La découverte d’un néonaticide (homicide d’un nouveau-né dans ses vingt-quatre premières heures) charrie, chaque fois, une vive émotion. En France, le crime d’infanticide n’existe plus dans le code pénal depuis 1994, c’est assimilé aux meurtres commis sur les mineurs de moins de 15 ans.
Julie Ancian, sociologue : « Dans les cours d’assises, où sont jugées ces femmes, la figure du monstre ou de la folie est bien souvent invoquée comme seule grille de lecture. Mais le meurtre d’un nouveau-né par sa mère appartient plus au champ du contrôle de la fécondité qu’à celui de la santé mentale. La survenance de ces meurtres est le fait de femmes en grande précarité, qui ne sont souvent pas entendues durant leur procès. Ces crimes sont largement liés à la charge reproductive pesant sur ces femmes. Elles n’expriment aucun sentiment de haine à l’égard de leur nouveau-né, Elles relient sans ambiguïté leur acte à un geste qui relève du droit à disposer de leur corps. Ce sont les mêmes raisons qui poussent les femmes à recourir à l’avortement et à l’infanticide. C’est un homicide qui commence par la dissimulation de la grossesse, le choix de ne rien révéler à personne. Et, petit à petit, elles s’enlisent dans cette situation et ne savent plus comment s’en sortir. La plupart de ces femmes viennent de familles où on ne parle pas. Plus on va faciliter l’accès à des centres d’orthogénie et allonger la durée légale de recours à l’IVG, moins on aura de situations comme celles-ci. Parce que, au-delà des néonaticides, il y a le problème de toutes les femmes qui ne voulaient pas d’un enfant et qui finalement le gardent. On n’a aucune idée aujourd’hui du nombre de femmes concernées, c’est là encore un impensé. »
Michel SOURROUILLE : L’avortement se pratique depuis très longtemps et l’infanticide depuis encore plus longtemps. Les Bochimans, peuple archaïque du sud-ouest africain, n’ont adopté ni l’agriculture, ni l’élevage ; ils vivent de chasse et de cueillette comme avant le néolithique et ils sont les derniers en Afrique à représenter la civilisation de l’arc. La plus grande partie de la nourriture est récoltée par les femmes : pour une journée de récolte, elles parcourent jusqu’à 45 kilomètres. Les enfants sont choyés, mais les familles nombreuses sont rares, car les femmes n’acceptent pas d’avoir un second enfant avant que le premier ne puisse suivre sa mère à la marche pendant les longs déplacements : deux enfant à porter rendrait la récolte impossible. Les femmes se résignent donc à l’infanticide de leur propre autorité, la régulation des naissances est volontaire car conditionnée par la survie du groupe social. Le droit à l’avortement n’est pas seulement le droit des femmes à disposer de leurs corps, c’est surtout le droit de l’enfant à s’insérer de façon harmonieuse dans une vie familiale, donc dans sa vie future.
Oxyde : ll y a pas mal de sociétés dites primitives où l’on tue des nouveaux nés (en temps de famine par exemple) sans que cela soit considéré comme un crime. Par exemple les inuits enfouissent le nouveau-né dans la neige.
Denis Monod-Broca : Très intéressant point de vue. J’en reviens, quant à moi, toujours à l’arbitraire : pourquoi l’avortement est-il un droit jusqu’au jour du terme, pour IMG ou détresse psychosociale, et un crime affreux le lendemain ? Il faudrait savoir. La victime, dans les deux cas, n’est-il pas le même petit être innocent et sans défense ?
Jean-Henri Ritale : Il est quand-même curieux de prétendre combattre les néonaticides en allongeant la durée légale de recours à l’IVG. Car plus on allonge cette durée, plus une IVG ressemble à un infanticide. Si on l’allonge jusqu’au neuvième mois, où est la différence ? C’est juste que dans un cas c’est sale, alors que dans l’autre c’est « propre », médicalisé. Si on veut être un peu logique, il faudra à un moment se poser la question : allongement de la durée légale, oui, mais jusqu’où ?
