Les réactionnaires contre l’écologisme

Les idéologies néo-réactionnaires refusent les bouleversements du monde. Une droite extrême impose ses thématiques dans la sphère médiatique, une gauche atomisée en reste au corpus socio-marxiste, l’universalisme est confondu avec l’occidentalisme, l’antiracisme assimilé au totalitarisme, les féminismes réduits à des « postures victimaires », les jeunes mobilisés pour le climat comparés à des ayatollahs, et l’écologie à une nouvelle religion sectaire. Le bien est transformé en mal, le bon en méchant et l’altruiste en idiot. Sur LE MONDE, cette synthèse que nous faisons nôtre :

Nicolas Truong : Aujourd’hui, l’Occident semble touché par une série de décentrements, écologique tout d’abord. Avec la pandémie de Covid-19, l’humanité réalise tragiquement, avec les zoonoses ou les manipulations de laboratoire, qu’elle est en étroite interdépendance avec les autres vivants et qu’elle peut produire les conditions de sa propre destruction. Un virus est un parasite qui se réplique aux dépens de son hôte, parfois jusqu’à le tuer. Or, c’est ce que le capitalisme fait avec la Terre depuis les débuts de la révolution industrielle. Nous semblons avoir peur du remède, que nous connaissons pourtant, à savoir un bouleversement de nos modes de vie. Comme tend à le montrer le réchauffement climatique, l’humanité, avec son mode de développement extractiviste, est devenue une force tellurique. Cette nouvelle ère, appelée « anthropocène » ou « capitalocène », n’est pas une simple crise climatique, mais un « basculement géologique ». Ainsi envisagée, l’écologie pense la totalité.

Lire, Merci la Terre, nous sommes tous écologistes

Face à cette « lame de fond », la tentation est grande de se raccrocher aux branches, de retourner vers le connu. Une réaction qui prend souvent la forme d’une panique morale, comme si le monde traditionnel et ses valeurs étaient menacés de disparition. Il y a donc production de boucs émissaires. Plutôt que d’être effrayé par la gigantesque crise planétaire qui nous emporte, on nous demande de nous terrifier du mouvement “woke”, ce courant minoritaire dans la culture française. Une volonté de faire diversion ! Le philosophe Antonio Gramsci écrivait que « la crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître », même si, « pendant cet interrègne, on observe les phénomènes morbides les plus variés ».

Commentaire : En 1917, Sigmund Freud avait expliqué comment « l’amour-propre de l’humanité » avait été éprouvé par « trois graves humiliations » infligées par la recherche scientifique (Essais de psychanalyse appliquée, Gallimard, 1933). La première humiliation, affirmait-il, est « cosmologique » : comme l’attesta l’astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543), la Terre n’est pas au centre de l’Univers. La seconde vexation est « biologique » : l’homme n’est rien d’autre qu’un animal, comme le démontra le naturaliste anglais Charles Darwin (1809-1882). La troisième blessure est d’ordre « psychologique ». Elle est portée par la psychanalyse et sa théorie de l’inconscient, que Freud résume d’une formule : « Le moi n’est pas maître dans sa propre maison. » En 2022, il faut ajouter l’éco-anxiété. L’écologisme remet aujourd’hui en cause toutes nos certitudes, le progrès technique, la croissance économique, la démographie bienfaisante, le bonheur à crédit. La rupture écologique sera d’autant plus difficile à mettre en œuvre que nous en resterons aux débats futiles entre Macron et les anti-vax, Le Pen et l’intersectionnalité, #metoo et Zemmour, Hidalgo face au wokisme, Jadot coincé entre décolonisme et cancel culture… sans oublier le séjour australien qui a coûté cher à Novak Djokovic !

Lire, L’écoanxiété a-t-elle besoin d’être soignée ?

8 réflexions sur “Les réactionnaires contre l’écologisme”

  1. et bien dansez maintenant

    Exact! L’écologie souhaite revenir à un état d’équilibre originel… perdu!
    Les limites de la planète sont un mantra pour l’écologie alors rien d’étonnant à ce que les réactionnaires que nous sommes, habitués depuis toujours à dépasser toutes les limites physiques et biologiques de la Terre y voient l’écologie comme punitive.
    Promettre la décroissance, un pouvoir d’achat en fort déclin, revoir le concept de confort ne peut que susciter un refus massif. Nous ne serons jamais élus avec un tel programme!
    J’ai bien peur que les écologistes eux-mêmes d’accord avec le constat et pour une indispensable décroissance n’aient que peu conscience du changement de vie que cela impliquerait: renoncer à presque tout. Qui pour agir? Quel écolo volontaire pour montrer l’exemple aux renoncements?

    1. Pour agir ? Attention, parce qu’AGIR c’est aussi parfois ne rien FAIRE !
      Ceci dit vous voulez savoir quel est l’écolo qui montre l’exemple, en matière de renoncements. Bonne question !
      Ben, je dirais que c’est un écolo non vacciné.
      Parce que si je crois tout ce qu’on raconte, ne plus pouvoir se FAIRE un p’tit restau, un p’tit ciné, un p’tit week-end à Venise, ne plus pouvoir prendre l’Avion, ni le TGV etc. c’est une vie de merde ! Oui oui c’est comme ça qu’on dit ! C’est d’ailleurs ce que souhaite l’Emmerdeur en Chef aux récalcitrants, ces affreux, ces irresponsables, ces mauvais citoyens, ces salauds… comme Mapomme.

