MALTHUS, un scientifique éclairé en 1798

Thomas Robert Malthus peut également être considéré comme un précurseur de l’analyse socio-culturelle. Il a en effet replacé le principe de population dans un contexte social en s’intéressant à tous les paramètres qui agissent sur la fécondité humaine.

« En ce siècle, où tous s’interrogent sur les limites de la croissance économique et démographique, comment ne pas lire et relire Malthus ? » C’est ainsi qu’Antoinette Fauve-Chamoux introduisait le congrès qui a marqué le cent-cinquantenaire de la mort de Malthus (1766-1834). Ce congrès international consacré à « Malthus hier et aujourd’hui » se tint au siège de l’Unesco à Paris en 1980. C’est le seul événement d’importance qui a été consacré en France à la question démographique. Le Parti ouvrier européen alla jusqu’à qualifier ce Congrès d’émanation du Club de Rome ; il accusait les organisateurs de célébrer les théories raciales et les idéologies de génocide. Toujours cette propension à l’exagération pour déconsidérer un adversaire en lui faisant dire des choses qu’il n’avait nullement pensé et encore moins écrit. Initiateur du Congrès, l’historien Jacques Dupâquier a lancé le débat sur son vrai terrain en demandant : « Avez-vous lu Malthus ? » Les militants du POE n’avaient probablement pas lu Malthus. Or celui-ci mérite mieux que des anathèmes.

Un livre récapitulatif de ce congrès est paru aux éditions du CNRS en 1984. Onze communications ont traité de la dimension sociologique et même anthropologique de l’analyse malthusienne. La valeur d’un spécialiste des sciences sociales ne pouvant logiquement se mesurer à sa capacité de prévoir l’avenir, Malthus ne pourrait qu’être bien noté pour sa bonne analyse du passé et du présent de son époque. Une des principales modifications de l’Essai qui distingue la première édition de 1798 de la seconde en 1803 consiste en l’examen systématique par Malthus (sur près de 300 pages) des ouvrages des explorateurs de son temps. La documentation de Malthus est très étendue, fort bien choisie et comporte les principaux ouvrages publiés à l’époque. Ses sources sont pratiquement les mêmes que celles des plus remarquables géographes de son temps. On avait organisé des expéditions pour faire systématiquement l’inventaire des ressources du monde et constituer une « Histoire naturelle de l’Homme » dont Buffon s’était fait l’avocat. Pourquoi utiliser ces parcours par personnes interposées ? Malthus nous le dit lui-même, « pour reconnaître l’influence du principe de population sur l’état présent et futur de la société », « pour l’envisager dans toute son étendue », « pour prendre l’expérience comme guide ». C’est une démarche déductive, qui part d’un principe théorique pensé comme universel à une étude comparative pour illustrer cette hypothèse de départ. Malthus s’est servi de l’ethnographie à une époque où cette discipline n’existait pas encore ; les totalisations abstraites étaient la manière habituelle de faire des philosophes. Aucun anthropologue contemporain ne peut cependant souscrire à cette affirmation de Malthus, « J’ai considéré l’état de la société en différents pays et j’ai tiré de cette contemplation des conséquences toujours semblables. » Le biais ethno-centré est un piège, particulièrement dans le préjugé de Malthus en faveur de la famille monogamique et patrilinéaire européenne posée comme « norme ». Tous les spécialistes apprécieraient cependant l’idée que chercher sérieusement les causes qui règlent le mouvement des populations « jetterait de la lumière sur la structure interne du corps social ».

Ce qu’il y a de plus éclairé dans l’approche malthusienne, c’est d’avoir trouvé étrange et donc intéressant à analyser l’absence d’expansion démographique notée par les voyageurs à propos de nombreuses sociétés exotiques. Malthus s’est particulièrement intéressé aux différentes pratiques sociales employées pour arriver à ce résultat. Il veut « découvrir dans la manière de vivre de ces peuples quelques obstacle puissants à l’accroissement de leur population ». C’est ce que nous verrons dans les extraits choisis du chapitre sur les nations indigènes d’Amérique. Malthus n’ignore pas non plus que la surpopulation est toujours relative à la structure de la répartition sociale des richesses. Rappelons enfin que la théorie de Malthus a besoin de chiffres pour s’établir et que l’ethnographie de son temps ne lui en fournissait guère. Malthus le souligne pour le regretter mais quand il dispose de chiffres, il est remarquable qu’il ne les accepte pas sans précaution. La capacité analytique de Malthus vaut encore aux yeux de la science aujourd’hui ou tout au moins vaut la peine qu’on en discute. Les ratés actuels des « sciences » économiques, incapable de prévoir, de prévenir et a fortiori de juguler une crise comme celle de 2008 devraient nous faire réfléchir : il y a quelque chose qui a été oublié dans la collecte intensive des données, c’est l’imprévisibilité du changement socio-économique. Cela ne devrait pas empêcher de collecter des données pour mieux comprendre les tendances en cours comme le faisait Malthus. L’ethnologue Saladin d’Anglure souligne que son œuvre démontre combien toute théorie démographique comporte des choix idéologiques et combien toute idéologie implique un principe de population plus ou moins explicite.

