17 janvier 1975, la France légalisait l’IVG

Etienne-Emile Baulieu : « Un voyage en Inde, en 1970, a été pour moi déterminant. Ou, plus précisément, une scène dont je me souviendrai toute ma vie, sur le pont de Calcutta où mendiaient des dizaines de femmes entourées de grappes d’enfants. L’une d’entre elles s’est avancée droit vers moi, attirant mon regard vers son bras replié, où gisait un bébé mort, tandis qu’un enfant s’agitait à l’extrémité de son autre bras. La fatalité de cette extrême misère m’a bouleversé. Et j’ai décidé de m’attaquer prioritairement à ce problème des grossesses subies. »

Les femmes, mais aussi les hommes, rendent hommage à la loi Veil du 17 janvier 1975 légalisant l’IVG et à l’autorisation de la pilule abortive en 1988.

Zineb Dryef : Etienne-Emile Baulieu, le découvreur de la pilule dite « abortive », le RU 486, (ou mifépristone), commente  : « Je soutiendrais toujours les mouvements qui luttent pour le droit des femmes à empêcher une grossesse non désirée. » Dès la toute première présentation de ses travaux sur une antihormone qui s’oppose aux effets de la progestérone, indispensable au bon déroulement de la grossesse, il devient la cible des mouvements antiavortement. Le républicain Robert Dornan la rebaptise la « death pill » (pilule de la mort). Le médecin français Jérôme Lejeune accuse : « Ce produit tuera plus d’êtres humains qu’Hitler, Mao Zedong et Staline réunis. » Le 23 septembre 1988, le RU 486 est enfin mis sur le marché français par les laboratoires Roussel-Uclaf, avant d’en être retiré… un mois plus tard. C’est en écoutant la radio que Claude Evin, alors ministre de la santé, prend connaissance de ce retrait : « Je découvre, le matin en me rasant, que Roussel-Uclaf a décidé de ne plus commercialiser ce produit ». Il convoque Edouard Sakiz, le président de l’entreprise, qui lui raconte les pressions dont il est l’objet. Des courriers de menaces et des photos de fœtus démembrés arrivent tous les jours au siège de Roussel-Uclaf. « Vous transformez l’utérus en four crématoire » hurlent quelques personnes, grimées en déportés. Le ministre convoque aussitôt une conférence de presse pour annoncer la remise sur le marché de la pilule et improvise cette formule, restée dans l’histoire : « Le RU 486 est devenu la propriété morale des femmes. »

Le point de vue des écologistes prochoice

Il n’est question, en 1975, que de dépénaliser l’avortement, par une suspension dite provisoire de l’article 317 du code pénal qui en faisait un délit. La suspension de l’article 317 est pérennisée en 1979 ; il est supprimé en 1992 ; l’année suivante un délit d’entrave à l’avortement est créé ; en 2001, le délai passe de dix à douze semaines de grossesse ; le remboursement monte à 100 % en 2012… mais on choisit toujours de faire l’économie d’un débat de fond sur le droit à avorter. La loi du 4 août 2014 supprime la condition de détresse formulée par la loi Veil, c’est-à-dire le fait que la femme qui demande un avortement doit être placée « dans une situation de détresse » par sa grossesse. On ne se met à parler de droit qu’en 2016, lorsque la loi consacre le droit de choisir une méthode abortive. La loi du 2 mars 2022, qui, entre autres, étend le délai de douze à quatorze semaines a pour titre : « Loi visant à renforcer le droit à l’avortement ».

Il faudrait remplacer “proavortement” par “pro-droits à l’avortement”. Cela déplace le poids moral sur les “anti-droits”. Au Canada, on parle d’”antichoice” et “prochoice”. N’en déplaisent à la clique masculiniste et rétrograde qui vocifère ces temps-ci, les femmes du monde entier disent merci à Simone Veil et à Etienne-Emile Baulieu. Elles ont la liberté de ne pas craindre une grossesse non désirée pour un oubli ou un diktat masculin. Demandez à Bolloré et à ses potes les catholiques intégristes d’extrême-droite ce qu’ils pensent du droit à l’avortement. Comme aux USA, on risque de revenir au Moyen-Age plus rapidement qu’on ne le pense. Le Japon autorise depuis 2023 seulement un accès à la pilule abortive, mais de façon très encadré. Mais en 2023, le Wyoming voulait devenir le premier État américain à interdire la pilule abortive.