Temporel : Ce n’est pas exactement un geste de contrôle de sa fécondité mais plutôt de « rattrapage » d’une fécondité non contrôlée. Évacuer les explications psy ou limiter leur poids, c’est peut-être une bonne idée, mais il ne faut pas écarter la peur panique ou la colère qui peuvent s’emparer d’une personne qui voit arriver le moment où ce qu’elle ne veut pas s’impose à elle. On peut essayer de le ramener à une révolte raisonnée (incompétence, adversité, absence de moyens matériels, perspectives angoissantes pour elle et l’enfant etc), mais le passage à l’acte est aussi un refus ou une incapacité d’envisager l’enfant comme une personne séparée de soi.
Merry : Il y a tout de même quelque chose qui me stupéfie dans l’argumentation développée par l’autrice. Tuer n’est pas un geste anodin… à plus forte raison lorsqu’il s’agit d’un enfant. A aucun moment n’est évoquée la possibilité d’un abandon de cet enfant non voulu, que cela soit sous une forme officielle ou le « dépôt » pur et simple de l’enfant devant une maternité, un hôpital, une caserne de pompier, etc.
Marie-C.D : Je ne suis pas d’accord avec beaucoup de contributeurs qui condamnent la mère. Il me semble que cette jeune femme, elle ou une autre, ayant attendu un enfant sans intention d’en avoir, n’a pas à être punie pour ne pas le vouloir, avec tout ce que cela comporte de démarches et d’affrontements . Quant à la grandiloquence de l’expression : « donner la mort à leur nouveau-né juste après avoir donné la vie » !! Qu’est ce qui permet à quiconque de penser que pour elle, c’est un nouveau-né? C’est juste un truc qui l’a encombrée pendant 9 mois, et va continuer à lui pourrir une vie déjà difficile si elle ne s’en débarrasse pas . On peut être choqué, scandalisé. Mais la stigmatiser et la punir pour ce qui est considéré comme un crime démontre le manque d’empathie d’une société prête à punir plus qu’à aider.
Benjamin Valberg : Visiblement, on pardonne davantage aux criminelles auteurs de néonaticides qu’aux criminels auteurs de féminicides.Ça doit être lié à leur genre.
Sharon : Quelle violence méprisante dans certains commentaires. Dans n’importe quel procès criminel, on passe par un examen de personnalité de l’accusé, des circonstances vécues etc. Parfois cela conduit à la reconnaissance de circonstances atténuantes.
PM11 : De la fécondation à la naissance il ne devrait pas y avoir de délit, ce qui dépend de sa biologie fonctionnelle vous appartient. On est admiré quand on donne un rein ou un lobe de foie donc une auto-mutilation, un néonaticide a ses raisons qui ne mérite pas les procès et l’attention qu’on lui porte.
YV : A tous les amateurs de jugements à l’emporte pièce: expliquer un acte ce n’est pas le justifier, c’est en chercher les causes pour pouvoir agir dessus et diminuer son occurrence.
De passage : Absolument rien de neuf pour quiconque connaît un peu les travaux d’ethnologie. Les néonaticides sont attestés depuis longtemps dans le cadre d’une stratégie de régulation de la charge maternelle, de l’estimation des chances de survie respectives, de l’acceptation sociale par le groupe. Cette manie de redécouvrir constamment l’eau tiède…
Quelques citations pour conclure :
– Certaines sociétés primitives éliminent les vieillards, tandis que d’autres préconisent l’infanticide (Jean Dorst).
– La logistique du nomadisme faisait qu’il était difficile de transporter simultanément deux enfants en bas âge. C’est pourquoi l’on observe chez les chasseurs-cueilleurs un espacement d’environ quatre ans entre les naissances. Cette régulation était obtenue par diverses méthodes : sevrage retardé, absorption d’abortifs, traitement négligé des nouveau-nés ou infanticide (James C. Scott).
– Dans La République de Platon, la taille de la population doit être maintenue constante, si besoin est par des infanticides (Nicholas Georgescu-Roegen).
– Mieux vaudrait tuer dans l’œuf la misère humaine que de l’élever avec sollicitude et de préparer froidement d’avance, avec une tendresse jésuitique, de la future chair à canon ! Ce qui serait utile et humain, si vous étiez logique, ce serait au contraire d’enrayer la procréation : la femme stérile devrait être sacrée, l’homme qui se retient félicité, l’avortement pratiqué officiellement dans les hôpitaux, l’infanticide, dans les quinze jours de la naissance, alors que l’homme n’est qu’un insignifiant fœtus, autorisé ! (Henri Fève, 1890).
