L’écologie française a perdu le 13 novembre 2014 un de ses fondateurs, Alexandre Grothendieck. LE MONDE* titre : « Le plus grand mathématicien du XXe siècle est mort ». Ce n’est pas l’essentiel. Examinons d’un peu plus près avec Thierry Sallantin l’engagement « hors mathématique » d’Alexandre Grothendieck : « Il vivait en ermite depuis la fin des années 1980, ne s’occupant que de plantes, à Lasserre en Ariège. Aux Etats-Unis, Alexandre découvrira en 1966 le mouvement écolo, mieux connu depuis l’article fondateur du biologiste Paul Sears : Ecology, a Subversive Subject (revue BioSciences, 1965). Il ramènera cette subversion en France, en créant avec deux autres mathématiciens, Pierre Samuel et Claude Chevalley, la revue et le mouvement « Survivre et Vivre ». Ce mouvement se fera connaître en France par sa présence très active à la manifestation anti-nucléaire dite « Bugey-Cobayes » près de Lyon en juillet 1971 et par sa dénonciation du dépôt de fûts de déchets radioactifs à côté de centre de recherche de Saclay. Très remuant de 1971 à 1975, ce courant qualifié parfois « d’écolo-situationniste » va s’auto-dissoudre en recommandant à ses militants de cesser de gamberger intellectuellement et de partir à la campagne pour créer des communautés, des lieux expérimentaux de vie sociale alternative et révolutionnaire. (ce que fera par exemple le biologiste Jean -Paul Malrieu près de Grenade, au Moulin de Montlauzin, qui fut le siège d’une de ces communautés rurales post Mai 1968) : on en trouvera tous les détails dans le gros livre sur « Survivre et Vivre : la contestation de la science dans l’après Mai 1968 » de Céline Pessis aux éditions L’ Echappée 2012. Voir aussi le documentaire d’Hervé Nisic sur la vie d’A. Grothendieck : « L’espace d’un homme »… »
Michel Sourrouille avait assisté en mars 1972 à une conférence de Grothendieck. Alexandre confiait à l’époque qu’il allait vivre en communauté : « L’avenir est dans les phalanstères, autonomes, agricoles, sans centralisation. La science ne peut plus sauver notre civilisation des grands bouleversements qui nous attendent. Il faut abandonner les études et mettre sur pied des communautés viables, c’est-à-dire équilibrés avec leur environnement. » Ce message était partagé à l’époque par Pierre Fournier qui avait lancé La Gueule ouverte, mensuel écologique « qui annonce la fin du monde »… en novembre 1972. Aujourd’hui le message de ces précurseurs de l’écologie est repris par tous ceux qui veulent bâtir des communauté cherchant l’autonomie comme Rob Hopkins l’a écrit dans son « Manuel de transition (de la dépendance au pétrole à la résilience locale) ».
Voici quelques éléments pour mieux comprendre la profondeur (toujours actuelle) du mouvement « Survivre » dont l’objectif en août 1970 était déjà la « lutte pour la survie de l’espèce humaine et de la vie en général menacée par le déséquilibre écologique créé par la société industrielle contemporaine (pollutions et dévastation de l’environnement et des ressources naturelles) et par les dangers des conflits militaires ». Les caractéristiques de ce mouvement pourrait (devrait) être reprise quasi mot à mot aujourd’hui par EELV, le parti qui dit œuvrer pour l’écologie :
– L’adhésion d’un adhèrent aux principes directeurs du mouvement implique son abstention de toute sorte d’activité qu’il reconnaîtrait de nature nuisible ou dangereuse à la survie de l’espèce, et en particulier elle implique la non-collaboration totale avec les appareils militaires de quelque pays que ce soit. Cela implique en particulier le refus du service militaire.
– L’apprentissage de l’action juste, c’est-à-dire de l’action nécessaire, apparaît comme un but principal de l’éducation. Notre option pour l’action non violente est un aspect de cette exigence d’une action éducative.
– Convaincre les gens « au sommet » d’entreprendre telle ou telle action nécessaire entraîne des résultats périphériques. Pour changer l’inertie des masses, seule une action éducative à une chance d’aboutir.
– Les programmes de la recherche scientifique doivent s’infléchir vers les besoins des hommes et les nécessités de leur survie.
– Sans dénier l’importance d’une maîtrise de la population mondiale, Survivre appelle à contrer un instinct de procréation illimitée par une éducation à une vie personnelle et sociale véritablement créatrice.
– L’écologie est un discours sur les limites : contrairement à l’idéologie technolâtrique, tout n’est pas possible.
* Le Monde.fr | 14.11.2014, Le plus grand mathématicien du XXe siècle est mort
** Thierry Sallantin mérite d’être mieux connu, il a été de tous les combats écologistes
de la part d’un correspondant : « Il a été mon premier orateur écolo, dans une grange en septembre 71. Il disait déjà que c’était presque foutu ! Mais il a continué Survivre (et vivre a été ajouté ensuite), que j’ai rallié (à Paris).
Son refus de la médiatisation, même livresque, venait sans doute de la conviction que tout avait été dit, ou fait localement, depuis… très longtemps.«