Marion Copley, une toxicologue galonnée de l’EPA (Agence américaine de protection de l’environnement) adresse un courriel daté du 21 mars 2013 à l’un de ses supérieurs qui supervise le CARC (Cancer Assessment Review Committee). La missive est terrible. Le glyphosate (la molécule miracle de Monsanto) ? La chercheuse énumère quatorze mécanismes d’action par lesquels la substance, dit-elle, peut initier ou promouvoir la formation de tumeurs. « Non seulement chacun de ces mécanismes est à lui seul capable de provoquer une tumeur, mais le glyphosate les enclenche tous de façon simultanée, ajoute Marion Copley. Il est fondamentalement certain que le glyphosate est cancérogène. » L’expertise du CARC est entamée depuis plus de trois ans. Bien mal entamée, selon elle. Le propos se durcit. « Jess [c’est le prénom du destinataire], nous nous sommes toi et moi disputés de nombreuses fois à propos du CARC et tu me contredis souvent sur des sujets hors de ta compétence, ce qui n’est pas éthique, ajoute-t-elle, de plus en plus amère. Ta maîtrise obtenue en 1971 au Nebraska est complètement obsolète, en vertu de quoi la science du CARC a dix ans de retard sur la littérature scientifique. » Les accusations vont crescendo : « Pour une fois, écoute-moi et arrête tes connivences et tes jeux politiques avec la science pour favoriser les industriels, écrit-elle. Pour une fois, fais ce qu’il y a à faire, et ne prends pas tes décisions en fonction de la manière dont elles vont affecter ton bonus. » Ce n’est pas tout. Marion Copley accuse aussi le destinataire d’avoir « intimidé les experts du CARC » et d’avoir « modifié » deux autres rapports après leur finalisation, « pour favoriser l’industrie »… La lettre de Marion Copley pourrait peser très lourd. Mais quelques mois plus tard, le 21 janvier 2014, Marion Copley, 66 ans, était emportée par la maladie.*
La lettre de Marion Copley n’a pas pesé bien lourd, les intérêts financier sont les plus forts et participent de la post-vérité. Les procédures de Donald Trump, mentir, semer le doute et inventer n’importe quoi pour détourner l’attention ne sont pas nouvelles, elles ont été utilisées aussi bien par l’industrie du tabac, de l’amiante, des lobbies pétroliers ou des produits chimiques. Le problème, c’est que même dans les « Académies scientifiques » ou autres experts des agence des protection des consommateurs, il y a toujours des personnes qui préfèrent l’argent et le statut que leurs procurent des firmes plutôt que de dire la vérité. Alors il faut attendre d’avoir un cancer en phase terminale ou de partir à la retraite pour dire la vérité. Un lanceur d’alerte dans une entreprise est vite envoyé aux oubliettes par sa hiérarchie.
Pour la question du pic pétrolier, il en en de même, ce sont des experts à la retraite qui ont dit une vérité bien occultée aujourd’hui. Des transfuges de l’industrie pétrolière ont fondé l’ASPO (Association pour l’étude du pic pétrolier et gazier) en 2000. Son fondateur l’Irlandais Colin Campbell est né en 1931, il avait dirigé le département lGéologie d’Amoco avant de terminer sa carrière comme vice-président de Fina. Robert Hirsch, ancien directeur de la prospection pétrolière chez Exxon, annonce lors de la conférence mondiale de l’ASPO à Vienne en 2012 que la production de pétrole – non conventionnel inclus – est entrée depuis 2005-2006 dans une phase de plateau instable. Le monde, dont l’énergie est fournie à 85 % par les fossiles, sera confronté assez prochainement à des turbulences pires que celles qui ont accompagné les chocs pétroliers de 1973 et de 1980. En France le spécialiste de l’ASPO, Jean Laherrère, ancien ingénieur pétrolier, est né en 1931. Ce sont les Cassandre des temps modernes, ils ont dit la vérité sur la fin de leur vie, ils ne sont pas écoutés, occupés que nous sommes par les sirènes du marketing, étouffés par le lobbying des industries fossiles, écrasés par les intérêts financiers.
*LE MONDE du 7 mars 2017, Le cancer de Monsanto