« Une avalanche de boue médiatique a récemment déferlé sur l’activiste Greta Thunberg. Ces attaques sont l’occasion de revenir sur la nature des disqualifications portées contre l’écologie depuis le début des années 1990. Le type d’interventions de Greta dans les enceintes les plus officielles fait vaciller ces autorités traditionnelles : elle énonce la centralité d’un type de problème que beaucoup de philosophes n’ont pas exploré, elle renverse la façon dont l’éditorialiste décide que certains sujets sont majeurs et d’autres mineurs, et elle met en cause un ordre institutionnel qui a engendré et encouragé la catastrophe écologique et qui est manifestement incapable d’y répondre. C’est un mélange de paresse intellectuelle, de mimétisme, d’idéologie ou de manque de courage de la part de la tradition intellectuelle académique. La spécialité de ces polémistes est de couvrir une quantité innombrable de sujets en méconnaissance de cause, d’être insignifiant avec le plus grand sérieux. Le point commun entre tous ces accusateurs est qu’ils ont participé à un déni écologique de grande ampleur qui a pris deux formes depuis les années 1990. Une forme active par la disqualification et le discrédit qu’ils ont jeté sur les alertes et savoirs écologiques ; une forme passive par le silence dans lequel ils ont tenu ces enjeux, alors qu’ils avaient accès à la parole publique et discutaient d’un tas de sujets, trop souvent secondaires.
La parrèsia ou encore « courage de la vérité » de Greta Thunberg ne prédit pas l’avenir, mais dévoile l’aveuglement des contemporains. Elle souligne l’abîme entre ce à quoi nous tenons collectivement et ce que nous en faisons pratiquement. Le fait que son récit trouve un écho grandissant dans la population traduit le discrédit du récit de la modernisation capitaliste et de l’euphorie technologique qui la soutient. L’objectif central de tout gouvernant est de produire de la docilité : la jeunesse doit se conformer à l’institution scolaire jusqu’à ce qu’elle rejoigne la population active pour alimenter la croissance. La peur panique des gouvernements et des dominants est que l’activiste suédois inspire des trajectoires d’insubordination. L’écolo-scepticisme de Luc Ferry, Pascal Bruckner, Jean de Kervasdoué (les prêcheurs de l’apocalypse) ou Bruno Tertrais se trouve partagé par un champ politiquement très large, allant de l’extrême droite et de la droite conservatrice à la gauche productiviste. Le point commun est la croyance en la toute puissance d’une raison techno-scientitique, capable de trouver des solutions à tous les problèmes, y compris écologiques. La critique du principe de précaution est un sujet d’entente unanime dans cette littérature. Soit vous êtes progressistes et fidèles à l’idéal philosophique qu’est l’arrachement à la nature, soit vous êtes fondamentalistes, réactionnaires et le retour à la nature est irrationnel et politiquement dangereux. Par ailleurs, dans son livre Ferry rapproche explicitement le nazisme et l’écologisme, sans aucun fondement philosophique ou historique. C’est d’ailleurs une caractéristique des auteurs écolo-sceptiques : l’outrance du verbe ! Tous les moyens rhétoriques sont bons, renvoyer l’écologie à une religion, l’associer avec les totalitarismes du XXe siècle ou considérer que l’écologie serait liberticide. L’attaque des figures de l’écologie n’est pas nouvelle, le cas de Rachel Carson est emblématique : à l’époque elle a été décrite publiquement comme hystérique et incompétente. Aujourd’hui, pour Greta Thunberg, la disqualification par l’âge s’ajoute à celle du sexe, sans parler de la pathologisation de son profil psychologique.
Climat, énergie, faunocide : voilà trois champs de réalité largement documentés et pourtant occultés par les intellectuels et les politiques, Si les vivants qui cohabitent avec nous à la surface de la terre étaient des valeurs boursières, l’effondrement des indices mettrait le monde entier en émoi, mobiliserait en continu l’ensemble des élites et électriserait les médias. L’écolo-quiétisme aboutit à une politique qui produit des effets similaires au climato-scepticisme. Qu’est-ce que cette inertie historique monumentale dit de la nature des sociétés industrielles ? Ce n’est pas que les dirigeants politiques et les chefs d’entreprises ne sont pas à la hauteur. C’est qu’ils sont des activistes de l’apocalypse. Leur tactique : « négocier avec les réalistes, dialoguer avec les idéalistes, isoler les radicaux, avaler les opportunistes. » Les structures institutionnelles, fragilisées par l’évidence du désastre écologique, sont motivées par la volonté de rester coûte que coûte en capacité de définir la manière dont les questions écologiques seront traitées. Autrement dit, il y a un gouvernement néolibéral de la catastrophe écologique et, à rebours d’un récit qui voudrait que l’effondrement nous libère de son emprise, il risque de s’approfondir si l’on se méprend sur sa nature. Il est de plus en plus évident qu’un libéralisme économique autoritaire se déploie au sein même du ravage écologique. Pour autant, cette logique mortifère peut être prise de vitesse par une dynamique populaire : la prise de conscience apparaît dans les mouvements actuels dont Greta Thunberg est l’une des porte-paroles. Dans les opinions publiques s’affirme de plus en plus nettement la conscience partagée que les discours gouvernementaux sur le « sauvetage de la planète » relèvent du bluff. »
– » Dans les opinions publiques s’affirme de plus en plus nettement la conscience partagée que les discours gouvernementaux sur le « sauvetage de la planète » relèvent du bluff. » »
Dans les opinions publiques on y trouve tout et n’importe quoi. Par exemple, on trouve l’opinion selon laquelle le réchauffement c’est du bluff. Par exemple ici… non je ne le nommerais pas 🙂
Et puis chez ceux qui croient à tout ça, au réchauffement, à la chute de la biodiversité etc. on trouve ceux qui pensent ceci ou cela. Par exemple, qu’avec des « petits gestes » on y arrivera, ou alors qu’on limitera les dégâts. On trouve aussi des gens qui pensent que les gouvernements n’en font pas assez, qu’ils pourraient faire plus et plus vite etc. Et puis on trouve des gens qui pensent que ceux-là sont comme les autres, qu’ils font seulement ce qu’ils peuvent, et que les « activistes de l’apocalypse » sont partout, pas seulement en haut. Bref, en attendant … tout ça ne nous avance en rien, au contraire.
