Les députés se prononcent pour une fiscalité écologique

Quand les députés se prononcent pour une fiscalité écologique qui puisse arrêter la « course à l’abîme », la biosphère ne peut qu’applaudir de ses innombrables mains. Voici un résumé de la « PROPOSITION DE RÉSOLUTION pour une fiscalité écologique  au cœur d’un développement soutenable », enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 avril 2013.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le modèle de croissance, très récent au regard de l’histoire humaine, n’en constitue également qu’une parenthèse. Il est par trop basé sur la transformation et la consommation de ressources, qui s’épuisent en quantité et en qualité. Et ce d’autant plus vite que la croissance de la population mondiale est encore forte. Nous consommons et nous dégradons, compte tenu de leur gratuité, toujours plus de ces ressources naturelles à la base de notre existence et de la vie sur terre.

Jusqu’ici nous avons pu faire mentir Thomas Robert Malthus. Repousser, grâce à la science et aux technologies, les limites de notre développement. Mais le gigantesque écran de notre société de consommation nous masque la réalité. Nous devons dorénavant, pour nous même et pour les générations futures, accepter de voir et d’entendre les signes avant-coureurs : la raréfaction des ressources fossiles, minerais, métaux et terres cultivables ; le changement climatique ; l’épuisement des sols ; la pollution des eaux et de l’air ; l’explosion des maladies liées à l’environnement ; la dégradation de la biodiversité qui annonce une sixième grande extinction des espèces sur la Terre dont nous serons cette fois responsables. Ce qui signifie l’effondrement de la capacité d’adaptation de l’ensemble du vivant au changement, que notre mode de vie impose à la planète. Ces crises écologiques se traduisent et se traduiront plus encore à l’avenir par une explosion des inégalités : l’ensemble de ces dégradations touchent en priorité les populations les plus vulnérables qui doivent faire face à des difficultés chaque jour plus importantes.

Pour arrêter cette course à l’abîme, nous devons d’urgence refonder notre modèle, non pas de croissance mais de développement qui ne doit avoir comme seul critère que le bien-être humain au sein d’une planète préservée. Le système actuel ne fait que réparer, très partiellement et de manière injuste les dégâts qu’il engendre. Mettre la France en capacité de porter un nouveau modèle de développement, tel est bien l’enjeu qui doit nous conduire à dessiner ensemble le chemin de la transition écologique. Nous ne devons pas éternellement opposer l’économie et la compétitivité à l’écologie. Bien au contraire, l’exigence environnementale doit être utilisée comme un levier permettant de favoriser  l’activité économique et l’emploi, d’améliorer le bien-être et de réduire les inégalités sociales.

LA FISCALITÉ ÉCOLOGIQUE AU COEUR D’UN MODÈLE DE  DÉVELOPPEMENT SOUTENABLE

Tarifer l’usage et la dégradation des ressources naturelles  constitue le fondement de la fiscalité écologique

Nous  devons intégrer à l’ensemble de nos actes de production et de consommation la valeur des ressources naturelles et des services éco-systémiques. Et la façon la plus simple de donner une réalité à cette valeur, c’est de tarifer à leur juste prix non pas la propriété des ressources naturelles mais l’ensemble de leurs usages et de leurs atteintes, au travers d’une fiscalité écologique. La fiscalité écologique constitue l’instrument économique majeur mais il en existe d’autres : permis négociables, subventions, crédits d’impôt ainsi que des instruments normatifs : réglementations, interdictions, fixation de seuils. Ils peuvent être mis en oeuvre, là où chacun est le plus efficace et si nécessaire être combinés entre eux. Mais tous adressent un signal prix, évident pour la fiscalité ou plus masqué.

Le 18 décembre 2012 enfin, les ministres de l’économie et des finances d’une part, de l’écologie, du développement durable et de l’énergie d’autre part ont installé le comité pérenne pour la fiscalité écologique présidé par Christian de Perthuis et organisé sur la base de la gouvernance à 5+1. Les premières propositions devront être remises au printemps 2013, afin que le parlement puisse se prononcer dès la loi de finances 2014. En 2010, le produit des taxes environnementales s’est élevé en France à seulement 36 milliards d’euros, soit 4,4 % des prélèvements obligatoires contre une moyenne dans l’Union des 27 de 6,2 %. (La France occupe le dernier rang des 27 en la matière). L’effort de rattrapage s’établit à 18 milliards d’euros par an. Voilà donc le cap.

