Le ministère a écouté les jeunes engagés pour le climat, il a déjà sa réponse, « Développement durable »*. Veut-on nous faire croire que la croissance économique va résoudre les problèmes écologiques alors qu’elle en est la cause ?
– Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer : « On veut se donner les moyens d’un engrenage de l’ensemble de la société française sur le développement durable à partir de l’école. »
– Le secrétaire d’État de Blanquer, Gabriel Attal : « Le SNU (service national universel) contribuera à répondre aux attentes de la jeunesse, car des modules liés au développement durable y seront intégrés. »
– Ange Ansour, initiatrice du collectif Les Enseignants pour la planète : « L’école doit être encore plus ambitieuse : elle doit apprendre les fondements scientifiques du développement durable. »
– L’article du MONDE : la plupart des propositions formulées par les lycéens existent déjà dans les 4 500 établissements labellisés « en démarche de développement durable » que M. Blanquer assure vouloir généraliser aux 75 000 écoles, collèges et lycées de France.
« Développement durable », c’est ce qu’on appelle un élément de langage », les politiques répètent ce qu’on leur dit de répéter et vont noyer le réchauffement climatique dans l’oxymore. Or on sait depuis longtemps que le terme « développement durable » n’est plus employé par les gens sérieux. Précisons. Dès 1980, l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) proposait comme définition du développement durable « un développement qui tient compte de l’environnement, de l’économie et du social ». Le rapport Brundtland de 1987, document préalable au sommet de la Terre de Rio (1992) énonçait que « le développement durable est un développement qui permet de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Mais ces définitions pêchent grandement car elles s’appuient sur un concept de développement qui lui-même n’est pas défini, si ce n’est implicitement par le concept de croissance économique ! De toute façon on sait déjà de source sûre que les générations à venir n’auront plus plus de ressources fossiles à disposition tout en souffrant du réchauffement climatique, de la surpopulation, du stress hydrique, etc. L’avenir de nos jeunes est irrémédiablement compromis par le niveau actuel de surconsommation. C’est pourquoi le vieux terme DD a été occulté par d’autres termes aussi pervers. Le mot fourre-tout « transition écologique » a remplacé au niveau officiel l’imbécillité de l’expression « croissance verte », qui se substituait à l’oxymore « développement durable ». Le propre de l’oxymore est de rapprocher deux réalités contradictoires.
L’inflation d’oxymores aujourd’hui tels que « voiture propre », « fonds de placements éthiques », « entreprises citoyenne », « croissance verte », « durable » ou « écologique », « guerre propre » etc., est symptomatique d’une forme de totalitarisme mou. On trouve aussi « agriculture raisonnée », « marché civilisationnel », « financiarisation durable », « flexisécurité », « moralisation du capitalisme », « vidéoprotection », etc. La montée des oxymores constitue un des faits révélateurs de l’impasse dans laquelle nous sommes rentrés à toute allure. Le clip publicitaire qui nous montre la chevauchée d’un 4×4 dans un espace vierge associe deux réalités contradictoires, l’espace naturel et la machine qui le dévore ; il nous suggère perfidement la possibilité de leur conciliation. Si la contradiction et le conflit sont inhérents à tout univers mental, ils atteignent dans le nôtre une dimension inégalée.
Plus la tension socio-écologique va s’accroître, plus les usines de communication s’alimenteront aux ressources des sciences humaines et produiront des oxymores raffinés. Transformés en injonction contradictoire par des idéologues, ils deviennent déjà un poison social. Car plus on produira d’oxymores, plus les gens soumis à cette sorte de double pensée (double bind) permanent, seront désorientés, et inaptes à penser et à accepter les mesures radicales qui s’imposeront. C’est ici le lieu de rappeler l’étymologie grecque d’oxymore, qui signifie « folie aiguë »**.
* LE MONDE du 7-8 avril 2019, La timide réponse du ministère de l’éducation nationale au mouvement des jeunes pour le climat
** in « La politique de l’oxymore » de Bertrand Méheust
Les oxymores font partie de la novlangue propagandiste, nous le savons. Comme nous savons où nous allons. Ce qui ne nous empêche nullement de faire comme de si rien n’était, ni dans notre langage quotidien d’utiliser ces oxymores et autres expressions débiles, du genre « c’est inadmissible, inacceptable, insupportable … c’est génial, je suis d’accord à 200%, que dis-je, à 500% » etc. etc. Hi-han hi-han !
Un récit (biblique) nous raconte que « peu après le Déluge, alors qu’ils parlent tous la même langue, les hommes atteignent une plaine dans le pays de Shinar et s’y installent tous. Là, ils entreprennent par eux-mêmes de bâtir une ville et une tour dont le sommet touche le ciel, pour se faire un nom. Alors Dieu brouille leur langue afin qu’ils ne se comprennent plus, et les disperse sur toute la surface de la Terre. La construction cesse. La ville est alors nommée Babel. » (Wikipedia Tour de Babel)
Bien sûr on n’est pas obligé de croire à cette histoire, mais on peut croire à la puissance des mots et aux diverses stratégies de manipulation. Lire et relire 1984 d’Orwell. Souvenons-nous aussi de ce qu’a dit le sinistre Goebbels : « À force de répétition et à l’aide d’une bonne connaissance du psychisme des personnes concernées, il devrait être tout à fait possible de prouver qu’un carré est en fait un cercle. Car après tout, que sont « cercle » et « carré » ? De simples mots. Et les mots peuvent être façonnés jusqu’à rendre méconnaissables les idées qu’ils véhiculent. »
D’autre part, si effectivement le mot « oxymore » peut-être traduit du grec ancien par « folie aiguë », cette folie que les Anciens redoutaient comme la peste, ils l’appelaient HYBRIS (ou hubris). Force est de constater que nous en sommes atteints depuis un moment. Et ça encore nous ne le savons. Hélas nous ne pouvons pas y croire, et là il faut regarder du côté du fonctionnement de notre cerveau.
Quand nous n’avons plus de prise sur les faits, nous nous réfugions dans les mots.