Une société sans tabac, est-ce possible ?

A l’heure où l’Allemagne légalise le cannabis récréatif, le Royaume-Uni veut interdire définitivement le tabac. Certes tous les goûts sont dans la nature, mais à ce point, c’est à ne plus rien y comprendre. Un peu tordu d’interdire le tabac, et de laisser l’alcool avec ses terribles méfaits de tous ordres. Étape suivante ? Interdiction de conduire pour ceux nés après 2009, puis interdiction de Coca et autres sodas pour les mineurs, interdiction des jeux d’argent, interdiction des écrans et leurs spectacles débilitants, etc. Certes, si on supprime tous les emplois inutiles et/ou nuisibles à l’homme et à l’environnement, le chômage dans les pays développés ferait un bond en avant extraordinaire. Mais n’est-ce pas LA solution au désastre écologique en cours ? Faisons le point en roulant notre joint.

Cécile Ducourtieux : Dans un pays où les paquets de chips couvrent des rayons entiers de supermarchés, et où les collégiens mangent des nuggets de poulet au goûter, aucun contrôle. C’est signe de l’aversion presque épidermique des tories pour le « Nanny State » (« l’Etat nounou ») – l’intervention des pouvoirs publics dans la sphère privée. C’est au nom du rejet du « Nanny State » que les conservateurs ont jusqu’à présent refusé de légiférer pour prévenir l’obésité, touchant pourtant plus de 25 % de la population adulte britannique, un record européen.

Pourtant adopté en première lecture à la Chambre des communes le 16 avril 2024, le « Tobacco and Vapes Bill » fait un tabac. Le Royaume-Uni veut interdire définitivement la vente de cigarettes aux générations nées à partir de 2009. C’est une première mondiale. Le gouvernement de Rishi Sunak assure vouloir « protéger les futures générations » des dommages du tabac. Le tabac est la « première cause évitable » de décès dans le pays, tuant les deux tiers des gros fumeurs et causant 80 000 morts par an. La pression sur le système hospitalier public est considérable : « presque chaque minute », un patient est hospitalisé à cause du tabagisme…

Le point de vue des écologistes anti-drogues

Une économie croissanciste ne peut pas reculer durablement. Si elle commence à le faire, elle risque de s’écrouler brutalement de manière cumulative. Il faut absolument croître, même quand les nécessités de base sont satisfaites pour tous ; même quand une partie de la population perd sa vie à produire des choses inutiles ou nuisibles ; même quand il s’agit persuader les gens qu’il vaut mieux acheter des soupes en boîte que les faire soi-même, boire des eaux gazeuses plutôt que de l’eau, se déplacer en voiture plutôt qu’à pied ou en vélo, ingurgiter de l’alcool et fumer. En fait nous sommes victimes du système techno-industriel et de la publicité qui va avec.

Le péché originel a été commis au cours de l’automne 1492 quand on découvre le tabac en Amérique. Jean Nicot (1530-1600) le diffuse en France. Pourtant les humains n’ont pas besoin de voiture, encore moins de la nicotine des cigarettes, mais la dynamique de l’innovation se désintéresse des finalités de la consommation pour imposer sa propre logique du profit. C’est l’invention en 1880 d’une machine capable de produire plus de 200 cigarettes à la minute, soit autant que 40 à 50 ouvrières ayant un bon coup de main, qui va changer le niveau de tabagisme. Plutôt que de licencier des centaines d’ouvrières au risque d’un conflit social, un entrepreneur a utilisé l’augmentation de productivité pour faire baisser les prix et inciter à la consommation de masse : on crée alors de nouvelles marques, de nouveaux goûts, de nouvelles addictions. Les industriels profitent de la dépendance physiologique et les experts de l’OMS n’indiquent qu’en 1988 que le tabac est une drogue aussi forte que la cocaïne ou la morphine. N’oublions pas la responsabilité des États ! En France, le Service d’exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA), fondée en 1926, fut une entreprise publique et monopole d’État rattachée à la Caisse autonome de gestion des bons de la défense nationale et d’amortissement de la dette publique. Tous responsables, tous coupables.

Mais plutôt qu’un interdit sur une de ces consommations qui nous rend esclaves, nous conseillons à Rishi Sunak d’interdire toutes les publicités sans exception. Une économie de subsistance, une société dont les membres produisent le nécessaire pour vivre, n’a pas besoin de publicité. Même une économie de marché rurale et artisanale, comme celle des pays développés jusqu’au milieu du XIX siècle, n’en a pas besoin. Aujourd’hui le marché n’est plus un ensemble concret de clients plus ou moins bien connus, mais une masse abstraite de consommateurs lointains. Il devient donc indispensable de dépenser des sommes considérables pour s’attacher ces inconnus grâce aux médias de masse. Ce sont les grandes firmes industrielles qui font de la publicité. En particulier les Big 4, Philip Morris International (PMI), British American Tobacco (BAT), Japan Tobacco International (JTI) et Imperial Brands. Interdites de publicité, ces entreprises disparaîtront et le tabagisme de masse avec. On retrouvera alors par nos propres moyens le goût de ce qu’il faut acheter ou pas.

