Deux pages dans LE MONDE* pour faire l’éloge de la numérisation de l’école, avec des titres aussi alléchants que « le numérique transforme l’enseignement », « à l’université, les nouveaux outils de la pédagogie », « créer i-voix pour développer les compétences littéraires », « faire l’apprentissage de la raison numérique ». Un seul encart sur le livre « Le désastre de l’école numérique » pour conclure sans preuves : « Mais globalement, leur propos (des auteurs du livre) relève plus du discours militant que d’une pensée raisonnée, et c’est dommage ».
LE MONDE veut ignorer que la relation directe entre l’enfant et l’adulte reste essentielle en matière d’apprentissage, alors que l’écran qui sait tout éloigne de l’adulte. Personnellement dans mes classes de 1ère ou terminale économiques et sociales, les élèves doutaient de plus en plus au fil des années de ma parole d’enseignant ; en dehors de l’école, les enfants ont de plus en plus tendance à parler avec leurs copains par portable interposé plutôt qu’à écouter leurs parents. Il n’y a plus en vérité de transmission d’une génération à l’autre avec la génération de l’écran qui parle à son écran. On sait aussi que les méthodes qui marchent, notamment pour les plus jeunes, nécessitent le contact du réel, la manipulation manuelle, l’expérimentation personnelle. Tout rapport au concret totalement absent de la numérisation du monde.
Au niveau écologique, LE MONDE veut ignorer que toute utilisation d’une technologie sophistiquée comme le numérique nécessite une grande consommation de ressources naturelles rares et provoque après usage des rejets toxiques dans l’environnement. Le livre** qui plaide pour une société sans écran est pourtant très précis sur la question : « Les équipements contiennent des produits dangereux comme les retardateurs de flamme bromés… Pour les électrofréquences, l’Organisation mondiale de la santé ainsi que l’agence nationale de sécurité sanitaire française les classent comme cancérogènes possibles… Les diodes électroluminescentes des écrans tactiles provoquent fatigue, maux de tête et perturbation du cycle circadien… Le numérique consomme environ 10 % de l’électricité mondiale pour faire tourner serveurs et ordinateurs, émettre les ondes électromagnétiques des antennes-relais et des bornes WiFI, refroidir les centres de données… L’électronique mondiale mobilise 10 % de l’or, 20 % de l’argent, 35 % de l’étain et du cobalt, 60 % du tantale, 80 % de l’indium extraits chaque année… En fin de vie, 85 % des déchets électriques et électroniques partent en décharge ou en incinérateur. Recycler correctement les 15 % restant étant trop coûteux, une partie est exportée dans les bidonvilles du tiers-monde avant d’être recyclés dans des circuits informels dangereux et polluants… Alors, comment ose-t-on numériser à grande échelle la vie de nos enfants ? »
Il y a une connivence certaine entre les médias, les politiques et les marchands d’électronique. Aujourd’hui l’argent a plus de valeur que la pédagogie et l’avenir de nos enfants. LE MONDE ne fait pas exception, et c’est dommage(able).
* LE MONDE du 6 septembre 2016, « apprendre et enseigner à l’ère numérique »
** Le désastre de l’école numérique (plaidoyer pour une société sans écran) de Philippe Bihouix et Karine Mauvilly, 230 pages pour 17 euros