Quand la clim’ réchauffe le monde entier

François Jarrige : De nombreux rapports mettent en garde contre les risques du réchauffement climatique. Ils décrivent pour la plupart un scénario apocalyptique. Pour les solutions, c’est encore et toujours l’appel à l’adaptation qui l’emporte, s’adapter à un futur annoncé comme irrespirable et contaminé. Pour s’adapter à cette chaleur croissante et étouffante, la réponse préconisée est d’abord technologique : elle consiste à équiper son logement, sa voiture, son bureau d’un appareil climatiseur. Si officiellement les pouvoirs publics recherchent des solutions collectives, ce sont les réponses individuelle et à courte vue qui s’imposent. Dès 1960 aux USA, 12 % des foyers sont équipés, 55 % en 1980, 82 % en l’an 2000 et autour de 90 % aujourd’hui. L’industrie automobile s’y convertit rapidement, dès 1969 54 % des véhicules neufs sont équipés. Dès 1945, Henry Miller dénonçait un « cauchemar climatisé ». En France aujourd’hui, la climatisation semble devenu un droit fondamental, au même titre que l’accès à l’eau potable !

Parmi les problèmes soulevés par cette infrastructure de refroidissement, l’inconvénient majeur est sans doute l’utilisation de fluide frigorigène (hydrofluorocarbures) dont le pouvoir de réchauffement est bien plus important que celui du CO2. Ces appareils sont également très énergivores. Si la moitié des habitations s’équipaient d’une petite climatisation de 3 kWh, une vingtaine de réacteurs serait nécessaire en France. La climatisation symbolise aussi le fossé croissant entre les riches climatisés et les milliards d’habitants démunis contraints à subir des épisodes de chaleur de plus en plus éprouvants. Incroyable paradoxe de notre société qui sait combien la climatisation est néfaste mais qui semble de plus en plus incapable de s’en passer. (extraits d’un article dans La Décroissance de novembre 2017)

Biosphere : C’est la clé du problème climatique, les besoins exprimés par nos concitoyens. S’ils allaient à pied ou en vélo à leur travail, s’ils faisaient uniquement du tourisme de proximité, s’ils ne chauffaient pas les chambres à coucher, alors nous pourrions passer en douceur à une société post-carbone. Mais ils veulent 4×4 et quads, tourisme dépaysant et climatisation généralisée. C’est pourquoi l’effondrement de la société thermo-industrielle ne se fera pas en douceur… (post du 24 mai 2015)

Nicolas Hulot : Nous ne pouvons qu’être effarés de notre propre aveuglement. Les hommes peuvent exprimer leurs inquiétudes sur la dégradation du climat d’un ton fort grave pour aussitôt les oublier, acheter une nouvelle voiture, mettre la climatisation ou prendre l’avion pour partir en vacances. (Le syndrome du Titanic – 2, 2009)

Bill Bryson : La journée était superbe. Pourtant toutes les voitures roulaient vitres fermées. Dans leur habitacle hermétiquement clos, tous les automobilistes avaient réglé la température pour reproduire un microclimat identique à celui du monde extérieur… Promenez-vous dans n’importe quelle banlieue américaine en été, et vous aurez peu de chances d’y voir des enfants jouer au ballon ou faire du vélo : ils sont tous à l’intérieur. Et le seul bruit qu’on entend, c’est le bourdonnement des climatiseurs à l’unisson. (American rigolosPayot, 2003)

3 réflexions sur “Quand la clim’ réchauffe le monde entier”

  1. « Comment expliquer à un économiste qu’acheter un climatiseur pour lutter contre la canicule engendre un cercle vicieux thermodynamique ? Mais comment faire comprendre à un physicien qu’acheter un climatiseur est un bienfait pour l’emploi ? Enfin, comment faire admettre à un politicien ou à un syndicaliste qu’ils doivent mettre d’accord l’économiste et le physicien ? » (Philippe Lebreton)

  2. Les petits-bourgeois que nous sommes devenus (tous, plus ou moins) ont « besoin » d’une température disons de 21° toute l’année. L’hiver, au lieu d’enfiler un vieux caleçon et un vieux pull, ils poussent le bouton sur 21. L’été c’est pareil (disons 21).

    Et là-dessus ils vous diront qu’à moins on se les gèle… et qu’à plus c’est intenable, voire « invivable ». On se demande alors comment on a pu survivre jusqu’à l’invention des radiateurs et de la clim.
    Quoi qu’il en soit, aujourd’hui la clim est un élément qui fait partie du décor de la maison du petit-bourgeois qui se respecte, comme le frigo, la machine à laver, la télé, l’ordi etc. etc.
    Lors des grosses chaleurs, il fait bon dans le super-marché climatisé à 21… ainsi le con-sommateur-petit-bourgeois n’est pas pressé d’en sortir. Idem avec sa sacro-sainte bagnole, aujourd’hui il n’a plus à redouter les heures de route en plein cagnard.
    Bref, le con-sommateur-petit-bourgeois moderne soutiendra que la clim est indispensable. Misère !

    En réponse à la question de Didier Barthès :  » Existe-t-il un seul point sur lequel nous allions dans la bonne direction ?  »
    Ben, je ne vois pas. Mais peut-être dans quelques jours… si on venait nous apprendre que le Black-Friday n’a pas généré autant de chiffre qu’on pouvait bien l’espérer.Mais j’en doute.

  3. C’est une des déclinaisons de notre séparation avec la nature.
    La climatisation ne nous permet plus de ressentir la chaleur de l’été, l’éclairage nous coupe de l’alternance nuit-jour, les transports, du caractère vaste et divers du monde.
    Et toutes ces choses, en plus de nous troubler et de troubler tous les cycles de la vie, coûtent de l’énergie et génèrent de la pollution.
    Existe-t-il un seul point sur lequel nous allions dans la bonne direction ?

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