Notre série d’articles sur MALTHUS, un précurseur de la décroissance (13 articles au total)

20 août 2020, MALTHUS, considérations de Serge Latouche (1/13)

21 août 2020, pour mieux connaître le démographe MALTHUS (2/13)

22 août 2020, 1798, MALTHUS contre les optimistes crédules (3/13)

23 août 2020, MALTHUS, le prophète du sens des limites (4/13)

24 août 2020, MALTHUS, pour une maîtrise de la fécondité (5/13)

25 août 2020, MALTHUS, aider les pauvres n’est pas aider ! (6/13)

26 août 2020, Libérons MALTHUS de la critique marxiste (7/13)

27 août 2020, MALTHUS, décroissant nié par les décroissants (8/13)

28 août 2020, MALTHUS, un scientifique éclairé en 1798 (9/13)

11 réflexions sur “MALTHUS, un scientifique éclairé en 1798”

  1. « Il n’est plus possible de s’en remettre à la seule planification familiale, car elle se contente d’empêcher la venue au monde des enfants non désirés. La survie de l’humanité ne peut plus être confiée au bon vouloir d’un nombre aussi élevé de procréateurs plus ou moins irresponsables. Ceux qui les encouragent peuvent désormais, maintenant que les limites de la planète sont enfin reconnues, être au mieux considérés comme inconscients, au pire comme criminels, cherchant à satisfaire quelque volonté de puissance.
    Des mesures limitatives autoritaires de la natalité vont donc devenir de plus en plus nécessaires, mais elles ne seront acceptables que si elles commencent par les pays riches et par l’éducation des autres. »
    René Dumont (L’utopie ou la mort, 1ère édition 1973, réédition août 2020 au Seuil)

  2. Didier BARTHES

    Malthus a reconnu le caractère fini de la planète,
    Bien que cela soit a priori une évidence, il est bien l’un des rares à cette époque à l’avoir évoqué, c’est déjà un apport immense.
    D’accord aussi avec BGA80 pour dire qu’il a eu raison trop tôt, le progrès technique ayant permis une plus grande et plus rapide consommation du capital de la planète notamment via l’extraction des réserves d’énergies fossiles, ses inquiétudes ont été injustement traitées d’erreur.
    L’Histoire finira par lui donner raison (elle le fait déjà en réalité) et notre omniprésence est bien la cause de tous les désordres environnementaux (et démocratiques, même le masque obligatoire est une conséquence de notre surdensité)

    1. Bonjour Didier Barthès.
      J’imagine que votre absence sur ce sujet aussi passionnant que passionnel est due aux vacances. Dans ce cas vous avez bien raison, il n’y a pas que Malthus dans la vie. C’est vrai que notre ami BGA dit parfois des choses vraies, mais bon, en attendant je ne me suis pas encore amusé à faire le bilan.
      Malthus est probablement un grand incompris, ça je veux bien le croire. Mais si encore il était le seul, on pourrait alors en faire un martyr.

      1. Alors comme ça le masque aussi, est une des conséquences de notre «surdensité» ?
        Vous auriez dit de notre connerie, là j’étais à 100% d’accord avec vous. Rappelez-vous, déjà au Moyen-Age, les crécelles. Et pourtant, on ne peut pas dire qu’ils étaient si nombreux que ça, au Moyen-Age, si ? Et l’accoutrement des médecins de l’époque, pour se protéger là aussi de cet épouvantable fléau, vous nous voyez demain obligés de nous balader avec un masque au long bec ? Et pourtant c’est ce qui nous pend au nez. N’importe quoi ! 🙂

        1. Didier BARTHES

          Bonjour Michel C,
          Bien entendu je ne dis pas qu’une densité plus faible nous protégerait de toute épidémie, il est clair que l’Histoire me contredirait assez vite.
          Par contre oui, que la densité plus forte génère plus de contraintes cela me semble évident, et d’ailleurs pour l’instant, on impose plus le masque à Marseille ou à Paris que dans des villages,
          Mais en effet soyons prudent les règles évoluent très vite.
          Pour ma part je suis un peu troublé par cette excès hygiéniste et je crains comme vous que l’obligation de se promener avec toujours plus de protection ne nous pende au nez. Je suis surpris par l’acceptation de la population, les gens sont souvent terrorisés (à mon sens fort inutilement, mais c’est un autre débat).
          Oui j’étais en vacances et je mets un point d’honneur à couper avec les débats de société pendant un temps donné, c’est comme une hygiène.