@PRO-TARDIF 15 février 2022 à 11:01 & SUITE ET FIN 15 février 2022 à 15:31 (MICHEL C)
Je crois que l’éco-fascisme on y va dare-dare, éventuellement en passant par l’éco-terrorisme. Mais pourquoi pas ? Ce sera peut-être la seule voie pour atteindre UNE des conditions premières de la lutte contre le dérèglement climatique qui est la limitation drastique – probablement plus subie et violente que raisonnablement acceptée – du nombre d’humains sur cette planète. Quant au qualificatif de « khmers verts », lequel se réfère aux atrocités commises au Cambodge au 20e siècle, il me semble plus inadapté qu’injurieux en considérant l’admirable civilisation khmère qui n’a rien à envier à notre époque romane. C’est un peu comme si on qualifiait Die Grünen de « germains verts » en sous-entendant « nazis verts ».
@ BK86. Si comme moi vous voyez où on va, c’est déjà ça. Après on peut l’appeler de diverses façons, ça restera du totalitarisme.
Le totalitarisme se caractérise par l’autoritarisme, la propagande, le contrôle total de tous les aspects de nos vies et la neutralisation des opposants. Adieu les Droits de l’Homme et adieu nos libertés ! Ce qui ne sera pas interdit sera obligatoire. D’un coté les Bons (les purs, les dignes etc.) de l’autre les Méchants (les mécréants, les indignes etc.)
La propagande pourra très bien nous vendre l’esclavage comme étant la liberté, un cercle pour un carré (voir Goebbels) etc. Ce qui ne devrait pas poser trop de difficultés, d’un côté comme de l’autre, vu la Confusion qui règne déjà, vu que la liberté se conjugue déjà à toutes les sauces, etc. Et c’est déjà pour ça que je reste, comme diront certains, pessimiste. Et moi je dis réaliste.
Aujourd’hui nous sommes «en guerre»… contre le Terrible Virus. Et en même temps… en guerre (avec ou sans «» ?) contre les affreux terroristes barbus. Laissons de côté la Guerre Economique, la Guerre Commerciale et Jean Passe.
C’est quoi une guerre ? Et une guerre sainte, ou une guerre juste… c’est quoi ces conneries ? Faut croire qu’on l’aime, la guerre, pour la voir et la vouloir partout.
Demain, pour gagner la «guerre» contre l’épouvantable CO2, pour «sauver» le soldat Climat et blablabla… on passera à la vitesse supérieure. Rappelons que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
En attendant, moi je dis que nous allons tous crever de peur. Misère misère !
4 JUIN 2014 sur “Permis de procréer, à égalité avec permis de conduire ”… TARDIF disait :
– « Instituer un permis de procréer sans prévoir de sanction pour les contrevenants serait pure démagogie, bref, du vent. [etc.] »
1er juillet 2014, suite à cette juste remarque, Biosphère sortait “Sanctions pour non respect du permis de procréer ?“ Cet article n’a récolté qu’un seul commentaire et j’aurai même préféré que ce soit zéro. Biosphère ouvrait donc là quelques pistes… de réflexion.
1) Soustraire l’enfant à ses parents, retrait de l’autorité parentale… comme le prévoit la Loi.
2) Stérilisation des «parents indignes»… comme en Suède. etc. etc.
En fin d’article Biosphère posait la question : « Dire cela, est-ce glisser sur une très mauvaise pente qui conduirait directement vers un éco-fascisme ?» Je réponds clairement OUI.
Avant de réfléchir à la façon dont on pourrait mettre en place cet odieux permis, et aux sanctions pour les contrevenants… je pense qu’on ferait mieux de se demander déjà quelles sanctions on pourrait infliger aux instances, nationales et internationales, chargées de la protection de l’enfance.
En France les enseignants et les travailleurs sociaux sont entravés dans leur rôle et devoir de signaler les situations où la santé ou la vie de l’enfant est en danger. Et la Justice semble fermer les yeux sur certains crimes. Pourquoi ?