      1. Qui en attendant, n’en ânarien à foot du dernier film en salle et du vol low-cost pour Venise. Mais qui aimerait bien de temps en temps pouvoir s’envoyer une p’tite pression à la terrasse d’un bistrot, comme AVANT.
        Et c’est bien là mon côté réac. Moi aussi je refuse de renoncer à des tas de choses.
        Ce n’est donc certainement pas moi le bon exemple. D’autant plus qu’il y a longtemps que je n’ose plus me dire écolo, à la limite écotartufe. Quant à décroissant, ça c’est juste pour le style, pour me faire croire que je rame dans le bon sens.
        Si encore je «faisais» de la permaculture… même pas. Misère misère. 🙂

  2. Esprit critique

    – « Les idéologies néo-réactionnaires refusent les bouleversements du monde. Une droite extrême impose ses thématiques dans la sphère médiatique, une gauche atomisée en reste au corpus socio-marxiste […]» ( Biosphère)

    Par définition, les réactionnaires refusent les bouleversements du monde.
    – « Un réactionnaire est un partisan de la réaction politique, mouvement antimoderniste s’opposant aux évolutions, aux innovations ou aux changements sociaux qui ne découlent pas des principes traditionnels auxquels ils sont attachés.» (La Toupie)
    Le (néo)malthusianisme est une doctrine fondamentalement réactionnaire, sur ce point je pense qu’il sera difficile de prouver le contraire. Je pense qu’on peut dire aussi que les natalistes comme les antinatalistes sont des réactionnaires (Michel C hier 24 janvier 2022 à 21:36).

    1. Esprit critique

      Pour certains l’écologisme (écologie politique) est réactionnaire. Pareil pour la collapsologie. Et même pour la décroissance. Au stade où nous en sommes on peut alors dire la même chose des «progressistes», des «évolutionnistes», des «modernistes» et Jean Passe. Puisque «l’universalisme est confondu avec l’occidentalisme, l’antiracisme assimilé au totalitarisme, [etc.]» en effet tout est permis.
      Osons donc le dire, nous sommes TOUS des réactionnaires ! Toutefois je pense qu’il vaut mieux, là encore, se dire qu’il y a réactionnaires ET réactionnaires. Comme avec les chasseurs, d’un côté il y a les bons et de l’autre les mauvais. 🙂

  3. Très bon article de Nicolas Truong. La réalité est bien telle qu’il la décrit dans son constat initial. La France est malade, et plus exactement l’Occident. Et il est bien sûr intéressant de comprendre comment on en est arrivé là. («Comment sommes-nous devenus réacs ? »)
    La psychanalyse a bien sûr son mot à dire dans cette affaire, mais la biologie d’abord.
    Réactionnaires nous le sommes tous, égoïstes aussi, sinon nous mourons. Tous les organismes vivants possèdent un système de régulation (homéostasie), la réaction ici ne vise qu’à rétablir son propre équilibre vital qui vacille. Face à l’inconnu nous n’avons aucune expérience (branche) à laquelle nous raccrocher. L’inconnu fait naturellement peur et de ce fait l’équilibre vacille. La peur est un mécanisme de défense, la peur est salvatrice, seulement elle peut devenir mortifère. Toujours cette question d’équilibre, de juste mesure.

    1. La perception de ce monde qui court au Désastre est aujourd’hui largement partagée. Et il s’agit bien sûr d’une perception douloureuse. Voir l’environnement dans cet état, pollution, biodiversité, climat etc., imaginer la suite, évidemment ça fait peur et ça fait mal. On parle alors là d’éco-anxiété. Voir sa culture, ses valeurs etc. autrement dit voir son Essentiel foutre le camp, ça aussi ça fait mal. Être dans le brouillard, ne plus savoir où on est, où on va, la droite la gauche, le mâle la femelle, la vessie la lanterne etc. etc. c’est pareil. Et voir clairement tout ça et en même temps, je ne vous dis pas.
      Seulement là on ne parle plus d’éco-anxiété, et pourtant on parle bien du même mal. Le mal de vivre, le déclin etc.

    2. En attendant, pour rétablir l’équilibre et continuer à vivre nous devons réagir et trouver un remède. Pour beaucoup le remède consistera à faire l’autruche, à entretenir la croyance aux lendemains qui chantent, aux miracles de la Science etc. Pour d’autres, l’illusion qu’ils participent à changer ou sauver le monde fera plus ou moins bien l’affaire.
      Comme je dis, à chacun sa came, en attendant. Là derrière toujours le même but, la même pulsion, sauver sa peau. Si ce n’est son mode de vie.
      Ce qu’on sait aussi, c’est que quand on se noie, l’instinct de survie nous fait nous raccrocher aux branches. Le problème aujourd’hui c’est qu’on ne sait même plus faire la différence entre celles qui sont solides et celles qui sont pourries (Zemmour et Compagnie). Avec ça nous voilà donc bien avancés.

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