Ce n’est pas la guerre, mais ça y ressemble bougrement, 2 200 000 hommes en armes. Même allure, treillis, casquettes Bigeard, carabines à répétition. Même déploiement, sur chaque chemin de terre passent des uniformes. Rien ne peut passer entre les mailles du filet. Les montagnes se renvoient l’écho des déflagrations. Depuis quelques semaines, la chasse est ouverte (le 8 septembre dans le midi, fin septembre dans le Nord). La chasse en France est élevée à la hauteur d’un culte, d’une religion. Il n’y a jamais eu aussi peu de gibier. Jamais il n’y a eu autant de chasseurs. Aux temps préhistoriques, les animaux surabondaient et menaçaient l’homme qui devait se terrer (20 000 individus se partageaient le territoire de la France au néolithique). Aujourd’hui, ce sont les animaux qui vivent dans la terreur, menacés dans leur vie, menacés de disparition. Le gibier a du mal à réchapper à l’encerclement. Chaque chasseur ne dispose en moyenne que d’une vingtaine d’hectares chassables alors que l’Allemand en a 140 et le Hongrois 310.
On tire aux alentours de 400 millions de cartouche par an, soit une moyenne de 200 par fusil. Indestructibles, elles sont en plastique, on aime l’odeur de la poudre chez nous. Pas maladroit non plus, le chasseur français : 80 millions d’animaux tués chaque année. Dans ce fabuleux tableau, 25 873 000 grives, 13 261 000 lapins, 7 millions de faisans, 1 497 000 canards, 1 393 000 bécassines, 58 500 chevreuils, 37 000 sangliers… Tous les spécialistes s’accordent pour dire qu’après avoir massacré le fonds (le capital de base), on s’est attaqué aux intérêts. C’est-à-dire que la faune indigène ne peut se reconstituer au rythme actuel de prélèvement. La demande dépasse l’offre. La pression est trop forte pour une faune aussi persécutée. Soyons honnête, il n’y a pas que la chasse qui est responsable. Le remembrement, l’arasement des haies, l’emploi massif des pesticides, la prolifération des routes, la monoculture ont tué à tout jamais cette faune extrêmement riche et diverse de nos campagnes bocagères. Ils ne sont pas rares les chasseurs qui affirment qu’ils sont trop nombreux, que la pression cynégétique est catastrophique. Mais en haut lieu on ne fait pas grand-chose pour freiner le phénomène.
On entend par repeuplement ces lâchers de gibier que toutes les sociétés de chasse effectuent désormais avant l’ouverture. Plus la situation s’aggrave, plus on relâche. Plus la faune est décimée, plus les éleveurs de gibier se frottent les mains. Ils n’ont jamais été aussi nombreux et leur commerce aussi florissant. Des bébêtes incapables de différencier un grain de blé d’un grain de maïs, élevées en batterie, aux granulés. Bien évidemment ces animaux, qui ne peuvent ni courir, ni voler, sont la proie des rapaces, des chiens et des chats. C’est pourquoi on préfère lâcher les volatiles les jours de chasse. Elle est bien morte la chasse sympathique du petit paysan. Ce sont les cadres moyens qui fournissent les plus gros contingents de chasseurs. Chez les cadres supérieurs, les industriels, on ne regarde pas à la dépense. Les prix des actions de chasse monte de 5000 à 40 000 francs manuellement, les palombières du pays basque s’adjugent jusqu’à 80 000 francs…
extratis du périodique le Sauvage, octobre 1978, « la solution finale », un article de Bernard Groslier
Quelques pensées sur la chasse (extraites de la rubrique « citations » du site Economie Durable)
« Ce gai chasseur, armant son fusil ou son piège,
Confine à l’assassin et touche au sacrilège,
Penser, voilà ton but ; vivre, voilà ton droit,
Tuer pour jouir, non. Crois-tu donc que ce soit
Pour donner meilleur goût à la caille rôtie
Que le soleil ajoute une aigrette à l’ortie,
Peint la mûre ou rougit la graine du sorbier ?[…]
Dieu qui fait les oiseaux ne fait pas le gibier… »
Victor Hugo
« La chasse, c’est le défoulement national, c’est le petit Vietnam des frustrés. C’est la guéguerre permise aux hommes en temps de paix. »
Henry Tachan « La chasse » (chanson)
« La chasse est le moyen le plus sûr pour supprimer les sentiments des hommes envers les créatures qui les entourent. »
Voltaire