles vendues. la faute originelle de l’Homo anthropocenus est à chercher dans l’univers de l’ingénieur. Une civilisation thermo-industrielle où tout repose sur la puissance motrice du feu. Le probable est la désintégration. L’improbable mais possible est la métamorphose. La question du dépassement est essentielle dans l’histoire d’une civilisation. Une population qui franchirait le seuil au-delà duquel elle ne peut plus assurer le renouvellement de ses ressources s’expose inévitablement à son propre effondrement. Il apparaît que ce pisse-froid de Malthus avait raison d’affirmer qu’il y avait une limite à l’expansion humaine, au-delà de laquelle l’humanité serait en crise… mais il est très difficile à l’homme d’admettre ce type de raisonnement. »
* LE MONDE Culture&Idées du 8 novembre 2013, Remettre l’histoire au cœur de la crise environnementale