La BD « Ressources, un défi pour l’humanité » de Philippe Bihouix et Vincent Perriot est un livre incontournable. Il met en image la finitude des ressources et le fait que le progrès technologique nous mène à une impasse. Ce livre publié chez Casterman n’hésite pas à évoquer Malthus, ce qui tranche sur la pusillanimité des « experts » quant à la question démographique. Quelques extraits du texte :
p.33 : Les philosophes s’éclatent à envisager le futur par un prisme ; celui du progrès des sciences. Ainsi Condorcet (1743-1764) : « Sans doute l’homme ne deviendra pas immortel… mais la durée de l’intervalle entre la naissance et la mort ne peut-elle, grâce au progrès de la médecine, s’accroître sans cesse? »
p.34 : De l’autre côté de la manche, William Gowin (1759-1838) va pousser la logique encore plus loin : « Les hommes seront peut-être immortels ».
p.35 : Godwin se veut rassurant, la Terre est spacieuse et on peut continuer à se reproduire et se multiplier pour une myriade de siècles sans problème de subsistance… Les écrits de Condorcet et Godwin font bondir un jeune révérend qui n’a pas encore trente ans à l’époque, Thomas Malthus (1766-1834). Pour lui la croissance de la population a ses limites, liées à la capacité de la terre à nourrir les hommes et aux rendements agricoles qui ne peuvent augmenter indéfiniment… Pour limiter la population, la nature et les sociétés ont trouvé des moyens diablement efficaces… p.36, la guerre, la maladie, la famine. Pas facile à éviter, ce principe de limites. Mais à partir du milieu du XIXe siècle, la science va faire mentir Malthus avec le chimiste Justus von Liebig (1803-1873) qui travaille sur le rôle des éléments fertilisants.
p.42 : à la sortie de la guerre de 1939-1945, la dégradation de l’environnement inquiète, et les premières voix écologistes vont s’élever. William Vogt avec « la faim dans le monde » (Road to Survival) et Fairfield Osborn, « La planète au pillage » (Our Plundered Planet). Ces deux livres ont la même thèse : en combinant poussée démographique et « développement » économique, on s’expose à de gros ennuis dans un futur pas si éloigné. Malthus le retour !
Nombre de personnes x consommation par personne = limites planétaires explosées
Ils se déclarent d’ailleurs « néomalthusiens » sans que le terme soit pour eux péjoratif.
p.43 : La démographie mondiale devient un sujet de préoccupation majeur dans les années 1950 et 1960. En 1968 un autre essai va faire beaucoup de bruit : The Population Bomb de Paul Ehrlich. Biologiste et spécialiste des papillons, il prédit qu’il va y avoir des famines terribles… Mais au « Nord « comme au « Sud », les engrais et les pesticides vont doper les rendements agricoles. Le progrès technologique va faire mentir Malthus une nouvelle fois. En réponse aux biologistes lanceurs d’alerte, des futurologues vont prédire non pas la pénurie, mais l’abondance !
p.45 : Attendons la suite. En 1972, les écolos maquent des points avec un nouveau best-seller : le rapport au club de Rome Limits to growth (Les limites à la croissance). C’est la première modélisation du « système Terre ». Pour eux le résultat est sans appel , la croissance infinie dans un monde finie est impossible. C’est une évidence très difficile à accepter pour la plupart des élus, des chefs d’entreprise, des économistes, des journalistes… Eux ne parlent que de poursuivre la croissance.
p.48 : Julian Simon (1932-1998) économiste libéral et célèbre cornucopien, est un farouche anti-malthusien. Pour lui, plus nous serons nombreux, plus nous irons vers l’abondance… Plus de monde signifie en effet plus de chercheurs, plus d’innovation, donc des limites planétaires d’autant plus repoussées. For sure ! Man (and technology) is The Ultimate Resource » ! Plus nous serons « nombreux », plus nous serons « heureux » !
p.49 : Simon s’oppose à toute politique de restriction des naissances, avec un argument massue repris par d’autres depuis.
Julian Simon en 1981 : « Sommes-nous devenus fous ? Empêcher la naissance d’un être humain qui pourrait être un nouveau Mozart, un Michel-Ange, un Einstein ? »
Jeff Bezos en 2019 : « Le système solaire peut facilement supporter mille milliards d’humains, nous aurions mille Mozart, mille Einstein, mille De Vinci… »
Finalement sous prétexte de modernité et de « disruption », Elon Musk et Jeff Bezos nous resservent une vieille soupe des années 1970 !
p.61 : Ce que je veux te faire comprendre, c’est que la croissance matérielle que nous vivons actuellement ne sera qu’une brève parenthèse de l’histoire de l’humanité.
Et le projet d’Elon Musk, le millions d’habitants sur Mars ? C’est moins ridicule que de chercher une exoplanète B loin du système solaire, mais ça reste techniquement inaccessible.
p.62 : Pendant qu’Elo Musk nous vend ce doux rêve de long terme (Mars), il va développer des business « bankable » à court terme et accélérer la pollution, le changement climatique et l’exploitation des ressources. J’ai en tout cas du mal à le considérer comme un entrepreneur « vertueux ». Imagine son rêve : des générations entières devant se « terrer » sur la Lune ou sur Mars à l’abri des radiations car toutes deux n’ont pas de bouclier magnétique pour les arrêter…
En savoir plus sur Bihouix grâce à notre blog biosphere
2019. Bihouix, Low tech contre High tech
extraits : L’âge des Low tech de Philippe Bihouix : « Quelle est la capacité de résilience d’un système toujours plus complexe et interdépendant ? Notre monde ultra-technicisé, spécialisé, globalisé pourrait-il résister à une débâcle, que celle-ci vienne de la raréfaction des ressources énergétiques et métalliques, des conséquences du changement climatique ou d’une nouvelle crise financière ? Cet ouvrage développe la thèse qu’au lieu de chercher une sortie avec plus d’innovation et de hautes technologies (high tech), nous devons nous orienter, au plus vite et à marche forcée, vers une société essentiellement basée sur des basses technologies (low tech)….