Ensuite, demandons-nous pourquoi ces mères en détresse ont si peur de garder cet enfant, qu’elles non certes pas désiré. Que pourrions-nous faire pour qu’elles aient moins peur ? En dehors de les stériliser, évidemment. Et demandons-nous quelle est la Véritable Cause de toute cette misère sur Terre. En dehors du (sur)nombre, évidemment.
– « Absolument rien de neuf […] Cette manie de redécouvrir constamment l’eau tiède… »
De passage fait là une juste remarque. Et je me demande alors à quoi ça sert d’expliquer l’infanticide et le néonaticide. En France et partout, le nombre des enfants maltraités (battus, violés, exploités) est largement supérieur à celui de ces néonaticides. Je pense qu’on ferait alors mieux de parler de ces institutions et de cette justice sensée les protéger.
Maintenant si le but de la manoeuvre est de nous fourrer dans le crâne que l’infanticide (comme l’élimination des vieux, des mal foutus etc.) est non seulement une histoire vieille comme le monde, mais une histoire disons naturelle, une loi de Dame Nature… qui sert l’intérêt du groupe et l’harmonie du monde… alors continuons sur cette voie. Ou cette pente comme dit TARDIF*.
Faisons tomber les limites, les tabous, comme PM11 :
– « De la fécondation à la naissance il ne devrait pas y avoir de délit […] un néonaticide a ses raisons qui ne mérite pas les procès et l’attention qu’on lui porte.»
*TARDIF 4 JUIN 2014 sur “Permis de procréer, à égalité avec permis de conduire ” :
– « … Pour vous lire régulièrement, je m’abstiens généralement de commenter ici. Pour une fois, je vous fais part de mon sentiment: vous glissez sur une très mauvaise pente sur ce blog, et depuis un bon moment. Elle vous conduit directement vers ce que l’on ne peux qualifier autrement que comme… un éco-fascisme. »
Notre société se refuse à réfléchir sur son passé, l’ethnologie nous apprend pourtant beaucoup et c’était un aspect important de l’article.
Notre société se dépêche de condamner des personnes au présent sans s’interroger sur les conditions qui mènent à l’acte, ici la situation de dénuement de certaines femmes. C’était l’aspect premier de cet article centré sur l’analyse d’une sociologue.
Les réseaux sociaux et l’anonymat permettent à des personnes d’employer des gros mots comme « écofascisme » sans se donner la peine de justifier leurs dires. Misère, misère…
@ Biosphère 15 FÉVRIER 2022 À 14:42
Nous sommes finalement d’accord sur beaucoup de points. Je tiens donc à le dire.
Bien sûr, nous devons tenir compte du passé, du travail des historiens, et des sociologues, philosophes, des éthologues, etc. Bien sûr, il n’est pas question de condamner des personnes sans s’interroger sur les conditions qui mènent à l’acte (sic), comme ici le dénuement et la misère de ces femmes. Sur ce point, voir mes deux précédents commentaires de 13:11 et 13:16. Et bien sûr nous ne ferons rien avancer en balançant n’importe quoi sur les réseaux dits sociaux. Rien de bon en tous cas ! C’est ce que je ne cesse de dire. Misère misère 😉
Ceci dit je trouve ce commentaire de TARDIF intéressant. Déjà il vous fait part de son sentiment, ou de son point de vue, d’écologiste je suppose… et de plus il vous met en garde contre quelque chose qu’il voit comme un danger. Peut-être en effet aurait-il dû développer… Mais peut-être a-t-il jugé que ça n’en valait pas la peine… En tous cas, moi aussi je ne cesse de vous mettre en garde, de vous dire que vous êtes sur une pente glissante.
Je ne vois pas en quoi «éco-fascisme» serait un gros mot, je trouve «khmers-verts» bien plus injurieux. Le fascisme (le totalitarisme) n’est finalement que le résultat d’une dérive. Cette dérive je la vois tous les jours, ici et là. Nous y allons plein pot, alors n’allons surtout en rajouter au Désastre. Et puis je ne vois pas pourquoi certains lanceurs d’alertes, ou messagers, seraient des modèles (de lucidité, de courage, d’écologie etc.) et d’autres des andouilles, des fumiers ou je ne sais quoi.