Les journalistes et l’écologie vendue au capitalisme

L’idée selon laquelle l’accumulation illimitée du capital sur une planète aux ressources naturelles limitées est un principe non seulement amoral mais irrationnel. Pourtant l’immense majorité des journalistes amenés à traiter d’environnement adhère à la doxa du « capitalisme vert ». Il s’agit d’une logique de censures invisibles. Démonstration :

– L’écriture journalistique suppose de raconter des histoires afin d’intéresser un public le plus large et diversifié possible. En matière d’environnement, ce cadrage se traduit par des articles qui parlent des conséquences des prédations environnementales. Nos analyses sur le traitement médiatique des enjeux climatiques en France ont ainsi montré que plus les journalistes parlent du problème climatique, plus ils parlent de ses conséquences au détriment de ses causes et solutions.                Cette tendance à illustrer les problèmes plutôt qu’à les expliquer n’est pas neutre, les journalistes évacuent du champ du pensable environnemental la question des relations entre la mécanique capitaliste et la détérioration des écosystèmes.

– En matière environnementale, l’univers intellectuel des journalistes est principalement constitué d’ouvrages dits d’expertise. Écrits par des scientifiques ou des ingénieurs, ces textes ne sont pas destinés à expliciter les causes politiques et économiques des problèmes environnementaux. Et lorsqu’ils sont le fait d’économistes, leurs propos et propositions ont pour postulat l’irréductibilité du système capitaliste].

– Les journalistes nouent des liens viscéraux avec l’idéologie de l’accumulation illimitée du capital et des profits. Profondément enfouis dans leur for intérieur, les principes capitalistes (rentabilité, concurrence, compétitivité, responsabilité individuelle et « neutralité ») leur apparaissent comme légitimes et incontournables. Ceux qui valorisent d’autres modes d’organisation des sociétés sont présentés sur le registre de l’exotisme.                 Ce type de traitement a pour effet de rendre leur démultiplication impensable. En creux, cela revient à affirmer que le modèle capitaliste est indépassable. Tout se passe comme si le capitalisme était le seul régime capable d’améliorer le bien-être général. Aller contre le sens de ce courant idéologique, c’est – pour un journaliste – prendre le risque de se discréditer. Sommés d’entretenir de bonnes relations avec les sources officielles, les journalistes se trouvent cantonnés à ce qui est dicible du point de vue des acteurs dominants.

– Les nouveaux entrants dans le journalisme environnemental se révèlent moins sensibles aux enjeux politiques de l’écologie que les journalistes ayant délibérément choisi de couvrir ce domaine. Ce faisant, ils se détournent des sources militantes et donc des conceptions non-marchandes du monde. Le bon sens écologique ne semble pas être en mesure de rivaliser avec le bon sens économique. La censure n’est jamais totale mais ils  maintiennent les alternatives aux marges de ce qui est (« sérieusement ») envisageable. Cela permet aux logiques capitalistes d’évoluer en contournant, voire en intégrant la contestation avec des journalistes séduits par le « capitalisme vert ».

– Il faut dénoncer les faux semblants de l’objectivité dont se targuent la plupart des journalistes. Peut-on être objectif en proposant des analyses encastrées dans le dogme de la concurrence libre et non faussée ? À bien des égards, ne pas remettre en cause l’esprit du capitalisme, c’est le considérer pour acquis et donc prendre parti en sa faveur. Lorsqu’un journaliste fait valoir son objectivité – parce qu’il croise ses sources, vérifie son information et rend visible des points de vue divergents – il convient de lui demander s’il serait prêt à détacher l’actualité de l’arrière-plan capitaliste auquel elle est quasi systématiquement adossée. Si la réponse est négative, il y a tout lieu d’être perplexe quant à son objectivité.

S’ils veulent être le « contre-pouvoir » qu’ils prétendent constituer, alors les journalistes doivent avoir le courage de questionner leurs convictions les plus profondes, celles qui les empêchent de voir que d’autres visions du monde existent en dehors de l’étroit moule capitaliste…

Résumé d’un texte de Jean-Baptiste Comby. Pour en lire l’intégralité :

http://www.acrimed.org/article4136.html