RÉORIENTATION DES DÉPENSES FISCALES AFIN DE FAVORISER LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

La Cour des Comptes constate que la diésélisation du parc automobile pénalise l’industrie du raffinage, porte atteinte à la qualité de l’air, via les émissions de particules fines et de dioxyde d’azote, tout en étant de plus en plus dénuée d’intérêt quant aux économies de consommation et productrice d’un contenu en CO2 par tonne-équivalent-pétrole supérieur à celui de l’essence. Quant au charbon, il est la ressource la moins taxée, alors qu’il s’agit du combustible fossile le plus émetteur de CO2 ; sa consommation représente  7 % de l’énergie primaire utilisée mais est à l’origine de 13,2 % des émissions de dioxyde de carbone. Au final la fiscalité sur l’énergie se  caractérise par de nombreuses exonérations et réductions, qui visent davantage à répondre au souci de préserver certains secteurs d’activité qu’à poursuivre des objectifs environnementaux.

Guillaume Sainteny a décrit de manière détaillée et convaincante les travers de notre fiscalité écologique qui subventionne et encourage par exemple les énergies fossiles à hauteur de 20 milliards d’euros par an (exonération de TIPP pour les avions, certains navires et établissements de production énergétique ; détaxation du diesel ; taux réduit sur le gazole non routier…), favorise la dégradation de la biodiversité et encourage des politiques sectorielles, ayant un impact négatif sur l’environnement, dans le secteur de l’immobilier ou des transports. Cette fiscalité n’intègre par ailleurs en rien les externalités environnementales (les impacts écologiques

négligés par le marché), n’incite guère à un comportement favorable à l’environnement, rapporte peu aux caisses de l’État et pour finir, du fait de son caractère complexe, marginal au regard de l’ensemble fiscal, largement dérogatoire et peu performant, n’est politiquement ni assumé ni défendable auprès des contribuables-citoyens.

Le préalable français : supprimer les mesures fiscales qui vont à contresens

Avant de créer de nouveaux instruments fiscaux, le réexamen des mesures fiscales défavorables à l’environnement semble une priorité. Dans un premier temps, la fin de la défiscalisation du diesel semble recueillir l’accord du plus grand nombre.

Une nouvelle fiscalité, la contribution climat-énergie

Il nous faut avoir en permanence en tête que l’énergie la plus propre et la plus économique est celle que l’on saura ne pas consommer. La principale mesure envisagée, qui permet de taxer l’ensemble des dépenses d’énergie, est la contribution climat énergie (CCE). Et il paraît d’autant plus opportun de la mettre en place dès 2014, au moins dans son volet carbone, que François Hollande souhaite que la France accueille en  décembre 2015 le sommet international qui doit voir l’adoption tant attendue d’un nouveau traité climatique mondial. L’augmentation régulière, volontaire et progressive du prix du carbone est la seule façon de respecter nos engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’anticiper, en rendant notre modèle moins énergivore, les conséquences de la hausse imposée et inéluctable des prix de l’énergie.

Les conclusions de la commission Rocard de juillet 2009 semblent toujours d’actualité : « il faut atteindre en 2030 un prix du

gaz carbonique émis de 100 euros la tonne en démarrant à 32 euros. » Le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen des quotas de carbone (ETS) est aujourd’hui inférieur à 5 euros ! La taxation de l’énergie sera d’autant mieux acceptée que des mesures d’accompagnement aideront les agents économiques à accomplir leur propre transition énergétique par exemple en rénovant logements et bâtiments. Des redistributions pour les ménages qui disposent de revenus modestes pourraient  prendre la forme d’une allocation forfaitaire, d’un crédit d’impôt, d’une baisse d’impôt sur le revenu ou encore d’aides à l’investissement économisant l’énergie. Les entreprises exposées à la concurrence internationale pourraient bénéficier de baisse de cotisations sociales leur permettant de ne pas perdre de parts de marché au profit de concurrents qui échapperaient à la fiscalité climat-énergie tout en accomplissant leur transition énergétique. Les professions bénéficiant actuellement de mesures d’exonérations (agriculteurs, pêcheurs,

transporteurs routiers, ambulanciers, taxis) devraient faire l’objet d’un traitement particulier afin de ne pas être exonérées du signal prix.