2019. Rêveries d’un ingénieur solitaire, Philippe Bihouix
extraits : Dans son dernier livre, Philippe Bihouix complète son analyse antérieure des techniques douces. Ce qui de Thomas More à Gordon Moore sous-tend son raisonnement, c’est l’opposition entre les fausses utopies et le réalisme nécessaire aujourd’hui pour faire face à l’urgence écologique. Il bataille contre le techno-solutionnisme et fait une analyse bien documentée des hyperloop et autres fantasmes comme la conquête d’exoplanètes. Nous n’arriverons pas à bouger la terre pour la mettre en orbite autour d’un soleil de rechange….
2014. Au nom de l’écologie, le massacre de la planète (Bihouix)
extraits : Il est clair que l’argument écologique va contribuer à promouvoir certains technologies comme le big data avec les déchets et la consommation d’énergie qui iront avec. Au nom de l’écologie, on s’apprête à accélérer l’artificialisation des sociétés et le saccage de la planète… L’écologie politique officielle a glissé d’une écologie de la demande, où il s’agissait de questionner les besoins, de prendre les problèmes à la racine, à une écologie de l’offre, où on exige une énergie décarbonée, mais sans rien vouloir changer à notre mode de vie. Il faut alors s’enthousiasmer sur les smart grids et promettre d’isoler les logements sans toucher à la température de consigne…
2014. Philippe BIHOUIX est enfin à l’honneur dans LE MONDE
extraits : Technologie n’est pas magie. Sur ce blog, nous suivons les travaux de Philippe Biouhix depuis janvier 2011. Stéphane Foucart le découvre seulement aujourd’hui*. Il a attendu que la Fondation de l’écologie politique distingue son dernier livre, L’Age des low tech, par son « Prix du livre francophone ». La vertu première de ce livre est de nous aider à combattre notre paresse intellectuelle qui conclut trop souvent ainsi les discussions sur l’annonce des catastrophes: « On trouvera bien une solution. » C’est-à-dire une solution technologique….
2014. Philippe BIHOUIX : Vive le low-tech, les technique simples
extraits : Philippe Bihouix vient de publier « L’âge des Low Tech ». Il présente son point de vue dans la dernière parution de « L’Ecologiste ». Nous vous donnons quelques extraits : « Si l’imagination fertile des êtres humains n’a pas de limites, les équations de la physique, elles, sont têtues. Plus on est high-tech, moins on fabrique des produits recyclables et plus on utilise des ressources rares dont on finira bien par manquer. Il est absurde de croire que les solutions technologiques pourront être déployées à la bonne échelle. Ainsi l’ensemble des résidus agricoles de la planète ne suffirait pas à couvrir notre seule consommation de plastiques… Il faut donc se tourner vers les basses technologies. D’abord réfléchir à nos besoins….
Comme ON sait les enfants adooooorent les images. Par contre ils n’aiment pas trop lire. Parce qu’elles sont pleines d’images, tout plein tout plein, les BD c’est mille fois mieux que les romans. Et si en plus d’être ludiques elles peuvent être instructives, éducatives et en même temps, alors c’est le Top. Et s’il s’en trouve une qui évoque Malthus, alors là c’est la cerise sur le Cake, Gigatop ! Celle là vaut mille fois plus que toutes les forêts de France et de Navarre, elle est alors in-con-tournable !
Super bonne idée pour la commande au Papa Noël. Merci Biosphère !
Plus sérieusement :
– « La BD documentaire se développe beaucoup, c’est un format qui permet de toucher un public différent, complémentaire, plus jeune ou qui, simplement, ne souhaite pas se lancer dans la lecture d’essais écolos de 300 pages ! […]
J’espère que cette bande-dessinée trouvera son public, dans les collectivités locales, les administrations, les entreprises, les familles – y compris les ados et pré-ados ! C’est un sujet incroyable et passionnant – qui, une fois découvert, ne laisse pas indifférent. Il mérite d’être mieux connu et d’alimenter nos réflexions sur l’avenir souhaitable. »
( Entretien avec Philippe Bihouix, auteur de la BD Ressources, un défi pour l’humanité : « il n’était pas inéluctable de considérer l’être humain comme un consommateur compulsif » goodplanet.info )
Quand Philippe Bihouix dit qu’il espère… que cette BD etc. il aurait dû plutôt dire :
– « je le souhaite plus que je ne l’espère »
Même si je pense que la (fameuse) prise de conscience est faite depuis longtemps (qu’il ne sert donc à rien d’en rajouter dans ce sens), je juge grave qu’ON rechigne à lire 300 pages. D’autant plus que tout est lié, et que l’écologie ne peut faire l’impasse des connaissances dans quasiment tous les domaines.
– « Nous finirons par être contraints par la disponibilité en ressources, ce qui nous obligera à évoluer dans notre manière de consommer »
Oui, mais surtout à évoluer dans notre manière de penser. Or penser ne se réduit pas seulement à rêver, à imaginer des utopies (mondes meilleurs), penser c’est aussi tenir compte des réalités, de nos capacités, individuelles aussi bien que comme collectives etc.
Bref, comme dit Philippe Bihouix « C’est un sujet incroyable et passionnant … » 😉