Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète? C’est le titre d’un livre d’Emmanuel Pont, formé à CentralSupélec et master de Sciences-Po, un livre ambigu qui déforme trop souvent la pensée des Malthusiens. Mais il pose au moins les problèmes.
« Le commandant Cousteau avait établi en 1992 que la population idéale de la Terre était de 600 millions de personnes si toute la population restante vivait et consommait comme un Américain moyen. D’autres études estiment qu’une population à 12 milliards d’habitants n’est pas un problème, mais tout dépend de «ce que les gens estiment être un mode de vie et un rapport à l’environnement souhaitables». L’idée de l’équation IPAT, montre que la population, le niveau de vie et le degré de technologie sont les trois leviers permettant de faire baisser notre impact environnemental. Même à supposer qu’une réduction drastique de la population mondiale soit reconnue comme une solution imparable pour préserver notre planète, les responsables politiques auraient bien du mal à mettre en œuvre des mesures permettant d’obtenir une baisse (progressive) de la quantité d’humains. « Si la France menait une politique de l’enfant unique, suggère Emmanuel Pont à titre d’exemple, il lui faudrait attendre 2100 avant que sa population soit divisée par deux. c’est beaucoup trop tard. » Même si la pollution humaine était divisée par deux, ce serait quand même très insuffisant: par exemple, pour limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius, car il faudrait diviser les émissions de dioxyde de carbone par cinq, voire par dix, d’ici à 2050. »
Le point de vue des écologistes : Cet ouvrage d’Emmanuel Pont est paradoxal. Il ne nie pas qu’il y a surpopulation, mais critique tous les moyens de le prouver, que ce soit l’équation IPAT, la capacité de charge, l’empreinte écologique, les références à Ehrlich (la bombe P) ou à Malthus (qu’il n’a pas lu). Dans sa conclusion (p.245), il récite la vulgate devenue élément de langage d’une certaine gauche anti-malthusienne :
« Il n’y a pas de bombe population dans la mesure où la population mondiale est en voie de stabilisation » et autres poncifs : « Le débat démographique éloigne de tous les mécanismes politiques qui empêchent l’action aujourd’hui. Il pousse au contraire vers des chemins particulièrement dangereux : ceux de la déshumanisation, de l’eugénisme et de l’autoritarisme. » Comme si le planning familial ainsi que la liberté de contraception et d’avortement étaient des piliers de la dictature. L’auteur a pourtant « autant peur de la crise écologique que du glissement autoritaire et inégalitaire que l’on sent poindre partout dans le monde (p.247, dernière page du livre, dernier §) ».
Or inciter à ignorer la question démographique, c’est promouvoir la catastrophe en limitant l’action individuelle et collective de maîtrise de la fécondité humaine. C’est même la fin de l’humanisme, on laisse souvent place à l’inhumanité, la face sombre des humains. Il suffit de constater que tous les systèmes totalitaires sont natalistes et brisent toute velléité de libre choix de procréation. Le souci des générations futures n’est la préoccupation ni de Bolsonaro, ni d’Erdogan, ni de Poutine, ni de Trump, ni de Xi Jinping, etc.
Affirmer que la population est un problème, ce que le terme surpopulation exprime parfaitement, n’est pas une « pente toxique extrême glissante » comme l’exprime l’auteur. Il s’agit de déterminer où est le compromis éthique (p.162 du livre). Emmanuel Pont s’appuie sur la manière de comparer l’intérêt d’exister ou de ne pas exister. Si cette valeur importe, alors il faudrait maximiser le nombre d’humains, même s’ils vivent dans la misère. C’est ce que Derek Parfit dans On What Matters (« De ce qui Importe ») appelle « conclusion répugnante ». A l’inverse de cette conception immorale, il faudrait, pour tenter de vivre le plus convivialement possible, un monde avec le moins possible d’humains, La non-existence est un problème dont personne ne souffre… mais la plupart des gens qui existent semblent clairement préférer l’inverse. Comment sortir de cette contradiction ? Par l’élaboration démocratique de compromis en matière de procréation.
Le libre choix d’avoir ou non des enfants a été nié pendant la majorité de l’histoire humaine, et encore aujourd’hui dans beaucoup de pays, même aux États-Unis. C’est pourtant une avancée majeure de l’évolution culturelle, grâce à l’éducation sexuelle et l’accès facile à la contraception. Mais devoir choisir en matière de fécondité est aussi une énorme responsabilité car faire naître un enfant supplémentaire est un choix définitif qui va impacter une ou plusieurs générations. Ce choix n’est donc pas uniquement personnel, d’autant plus pour des raisons d’ordre écologique : le poids d’un enfant empiète directement sur les intérêts du reste de la société. Emmanuel Pont l’avoue lui-même (p.218) : « Si avoir un enfant est un poids élevé pour l’environnement, ou si une fois né il risque une vie horrible, alors ce sont bien des questions valables de questionner le droit individuel. » Une délibération collective semble nécessaire. Une conférence de citoyens sur la question serait possible. Notons que les partisans du pro-life ne s’embarrassent pas des subtilités de la vie démocratique, ils veulent imposer à toutes leur propre point de vue, l’interdiction de l’avortement.
Malgré le parti pris d’Emmanuel Pont de minimiser la portée du malthusianisme, il a cependant des instants de lucidité : « Si les connaissances scientifiques actuelles ne peuvent permettre de considérer l’effondrement comme probable, elles sont parfaitement compatibles avec sa possibilité. Ainsi le discours catastrophiste n’est pas sans mérite (236). » Il souligne le paradoxe du développement (p.144): « Une accélération du développement (des pays émergents) contribue à réduire la natalité. En revanche cette accélération augmente aussi le poids écologique ! Ce paradoxe du développement concerne toutes les mesures qui font consensus pour aider les pays pauvres à accélérer leur transition démographique : éducation, économie, santé... »