En savoir plus grâce à notre blog biosphere

De la misère humaine en milieu publicitaire par le groupe Marcuse (2004)

extraits : La fonction première de la publicité est de promouvoir la consommation de produits industriels et leur substitution aux usages populaires traditionnels. La pub suscite des chaos culturels qui introduisent en force des consommations venues d’ailleurs. Les séries télévisées, en mettant en scène la vie moderne des familles riches, font rêver de nouveaux modes de vie. Procter&Gamble a par exemple entièrement financé la série télévisée Amour, Gloire et Beauté. Les cigarettes manufaturées détrônent la pipe et le tabac à chiquer, les boissons sucrées se substituent à l’eau, la cuisine domestique est remplacée par les plats sous cellophane….

le tabac tue et rend esclave, un écolo ne fume pas (2012)

extraits : Au cours de la réunion de Paris qui a mis en mouvement le plan Marshall le 12 juillet 1947, il n’y avait aucune demande des Européens spécifique au tabac. Cela a été proposé et mis en avant par un sénateur de Virginie. Au total, pour deux dollars de nourriture, un dollar de tabac a été acheminé en Europe. Les populations européennes sont alors devenues accros au tabac blond….

Cigarettes, bombes écotoxiques pour la planète (2023)

extraits : On estime que 4 500 milliards de mégots sont jetés par terre chaque année à l’échelle de la planète et terminent invariablement dans les cours d’eau et l’océan. Un mégot de cigarette peut contaminer jusqu’à 500 litres d’eau. En France, 23,5 milliards de mégots sont jetés chaque année dans l’espace public. Chaque fumeur jette en moyenne 5 cigarettes par jour dans l’espace public. A Paris, environ 350 tonnes sont ramassées tous les ans….

9 réflexions sur “Une société sans tabac, est-ce possible ?”

  1. – « A l’heure où l’Allemagne légalise le cannabis récréatif, le Royaume-Uni veut interdire définitivement le tabac. [etc. »

    Peut-être, ou certes… c’est à ne plus rien y comprendre. Mais ! En général ce sont plutôt les libéraux qui mettent en avant le chômage généré par toutes ces interdictions… que mettraient en place les Khmers Verts, s’ils prenaient le Pouvoir. BRRR !!! Alors le chômage plomberait l’Économie, la Compétitivité, les caisses de la Sécu et de la Retraite et blablabla.
    Ces mêmes libéraux qui prônent le natalisme, là encore pour les mêmes raisons.
    Il ne faudrait donc surtout pas que ce soient les écolos qui s’inquiètent des conséquences de la suppression de tous les emplois inutiles et/ou nuisibles. Parce que là oui, ce serait à ne plus rien y comprendre ! Faisons le point en roulant notre joint. Coucou Didier 🙂 ( à suivre )

    1. (suite À 11:05) Du côté de chez moi, il y a quelques décennies, les paysans cultivaient du tabac. Aujourd’hui c’est fini, ils font pousser autre chose à la place. De bien plus rentable probablement, vu la taille de leurs tracteurs. 😉 Pour l’alcool, on a vu ce qu’a donné la Prohibition aux États-Unis. Une explosion de la criminalité ! Quant au cannabis, je crois qu’on en a suffisamment parlé ici sur Biosphère. Je crois qu’il faut voir plus loin que la toxicité de ces drogues et avoir un discours cohérent.
      D’abord, en ne perdant pas de vue l’Utopie (décolonisation des imaginaires), évitons de raisonner comme résonnent les libéraux. Se rappeler que ce n’est pas le Pognon qui manque, qu’il y a mille façons de remplir les caisses, et d’occuper les gens. Ensuite, avant d’interdire le tabac, l’alcool et le cannabis (à chacun sa came), bien voir qu’il y a des choses beaucoup plus urgentes à supprimer.
      ( à suivre )

      1. (suite et fin) Et c’est là que je rejoins Biosphère.
        Un bel exemple de métier nuisible, celui de publicitaire !
        Je propose donc de tous les revonverdir dans l’environnement. Ramasseurs de déchets (cannettes Coca, emballages Mc Do, paquets de chips et autres saloperies, bouteilles plastoc, sans oublier les mégots), voilà un job utile !
        Demandant très peu d’énergie, pratiquement pas de ressources, au grand air, ce qui ne pourrait que leur faire du bien.
        Payés par l’État bien sûr ! Hors de question de laisser ceux qui pourrissent la planète se faire encore plus de Pognon en la nettoyant !

        PS : bizarre ces bugs sur Biosphère…

  2. Didier BARTHES

    En tout cas pour la nature (mégot, pollution, voire CO2, je n’ai pas vu d’étude sur les émissions à ce sujet) comme pour les non-fumeurs, le tabac est vraiment une plaie.
    Quant au cannabis, c’est une véritable folie de vouloir l’autoriser. Non aux drogues, la société serait bien plus heureuse, il ne faut jamais commencer.
    Là aussi, sur le cannabis, je suis désespéré par la tolérance d’une partie des sphères écolos.

    1. Tabac et cannabis, Didier, on ne peut qu’être d’accord avec toi.
      Et plus une société est surpeuplée, plus il y a de fumeurs de clopes dans une société formatée par l’industrie du tabac, et plus il y a un profond malaise psycho-social, donc toujours plus de fumeurs de cannabis.
      Misère, misère de certains écologistes pro-cannabis !

    2. Chacun sa came !

      Et l’alcool mon cher Didier ? Je parie que là vous crachez pas dessus.
      Je décoooonne bien sûr ! 🙂

      1. Didier BARTHES

        Vous avez raison, je ne crache pas dessus, j’ai calculé que je buvais (tous types d’alcools confondus) environ l’équivalent de 3 à 4 litres de vin… par an, ça reste raisonnable.

        1. CHACUN SA CAME !

          Ben moi c’est la même quantité, environ 30 verres… mais par mois.
          Plus tout le reste, bien sûr. Je sais, je suis pas raisonnable. 🙂

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