La notion de « vivant », est plus inclusive que « nature » et « environnement », moins usée que « sauvage », moins savante que « biodiversité » ou « non-humains », plus partielle que « acteurs absents ». Les mots font ou défont les réalités. Quant un nouveau concept se répand dans l’espace public, il devient un mème et participe à un basculement du monde. Ainsi la notion de « vivant » marque le fait que « la crise écologique actuelle est une crise de nos relations au vivant »(Baptiste Morizot). « Vivant » selon Nicolas Truong permet de sortir du dualisme entre la nature et la culture. De nouvelles ontologies ne séparent plus les humains et les « non-humains », plantes, animaux, fleuves… ne sont plus des choses, mais des êtres qui doivent être pris en compte par le politique comme par le droit. On peut être en empathie avec le vivant, pas avec la nature. Et cette notion permet de mettre un peu d’animisme dans notre société anthropocentrée. On a passé la phase de l’écologie comme « truc dans un coin pour occuper les écolos », maintenant cela concerne des normes opposables à tous et sur de vastes périmètres. Il faut donc une démocratisation du débat et un éclaircissement des alternatives, sortir du vase clos des sachants et militants. L’important, c’est de discuter des rapports que l’humain peut, veut, doit entretenir avec ce que Vivant, Nature, Biodiversité désignent. Quelles nouvelles normes peuvent jaillir de notre rapport au vivant ? Il va bien falloir répondre.
Le philosophe Baptiste Morizot précise la signification du concept de Vivant « qui déplace la focale vers nos interdépendances avec les autres vivants. Il n’y a pas à « sauver » le climat, il ne craint rien : ce sont les vivants qui doivent être protégés des dérèglements du climat, humains compris ». Les humains ne sont qu’une maille dans la trame du vivant. Ce tissage rend la Terre habitable pour nous et pour les autres, et on comprend par là que ce sont elles qu’il faut défendre, et dont il faut prendre soin. Contre l’anthropocentrisme, il nous faut défendre une conception écocentrée, vision plus large que le biocentrisme qui s’intéresse seulement à chaque espèce séparée des autres. Penser avec cette idée de « vivant » n’oppose plus nature et culture, puisque la culture est une manifestation du vivant dans l’humain, une faculté façonnée par l’évolution du vivant. Les mots « biodiversité » ou « environnement » ne nous incluent pas : ce sont des concepts qui expriment l’extériorité hypothétique de l’humain. Le vivant, c’est un concept philosophique qui nomme notre relation à l’aventure de la vie sur Terre. Du point de vue concret, on pratique un meilleur humanisme parce qu’on comprend qu’il faut prendre soin des interdépendances entre tous les êtres vivants. Sans sacraliser bien sûr le Vivant, mère Nature, puisque le vivant vit chaque jour de s’entre-manger, c’est la base des écosystèmes.
Sirelius : J’ai aimé le début de « Manières d’être Vivant » de Morizot. Et puis, très vite, l’auteur goûte à tous les types de saucisses proposées dans un refuge du Vercors. On a donc un philosophe qui chante les louanges du vivant et des beautés inouïs de l’altérité, qui discute avec les loups et voit dans un champ grouillant d’insectes l’équivalent bouillonnant de vie de Times Square. Mais qui, nonobstant sa passion pour les animaux sauvages, les possibilités d’interactions et d’échanges avec eux, se remplit l’estomac du corps supplicié de ceux qui n’ont pas eu la chance de naître à l’état sauvage, mais dans un élevage où en guise de bienvenue à la vie ils se voient arracher les testicules, couper la queue, meuler les dents à vif. Exemple parfait de dissonance cognitive !
le sceptique : Nos débats humains sur le vivant sont toujours des débats sur nos désirs, nos valeurs, nos intérêts. Même le naturaliste le plus désintéressé est en réalité animé par un plaisir d’être dans un certain type de nature, c’est la possibilité de son plaisir qu’il défend.
(Bon, c’est une expérience de l’esprit, jamais je boufferais une laitue et jamais je ne la cultiverais 🙂 Mais disons que ceux qui cultivent des laitues pour ceux qui en mangent se posent ces questions).
Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere.
6 mars 2019, Liselot des papillons (le Respect du vivant)
26 août 2018, Valérie Cabanes, être en harmonie avec le vivant
19 novembre 2015, Le climat dépend des êtres vivants, cela nous intéresse
16 juin 2013, respect du vivant, hommage radical à la dénatalité
19 décembre 2011, biocides : la revanche du vivant
19 décembre 2010, biotechnologies et (non) respect du vivant
24 août 2007, L’unité du vivant
Une bonne définition de la vie est « ce qui résiste à la mort ».
Au premier abord on se dit que c’est juste une tautologie puisque pour pouvoir mourir il faut être vivant, mais en fait si l’on comprend « qui résiste à la mort » comme ce qui résiste à sa destruction » alors la définition semble assez pertinente. Tout ce qui est inanimé ne fait rien pour résister à sa destruction, une montagne, une côte, ne font rien contre l’érosion qui les ronge, un astéroïde ne fait rien pour éviter la planète contre laquelle il se fracassera, un objet ne fait rien contre sa mise au rebut.
Touts les être vivants au contraire, luttent tout au long de leur existence contre toutes les agression et contre le passage du temps.
Cette fois mon cher Didier, j’ai envie d’être d’accord avec vous. A priori cette définition me convient. Savez-vous pourquoi ? Pas parce qu’elle vient de vous 😉 mais parce qu’elle me plait, tout connement. Mais finalement je préfère ne pas me prononcer, comme au sujet de la chasse 🙂 Plus sérieusement… je ne sais pas ce qu’est la vie. Et finalement ça me va très bien, autrement dit ça ne me dérange absolument pas.
– La vie est-elle ce qui résiste à la mort ?
C’était la question abordée sur France Culture le 08/09/2021, dans l’émission
Les chemins de la philosophie.
Pas facile de dire ce qu’est le «vivant». Et la vie encore moins. Quant à la Vie …
Les biologistes ont une définition du «vivant». Heureusement que de ce côté là ils parlent le même langage. Ils diront par exemple que le «vivant» est l’ensemble des êtres vivants, entendu doués de vie. Seulement la vie est une notion philosophique. Les philosophes ont donc d’autres définitions, Baptiste Morizot a la sienne.
Je pense que tous les terriens s’accorderont pour dire que les ours, les rats, les sauterelles, les arbres, les radis, les champignons… et les humains bien sûr, font partie du «vivant». Et sans aucune considération de couleur. Finalement je trouve que c’est déjà pas mal.
Que les virus soient sujets à dissensus (entre scientifiques), qu’ils soient vivants ou pas les virus, pour moi ça reste un détail. Maintenant peut-on dire qu’une rivière, un lac, une montagne, font partie du «vivant» ? Et pourquoi pas la lune… ?
Bien que ce genre de réflexion soit intéressante (pour ceux que ça intéresse), je me demande à quoi ça peut nous avancer. Quand je dis «nous» je parle bien sûr de l’ensemble des terriens, de ceux qui sont là ET de ceux qui n’y sont pas encore (les générations futures). Je peux même y inclure les ours, les rats, les sauterelles etc. 🙂
Disons que la rivière, le lac et la montagne sont l’équivalent de notre maison, ville ou village, l’endroit qui abrite du vivant. En protégeant indirectement ces milieux, l’on protège tous les éléments – vivants ou non – qui constituent ces écosystèmes.