        2. Ce coup-ci je vous donne entièrement raison. Je ne dirais peut-être pas terrorisés, mais c’est vrai que les gens ont peur de ce coronomachin. Faut comprendre aussi que si le but recherché est de nous soumettre par la peur, on ne s’y prendrait pas autrement. En attendant, je peux vous dire que même dans les villages cette peur est présente. Là aussi on respecte les consignes, et là aussi on n’hésite pas à sermonner le délinquant. Ah si ça pouvait être comme ça pour le reste ! Eh oui, aujourd’hui c’est un délit que de ne pas mettre le masque. Bref, je ne suis pas le seul à dire que nous sommes devenus fous. Mais c’est vrai, c’est un autre débat. 😉

  3. Eh ben, quel été ! Nous sommes gâtés sur Biosphère. Un épisode de la série MALTHUS par jour. Avec celui-ci ça nous en fait déjà 9. Si je compte bien il nous en reste encore 4.
    Parmi la foule de décroissants qui lisent Biosphère, si après 13 articles au total il s’en trouve encore un qui rechigne à reconnaître à Malthus le titre de précurseur, voire de saint, alors c’est à désespérer de tout. Misère misère !
    Non seulement précurseur de la décroissance, Malthus est aussi un précurseur des sciences sociales. Précurseur des Lumières aussi ? Je demande ça parce qu’aujourd’hui je découvre que MALTHUS était éclairé, et ce quasiment un siècle avant l’invention de la lampe à incandescence. Je me dis que Thomas Edison devait être un de ses fans, comme moi je le suis de 007. C’est avec impatience que j’attends le dernier épisode : MALTHUS contre Docteur No. 🙂

    1. Le grand tort de Malthus c’est d’avoir eu raison trop tôt. En effet, lorsqu’il a mis en garde de la démographie par rapport aux limites des ressources dans ses théories, on n’avait pas encore déterré les énergies fossiles; énergies fossiles qui ont permis d’optimiser la croissance comme jamais dans l’histoire. Hormis que, aujourd’hui, on connaît toutes les ressources existantes sous la croûte terrestre, et on en a déterré la majorité, plus de la moitié concernant les fossiles et bien au-delà pour les métaux. Et cette fois on a fait le tour du tableau des éléments de Mendeleiev, autrement dit on ne découvrira plus de nouvelles ressources supplémentaires qui permettront de donner tort à Malthus, Game over la partie à terme sera terminée, on en reviendra à un mode de vie antérieur au 18 ème siècle, car la conquête de l’espace et du nucléaire à fusion s’annonce plutôt mal pour prendre le relais de la dynamique de croissance matérielle qu’on a connu

      1. L’arrogance de la communauté scientifique, scientifiques et scientistes qui se prennent pour des hommes dieux auxquels il serait interdit de critiquer, la science a raison sur tout et la science dispose de tous les pouvoirs, bref tout serait possible et rien n’arrête le progrès. Hormis que ces scientistes qui se prennent pour des dieux, sont toujours incapables de créer la vie, alors comment peuvent ils prétendre connaître l’origine de la vie puisqu’ils sont incapables de démontrer en pratique une création qui permettrait d’affirmer leurs thèses si ce n’est dogme ? Scientistes qui ne parviennent pas à survivre longuement dans l’espace pour se rendre sur d’autres planètes. Et scientistes qui prétendent mettre le soleil en bouteille pour produire de l’énergie illimité. Bref, quel manque de modestie de ces satanés scientistes qui digèrent 3 monumentaux échecs (origine de la vie, voyages spatiaux et soleil en bouteille), leur arrogance va finir en eau de boudin !

        1. Le scientisme n’est pas le sujet du jour, toutefois on peut toujours rappeler que la science c’est la connaissance. Affirmer que toute connaissance ne peut être atteinte que par les sciences, c’est encore un autre sujet. (Qu’est-ce que la connaissance ?)
          N’empêche que les sciences dites dures (mathématiques, physique, chimie etc.) comme les sciences dites molles (sciences humaines et sociales) font avancer les connaissances, c’est un fait irréfutable.
          Seulement nous avons parfois (ou souvent) affaire à des scientifiques malhonnêtes, corrompus jusqu’au trognon, détraqués du ciboulot et j’en passe. Sans parler des para et autres pseudo-sciences, lecture dans le marc de café, etc.

      2. D’a ccord avec toi mais nos chers « cornucopiens  » (nos pires ennemis car ce sont en vrai des mondialistes) vont prétendre qu’ on pourrait creuser jusqu’ au noyau terrestre pour y trouver des gisements de métaux voire du pétrole.
        Et même s’ il devait y avoir une limité , qu’ à cela ne tienne , ils lanceraient , ces insensés, des vaisseaux spatiaux qui s’accrocheraient aux comètes / météorites et pomperaient les métaux y contenus .
        Je sais , leur cas relève de la psychiatrie lourde mais tel est le mondialisme / positivisme : une foi fanatique en l’ homme et ses immmmmmmenses pouvoirs😎😁😂

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