De toute façon, il faut voir aussi qu’à présent le gouvernement est coincé pour mettre en œuvre un programme écologique ! Par exemple, rétablir et étendre la permaculture à l’ensemble de la population, du moins pour le plus grand nombre d’individus, c’est mission impossible ! Je peux permettre de l’affirmer car aujourd’hui je devais renouveler la location de terrain de jardin, et ben j’ai découvert à l’instant que je me suis fait piller tout mon matos dans la cabane (en métal), bon ben du coup je n’ai pas renouvelé…. Le potager redeviendra le supermarché, car de toute façon on se fait piller constamment les jardins alors qu’on est soit disant en temps de paix ! Alors je n’ose même pas imaginer comment ça va se passer lors de l’effondrement ? Enfin si j’en ai déjà une idée précise de comment ça va devenir une boucherie nationale, mais bon notre président va nous sauver avec sa croissance paraît-il ! Bon tout ce que j’ai compris étant que mon passeport doit être prêt en cas d’effondrement car il n’y a pas espoir à ce que les autorités manifestent l’idée d’un plan de déracaillage de la France, même pire, elles ont idée d’en importer davantage…
Je suis assez d’accord avec vous Michel C
Sans doute Greta Thunberg a t elle raison sur de nombreux points, pour autant son discours n’a vraiment rien d’extraordinaire et il y a longtemps que ce qu’elle dit l’a déjà été.
Son jeune âge fait qu’il serait bien injuste de le lui reprocher, pour autant en effet cette obligation de tomber en admiration devant elle peut légitimement agacer.
Pour ma part je distingue clairement les critiques faites à Greta Thunberg des critiques faites à la préoccupation écologique , ce sont bien deux choses différentes.
Et en ce qui concerne Greta Thunberg je distingue aussi les critiques adressées à sa personne, critiques que je déplore et trouve vraiment méchantes des critiques faites autour de sa médiatisation que je peux comprendre.
Je suis aussi ennuyé par le discours de Greta Thunberg qui axe tout sur le climat, or cela masque un problème beaucoup plus grave qui est celui de l’écroulement de la biodiversité. Jamais sans doute la Terre n’a connu un tel effondrement, au rythme où nous allons il n’y aura plus à la fin du siècle d’animaux sauvages plus gros que des lapins en dehors des zoos et de quelques réserves, ça ,c’est un drame au delà de tout et vous savez où j’en situe la cause. Le climat c’est ennuyeux mais la Terre a connu bien pire et très souvent.
Moi aussi je suis assez d’accord avec vous, Didier Barthès 😉
Vous avez raison de dire (à la fin de votre commentaire) que le climat occulte le reste. Mais nous savons bien que tout est lié. Comme la poule et l’œuf 😉
Mais pour ne parler ici que du phénomène Greta, vous avez raison, nous devons distinguer « clairement les critiques faites à Greta Thunberg des critiques faites à la préoccupation écologique , ce sont bien deux choses différentes. »
Hélas ce n’est pas CLAIR pour tout le monde. Et pour cause ! Hélas également, on a « un peu » tendance à tout mélanger, c’est tellement plus pratique.
Onfray et Finkielkraut (je ne sais pas pour les autres) sont pourtant clairs là-dessus. Déjà, ce n’est pas à la personne de Greta qu’ils en veulent, c’est aux adultes. Ces adultes qui la manipulent, qui l’instrumentalisent, qui la vénèrent comme une sainte etc. Ensuite, les philosophes ne font que déplorer la démission de la pensée. Et c’est là leur rôle.
Pauvre Greta, pauvre martyre ! Sauf s’il est désormais interdit de réfléchir, de penser, peut-on au moins dire que Greta est un drôle de phénomène ? Ou pas ?
Est-il encore possible aujourd’hui de refuser de suivre la mode, de bêler avec le troupeau, et en même temps, de se dire écolo ? Ou pas.
On nous dit que les « interventions de Greta dans les enceintes les plus officielles fait vaciller ces autorités traditionnelles ». Elle est bien bonne celle-là. Je parle de la blague. Mais qui sont ceux qui lui ouvrent les portes de ces enceintes, qui lui déroulent le tapis rouge, qui lui règlent les micros etc. à notre chère Greta ?
On nous dit qu’ « elle énonce la centralité d’un type de problème que beaucoup de philosophes n’ont pas exploré. » Celle-là aussi, elle est bonne. Onfray, Finkielkraut, Ferry, Bruckner etc. tous ces penseurs seraient-ils à côté de la plaque ? Ou pas. Par exemple quand ils disent qu’un gamin ou une gamine de 16 ans a encore beaucoup de choses à apprendre, aussi brillant soit-il (elle), et que sa véritable place est à l’école et pas dans la rue. Malgré tout ce qui les sépare, qu’est-ce qui explique que tous ces penseurs aient en commun ce refus de s’agenouiller devant Sainte Greta ?
Dire (écrire) ça comme ça, se poser des questions sur le phénomène Greta, est-ce en rajouter à la fameuse « avalanche de boue médiatique » ? Ou pas.
Vous avez 4 heures 🙂