La censure par le conseil constitutionnel du volet climat de la TGAP en 2000 puis de la taxe carbone en 2009 a souligné les faiblesses juridiques de ces projets. Les juges ont reproché à l’un comme à l’autre de violer le principe d’égalité des citoyens devant l’impôt du fait de certaines exemptions prévues par la loi et ainsi de ne pas répondre aux objectifs censés fonder ces dispositifs. En revanche le conseil constitutionnel a bien validé l’utilisation de la fiscalité incitative dans un but de protection de l’environnement et plus précisément encore de lutte contre le réchauffement de la planète, un objectif qu’il reconnaît comme de portée constitutionnelle, en prenant appui sur la Charte de l’environnement de 2004.

En instaurant une CCE nationale sur le carbone, la France rejoindrait le club des pays les plus avancés sur cette voie (dans l’UE : Suède, Finlande, Danemark, Irlande, Allemagne, Slovénie ; hors UE : Norvège, Suisse ; hors Europe : Australie, Japon, Canada) et contribuerait à légitimer la mise en place d’une taxe carbone européenne aux frontières.

Le volet carbone au niveau européen

Le volet carbone de la CCE, mis en place à l’échelle nationale, devrait évidemment se prolonger par une taxe carbone aux frontières de l’Europe afin de préserver notre compétitivité. La difficulté porte sur la façon de définir le contenu en carbone du produit et l’éventuelle fiscalité écologique déjà supportée.

Ne pas oublier les autres gaz à effet de serre

Les émissions de CO2 représentent près de 70 % des émissions de gaz à effet de serre (GES). Il conviendrait donc, pour lutter efficacement contre le changement climatique, de taxer les autres GES que sont le protoxyde d’azote (16 % des émissions) qui provient notamment de l’industrie chimique et des engrais minéraux azotés, le méthane (13 % des émissions) principalement généré par l’élevage (8) et les gaz fluorés utilisés comme fluides de réfrigération (2 % des émissions seulement mais au très grand pouvoir de réchauffement et de très longue durée).

Taxer toutes les formes d’énergie

Si le volet carbone de la contribution climat énergie apparaît comme urgent, c’est bien l’ensemble des consommations d’énergie qu’il

faut taxer afin d’éviter le report de l’usage des énergies fossiles vers l’énergie électrique. La sobriété et l’efficacité énergétique constituent la réponse aux grands enjeux de demain.

Enfin une autre piste, explorée par le scénario Négawatt, vise à prendre en compte les différentes « chaînes énergétiques » depuis la ressource primaire (celle que l’on trouve dans la nature) jusqu’à l’énergie finale (celle qui est payée par le consommateur) en passant par les pertes à la production, à l’acheminement et à la consommation. Ainsi serait défini un nouvel instrument fiscal (dénommé CEPEX) qui serait beaucoup plus juste que la CCE, puisqu’il s’appliquerait à toutes les consommations d’énergies issues de ressources fossiles ou minières (pétrole, gaz, charbon, uranium) et à toutes les énergies renouvelables et intégrerait ainsi au mieux les enjeux du long terme.

Sauvegarder la biodiversité pour préserver la biosphère

La dégradation de la biodiversité moins « connue » du grand public que la crise du climat, n’en menace pas moins l’avenir de notre société. Elle résulte de cinq causes principales : la destruction et la fragmentation des habitats naturels, la surexploitation des ressources naturelles, la pollution des milieux, le changement climatique et le développement des espèces envahissantes.

Comme pour la lutte contre le réchauffement climatique, la fiscalité écologique devra conduire à un changement de comportement susceptible de mieux préserver l’ensemble de la biodiversité, c’est-à-dire la totalité des ressources naturelles renouvelables et des services éco-systémiques à la base du développement humain. Ceux-ci sont classés en quatre grandes catégories : les services d’approvisionnement (aliments, eau, médicaments issus des plantes, matériaux de construction, chauffage) ; les services de régulation (lutte contre l’érosion, pollinisation, climat, purification de l’eau et de l’air) ; les services d’entretien (formation des sols, photosynthèse, cycle des nutriments) et les services culturels (esthétique, éducatif, spirituel, récréatif).

