Penser et agir à l’échelle humaine

Si quelque chose ne fonctionne pas, c’est que c’est trop grand. Ainsi s’exprimait Leopold Kohr (1909-1994), inspirateur du titre de l’ouvrage de Schumacher (Small is beautiful), auteur en 1957 de The Breakdown of Nations (non traduit en français) et prix Nobel alternatif en 1983. Les petites nations, les petites économies sont les plus paisibles, les plus prospères et les plus créatives. Leopold pensait que les problèmes sociaux n’étaient pas engendrés par telle ou telle forme d’organisation économique ou sociale, mais par sa taille. Socialisme, anarchisme, capitalisme, démocratie, monarchie, tout cela pouvait fonctionner… à une échelle humaine : une échelle où les gens peuvent avoir une influence sur les systèmes qui gouvernent leurs vies. Mais à l’échelle des Etats modernes, toutes les organisations deviennent tyranniques. Car le problème, c’est la démesure. Le gigantisme peut seulement mener à des problèmes d’une proportion ingérable ; il faut encore plus de pouvoir pour gérer le pouvoir en question et ce système n’a qu’une fin possible, l’effondrement. Nous connaissons aujourd’hui cette crise du gigantisme, et nous cherchons à y remédier par de fausse solutions : des unions fiscales, une gouvernance mondial, plus de croissance.

Pour Léopold Kohr, la solution aux problèmes mondiaux réside donc, contrairement à ce que laisse croire une période où domine le gigantisme et la technologie, non pas dans davantage d’unité mais davantage de diversification. Les petites communautés sont plus souples, mieux à même de supporter les orages économiques et moins aptes à mener de grandes guerres meurtrières. Encore faut-il que ces communautés soient de taille et de puissance équivalentes pour empêcher l’hégémonie de l’une d’entre elles.

Paul Kingsnorth in l’Ecologiste n° 37 – juillet-septembre 2012 – (résumé de son texte)

NDLR : Léopold Kohr préfigure ce qu’on appelle aujourd’hui les communautés de résilience. Paul Kingsnorth, qui actualise le message de Léopold, aurait pu en parler… Il ne suffit pas de théoriser, il faut envisager une mise en pratique !

3 réflexions sur “Penser et agir à l’échelle humaine”

  1. Leopold Kohr vu par Ivan Illich
    C’est du coté de la morphologie sociale que se situe la contribution de Kohr. Deux mots clés résument sa pensée : Verhältnismässigkeit et gewiss. Le premier veut dire « proportionnalité », ou plus précisément relation de nature appropriée. Le second se traduit par « certain », comme dans l’expression « d’une certaine façon ». Par exemple Kohr disait que la bicyclette est le moyen de locomotion idéalement approprié pour quelqu’un qui vit dans un certain endroit comme Oberndorf. Cette association d’approprié et de certain endroit permet à Kohr de voir la condition sociale de l’homme comme cette limite toujours créatrice de frontières au sein de laquelle chaque communauté peut engager la discussion sur ce qui devrait être permis et ce qui devrait être exclu. S’interroger sur ce qui est approprié dans un certain endroit conduit directement à réfléchir au beau et au bien. La vérité du jugement qui en résultera sera essentiellement morale et non économique.
    In La perte des sens (recueil de textes d’Ivan ILLICH), Fayard, 2004

  2. On retrouve beaucoup de similitudes avec le municipalisme libertaire de Murray Bookchin (à peu près inconnu en France puisque par des raccourcis curieux libertaire = terroriste). Et si Jared Diamond a apporté des explications intéressantes aux déclins des civilisations, on a oublié au passage la contribution de Joseph Tainter (The collapse of complex societies), selon lequel le déclin s’amorce quand la complexité d’une société dépasse nos capacités de maîtrise, ce qui n’est pas sans rapport avec les idées développées par L. Kohr.
    Le naufrage vers lequel nous nous dirigeons probablement, s’il n’en constitue pas une preuve, est en tout cas loin de contredire ces hypothèses!

  3. Les 10 principes politiques tirés des travaux de Leopold Kohr par l’Institute for Social Inventions :
    Le Principe de la Tige de Haricot : Pour chaque animal, objet, institution ou système, il y a une taille optimale qu’il ne devrait pas dépasser.
    La Loi de la Négligence Périphérique : Les préoccupations gouvernementales, comme la fidélité matrimoniale ou la gravitation, diminuent avec le carré de la distance.
    La Loi de la Taille du Gouvernement : La misère ethnique et sociale augmente en proportion directe de la taille et du pouvoir du gouvernement central d’une nation ou d’un état.
    La Loi de Lucca : Toutes choses égales par ailleurs, les territoires sont plus riches quand ils sont petits et indépendants que grands et dépendants.
    Le Principe des Limites : Les problèmes sociaux ont tendance à suivre une croissance géométrique, tandis que la capacité des gens à les résoudre, si toutefois elle peut croître, ne suit qu’une croissance arithmétique.
    Le Principe de Population : Quand la taille d’une population double, sa complexité – la quantité d’information échangée et de décisions nécessaires – quadruple, avec des augmentations consécutives du stress, des bouleversements et des mécanismes de contrôle social.
    La Théorie de la Vitesse de la Population (Slow is Beautiful ) : La masse d’une population augmente non seulement numériquement, par les naissances, mais par les augmentations de la vitesse avec laquelle elle se déplace.
    Le Principe d’Indépendance : Les communautés locales fortement indépendantes ont moins de chance d’être impliquées dans la violence à grande échelle que celles dont l’existence dépend des systèmes mondiaux du commerce.
    Les Principes de la Guerre : a) La violence de la guerre est toujours augmentée par une augmentation de la puissance de l’Etat; (b) La guerre augmente la centralisation en fournissant d’une part une excuse pour une augmentation du pouvoir de l’Etat et d’autre part les moyens par lesquels la réaliser.
    La Loi de la Puissance Critique : La puissance critique est la quantité de puissance qui donne aux dirigeants d’un pays des raisons de croire qu’ils ne peuvent être arrêtés par la puissance disponible de quelque antagoniste ou combinaison d’antagonistes existant. Le fait de l’atteindre est la cause inévitable de la guerre.
    10 principes politiques (Kohr, Schumacher, Kirkpatrick Sale)

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