Nicolas Hulot vivait au ministère de l’impossible

sur le site des JNE : Être ministre de l’écologie, c’est difficile, parfois insupportable. Je n’aimerais pas être dans la peau de Nicolas Hulot. Son engagement a été pour lui à la fois source de difficultés personnelles et de désillusions répétées. Les couleuvres qu’il a avalées, ce sont aussi les miennes. Tant qu’il était au gouvernement, il n’a pas eu le temps d’éprouver du plaisir. D’une certaine manière, on sort toujours abîmé de l’antagonisme qui existe entre nos idéaux et la dure réalité de la politique. En tant que ministre, il doit à la fois protéger les loups et protéger les éleveurs. Il n’y avait plus de choix parfait, il fallait mécontenter tout le monde en choisissant entre deux mauvaises solutions.

Le problème global de Nicolas Hulot, c’est qu’il devrait aller à contre-sens de la marche actuelle de la société thermo-industrielle et obtenir pourtant l’arbitrage favorable du 1er ministre, ce qui paraît impossible dans le contexte actuel, libéral-croissanciste. Le problème personnel d’un ministre de l’écologie, c’est qu’il doit éviter d’être contaminé par les habitudes de pensée des autres membres du gouvernement qui pensent majoritairement business as usual et croissance à n’importe quel prix. Or l’appartenance à un groupe, ici le gouvernement, implique d’être amené subrepticement à penser comme le groupe. C’est le phénomène de l’interaction spéculaire, agir comme dans un miroir où se reflète autrui, on fait ainsi parce que les autres font de même et s’attendent à la réciproque. En 1995, Nicolas pouvait écrire : « Je passais en revue le spectacle politique, médiatique, judiciaire qui souvent nous égare. Ces règles qu’on nous impose, ces opinions que l’on nous dicte, ces notions de réussite dont on nous gave, ces pouvoirs dispersés, chacun rêve d’en abuser. Je me méfie comme de la peste de ces influences sournoises qui diffusent et s’immiscent sans éveiller la conscience. Religieuses, éducatives, idéologiques, elles façonnent le creuset de nos pensées en évitant trop souvent le chemin de la réflexion. Il faut savoir se rebeller contre toutes ces dépendances et conserver son libre arbitre : être rebelle pour choisir ensuite. » Mais difficile de nager de façon autonome contre le courant dominant. Le troisième problème est temporel. Un ministre de l’écologie ne peut pas tout faire en même temps, il doit donc décider d’un calendrier programmatique, ce qui laissera de côté bien des domaines d’action. De plus il devra gérer en priorité les événements de court terme, ce qui l’empêchera de prendre le temps de préparer le long terme pour les générations futures.

Nicolas Hulot savait tout cela, c’est un homme aguerri par des expériences multiples, et tous les ministres de l’écologie ont dénoncé la difficulté de la tâche. Les prédécesseurs de Nicolas Hulot forment un florilège de ministres en difficulté, si ce n’est en perdition. Le premier de nos ministres, délégué à la Protection de la nature et de l’Environnement (Robert Poujade), est nommé en janvier 1971. Dans son livre-témoignage, Le ministère de l’impossible (Calmann-Lévy, 1975), il s’appuyait sur sa propre expérience pour montrer l’impossibilité d’une politique écologique au sein d’un gouvernement obnubilé par le PIB. « C’est intéressant, votre ministère. Il ne devrait rien coûter à l’Etat », entend-il dès son arrivée. « Vous n’aurez pas beaucoup de moyens. Vous aurez peu d’action très directe sur les choses. » prévient le président de la République Pompidou ()

Ce livre est en fait la chronique d’une démission annoncée tant la tâche d’un ministre écolo est surhumaine. Pourtant l’urgence écologique imposait à Nicolas de ne pas baisser les bras. En matière d’engagement politique, l’important n’est pas de réussir, mais de participer. Qu’il soit remercié pour son courage. Même si certains de ses actes sont à débattre, il n’a jamais changé d’avis sur les sujets essentiels. Il n’a été ni naïf, ni angélique. Il a été obligé d’avancer pas à pas, mais il n’a jamais reculé de son plein gré. Au fond j’admire Nicolas Hulot qui a persisté à jouer assez longtemps une partie perdue d’avance.

extraits de l’épilogue du livre de Michel Sourrouille à paraître début octobre prochain, « Nicolas Hulot, dans la peau d’un ministre écolo ».

2 réflexions sur “Nicolas Hulot vivait au ministère de l’impossible”

  1. Nous avons aujourd’hui une nouvelle occasion pour discuter et décider de la voie que doit prendre l’écologie politique. Nous devrions oser formuler clairement les formes qu’elle peut et doit prendre, pour qu’enfin elle soit réellement utile et efficace. Nous devons imaginer une écologie politique qui serve à autre chose qu’à permettre aux écotartuffes de cultiver leur bonne conscience, de faire semblant et de tourner en rond.

    Du fait ne serait-ce que des alliances incontournables pour participer à ce jeu « démocratique » pipé, chercher à avoir un max de députés écolos aux assemblées ne mène à rien. Au contraire cette voie ne mène qu’à la confusion et à la division au sein des différents courants. La preuve est maintenant faite que le « meilleur » des écolos au sein d’un gouvernement ne vaut pas mieux que le pire des tocards. Alors, exigeons la suppression du ministère de l’impossible !
    Persister à ne voir l’écologie politique que sous sa forme actuelle, participe à entretenir cette résignation et cette « indifférence » que Hulot, comme chaque véritable écolo, déplore. Il est temps, plus que temps, de « décoloniser les imaginaires ».

  2. Nous avons aujourd’hui une nouvelle occasion pour discuter et décider de la voie que doit prendre l’écologie politique. Nous devrions oser formuler clairement les formes qu’elle peut et doit prendre, pour qu’enfin elle soit réellement utile et efficace. Nous devons imaginer une écologie politique qui serve à autre chose qu’à permettre aux écotartuffes de cultiver leur bonne conscience, de faire semblant et de tourner en rond.

    Du fait ne serait-ce que des alliances incontournables pour participer à ce jeu « démocratique » pipé, chercher à avoir un max de députés écolos aux assemblées ne mène à rien. Au contraire cette voie ne mène qu’à la confusion et à la division au sein des différents courants. La preuve est maintenant faite que le « meilleur » des écolos au sein d’un gouvernement ne vaut pas mieux que le pire des tocards. Alors, exigeons la suppression du ministère de l’impossible !
    Persister à ne voir l’écologie politique que sous sa forme actuelle, participe à entretenir cette résignation et cette « indifférence » que Hulot, comme chaque véritable écolo, déplore. Il est temps, plus que temps, de « décoloniser les imaginaires ».

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