Avant même d’envisager des mesures incitatives à la préservation de la biodiversité, notons que jusqu’à présent, la fiscalité française a favorisé sa dégradation. Nous nous arrêterons sur trois exemples. Premièrement l’actuel soutien aux carburants a favorisé une forte artificialisation des sols. Deuxièmement notre système fiscal pousse les propriétaires du non bâti, dénué de rendement mais imposé, à la vente de celui-ci et/ou à son artificialisation. La fiscalité locale incite, elle aussi, à l’artificialisation, puisque c’est cette dernière qui

procure des recettes aux collectivités au travers des taxes assises sur les constructions et aménagements divers. La fiscalité de l’urbanisme enfin, à savoir la taxe d’aménagement (TA), ne favorise pas la préservation des espaces naturels. Ce système fiscal est de nature à creuser ou à maintenir le fossé entre des territoires et collectivités « riches », disposant de ressources fiscales pérennes assises sur l’artificialisation et des territoires ruraux plus « pauvres » financièrement, mais qui fournissent l’essentiel des services éco-systémiques. Troisièmement la fiscalité de l’eau n’est pas suffisamment internalisante.

Des mesures fiscales pourraient donc se concentrer sur la ressource en eau (mieux justifier les dérogations au principe pollueur/payeur, relever les taux plafonds de la redevance prélèvement, revisiter les modulations des taux selon les usages), sur les pollutions de l’air et de la terre via les produits phytosanitaires (élargir l’assiette de la redevance « pollution diffuse » pour y intégrer les engrais azotés), sur les déchets générés par nos productions et sur l’artificialisation des sols (les taux de certaines taxes, appliquées à la construction, pourraient croître en fonction de l’éloignement du centre, afin d’inciter à la densification. Il serait aussi possible de rendre obligatoire le versement pour sous-densité au moins dans certaines zones).  La fiscalité pourrait introduire une meilleure solidarité écologique entre les territoires en instaurant des mécanismes de redistribution entre d’un côté des espaces construits, artificialisés et urbanisés et de l’autre des espaces ruraux.

La fiscalité écologique financera le changement de modèle

Le produit de cette fiscalité écologique est clairement destiné à financer la transition vers un autre modèle de développement. Une partie de ce produit devra être affecté à l’accompagnement transitoire des ménages et des entreprises, qui auront besoin de compensations pour s’adapter. Mais ce fléchage de certaines ressources vers des buts sociaux et/ou économiques restera inscrit au sein

de l’ambition écologique.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

L’Assemblée nationale :

1° Demande que nos prélèvements obligatoires, qui reposent actuellement sur le travail, le capital et la consommation des biens et

services, révélant ainsi le rapport à la production et à la consommation de nos deux premières révolutions industrielles, traduisent un nouveau choix de société, en s’appuyant demain sur un quatrième pilier, celui des ressources naturelles et des pollutions ;

2° Souhaite que cette nouvelle fiscalité écologique claire, stable, prévisible et mise en place de façon progressive permette de financer la transition écologique et de modifier les comportements des agents économiques grâce à un signal prix pouvant faire l’objet d’une compensation, le temps de leur adaptation, pour les ménages vulnérables, les secteurs d’activité exonérés actuellement pour le gazole (transporteurs routiers, agriculteurs, pêcheurs, ambulanciers, taxis) et les entreprises exposées à la concurrence internationale…

4 réflexions sur “Les députés se prononcent pour une fiscalité écologique”

  1. Quelle fiscalité : flat tax ou taxation progressive ? Barbarie ou civilisation (si c’est encore possible) ? Injustice délibérée et cyniquement assumée ou justice et équité sociales. Je sais, c’est un peu désuet.

  2. Bla bla bla, bien tenté Messieurs les dépités (j’ai même pas lu jusqu’au bout)

  3. L’une des voies de cette fiscalité écologique pourrait être l’augmentation forte des prix de l’énergie (par augmentation des taxes la frappant). Cela permettrait de rendre rentables toutes les démarches en faveur de son économie sans avoir à imaginer des dispositifs complexes et multiples qui présenteront toujours des failles et généreront des injustices et dont la complexité elle-même aura un coût non négligeable.

  4. L’une des voies de cette fiscalité écologique pourrait être l’augmentation forte des prix de l’énergie (par augmentation des taxes la frappant). Cela permettrait de rendre rentables toutes les démarches en faveur de son économie sans avoir à imaginer des dispositifs complexes et multiples qui présenteront toujours des failles et généreront des injustices et dont la complexité elle-même aura un coût non négligeable.

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