Sotchi 2014. Comprenne qui pourra, slopestyl, snowboard, half-pipe, snowpark ou skicross, les Jeux olympiques d’hiver ne veulent pas paraître ringards par rapport aux X-Games. De toute façon ces JO on s’en fout, c’est pas écolo. Car c’est une des manières de nous empêcher de voir que nous allons au désastre écologique tout en détériorant encore plus les montagnes. Dès 1969 dans son livre Le Jardin de Babylone, Bernard Charbonneau constatait les méfaits de la neige comme défouloir : « La paix de l’hiver est rompue par les skieurs, le blanc des neiges, piétiné et balafré, n’est plus qu’un terrain vague maculé de débris et de traces. La montagne est mise à la portée des masses payantes. Mais est-elle encore la montagne ? Il n’y a plus de montagne ; il ne reste qu’un terrain de jeu… Si nous voulons retrouver la nature, nous devons d’abord apprendre que nous l’avons perdue. » Nous perdons la tranquillité des montagnes pour devenir des conquérants de l’inutile. Cette remarque ne vaut pas que pour les JO, mais pour tout sport-spectacle.
Prenons l’exploit de Renaud Lavillenie qui a travaillé comme un stakhanoviste* pour franchir 6,16 mètres à la perche. Est-ce vraiment utile que de vouloir sauter toujours plus haut avec un bâton en guise d’appui ? Cet « exploit », qui efface le record du monde de Sergueï Bubka, vieux de 21 ans, valait-il l’effort de toute une vie ? Car un record nécessite une spécialisation poussée à l’extrême et un milieu vraiment particulier. Le père de Renaud, ancien perchiste lui-même, l’a entraîné, et le frère cadet est crédité d’un saut à 5,70 mètres. Renaud répète inlassablement les sauts, parfois jusqu’à la centaine ; il s’entraîne même dans son jardin. Un perchiste peut soulever à bout de bras entre 120 et 150 kg en musculation, il faut beaucoup de force pour se propulser avec une perche. Et puis il faut aussi courir très vite, Bubka frôlait les 36 km/h sur 45 m d’élan.
Spécialisation extrême, rapidité, vitesse, performance, compétitivité, concurrence… Comment ne pas voir que tout cela correspond aux « qualités » humaines privilégiées par le libéralisme économique. Comment ne pas voir que tous ces jeux de cirque montrent en pâture à la foule des athlètes vidés de toute autonomie pour entretenir l’illusion de la force des hommes. Lisez Divertir pour dominer (la culture des masses contre les peuples), vous en sortirez vacciné contre l’idéologie sportive et toutes les autres façons de domestiquer les travailleurs, d’obtenir leur consentement à une société factice…
LE MONDE du 18 février 2014, Renaud Lavillenie, le triomphe d’un stakhanoviste
Sisyphe des temps modernes, dont la condamnation a été prononcée par la société du spectacle agissant en qualité de représentante des dieux: performance, argent… Une simple seconde de réflexion suffirait à ce sportif pour s’en libérer, mais c’est peut-être beaucoup demander. En tout cas, encore une occasion ratée de méditer sur la qualité du sens de la vie que peut nous proposer ce système.
Sisyphe des temps modernes, dont la condamnation a été prononcée par la société du spectacle agissant en qualité de représentante des dieux: performance, argent… Une simple seconde de réflexion suffirait à ce sportif pour s’en libérer, mais c’est peut-être beaucoup demander. En tout cas, encore une occasion ratée de méditer sur la qualité du sens de la vie que peut nous proposer ce système.