Rien n’est jamais acquis. L’avortement est encore interdit dans près d’une vingtaine de pays, notamment dans de nombreuses nations d’Afrique – parmi lesquelles l’Egypte, le Sénégal, le Gabon, Madagascar ou encore la Mauritanie. Sur le continent sud-américain, l’accès à l’IVG est particulièrement difficile. L’avortement n’est pas autorisé au Suriname, au Nicaragua ou encore au Salvador. En Europe, à Malte, les femmes avortant risquent une peine allant de dix-huit mois à trois ans d’emprisonnement. Rendons hommage à Simone Veil dont la pugnacité a permis l’adoption de la loi qui porte son nom.

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Les malthusiens se rappellent du courage de Simone Veil

extraits : Simone Veil est morte fin juin 2017. Rappelons son combat pour l’avortement. Le MLAC (mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) était actif depuis avril 1973 et agissait pour changer la loi en pratiquant illégalement des avortements. Pas besoin d’aiguille à tricoter pour avorter, on appliquait la méthode par aspiration. Quelques mois plus tard, le 26 décembre 1974, s’ouvrent à l’Assemblée nationale des débats sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse). Simone Veil, ministre de la santé, conduit les débats devant une assemblée d’hommes. Les détracteurs se succèdent : « Une nouvelle religion est née, son dieu s’appelle le Sexe ! Pour Satan, contraception et avortement sont les deux chapitres du même grand livre de la sexualité ! » ; « Le temps n’est pas loin où nous connaîtrons des avortoirs, des abattoirs parfaitement contraires à la mission la plus naturelle et la plus indispensable de la femme : donner la vie et non la mort. »….

IVG, interruption volontaire de grossesse

extraits : Fin 1973, mon amie a avorté. Non, en fait nous avons avorté ensemble. Par chance le MLAC (mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception) était actif depuis avril 1973 et agissait pour changer la loi en pratiquant illégalement des avortements. Pas besoin d’aiguille à tricoter, nous avons testé la méthode par aspiration. Je dis « nous » car toute une bande d’apprentis médecins et de membres du MLAC sont arrivés et ma présence était jugée indispensable, pour eux comme pour moi. Le mec est aussi responsable que la femme d’une naissance non désirée, il doit assumer. La loi sur l’IVG sera adoptée en 1975 par 277 voix contre 192, donnant aux femmes le droit de disposer de leur corps…..

Le droit à l’avortement est-il un droit ?

extraits : En fait l’avortement n’est qu’une norme sociétale qui évolue dans le temps. En France, la loi du 31 juillet 1920 réprimait la provocation à l’avortement et à la propagande ‎anticonceptionnelle. L’avortement était considéré comme un crime et passible de la cour d’Assises. Cuba est devenu en 1965 le premier pays d’Amérique latine à légaliser l’avortement. L’interruption volontaire de grossesse (IVG) n’a été légalisée en France qu’en 1975. En avril 1997, une réforme pénale au Salvador a interdit toute forme d’avortement, y compris en cas de viol, lorsque la vie de la mère est en danger ou quand le fœtus n’a aucune chance de survie. L’avortement reste un tabou dans de nombreux pays. L’impératif biblique « croissez et multipliez » a donné à l’espèce humaine un droit exorbitant de pouvoir se développer en nombre bien plus que les capacités des écosystèmes le permettent.

7 réflexions sur “17 janvier 1975, la France légalisait l’IVG”

  1. Jean-Marie Le Méné, à la tête de la Fondation Lejeune, est l’ennemi juré de l’IVG. Le lobbyiste pro-vie ne désespère pas de parvenir un jour à remettre en question le droit à l’avortement, pourtant inscrit dans la Constitution le 4 mars 2024.
    « Après avoir autorisé les parents à tuer leurs enfants très jeunes, il n’est que justice de laisser les enfants tuer leurs parents très vieux », écrivait Jean-Marie Le Méné, le 3 février 2023.

    Il est catholique fervent et père de neuf enfants. Rien ne saurait attendrir ses convictions, pas même une grossesse due à un viol. « Répondre au crime du viol par un autre crime, qui est l’élimination de l’enfant, est une injustice qui s’ajoute à la précédente ». Le « manuel de bioéthique » distribué par sa fondation s’interroge : « Pourquoi l’enfant, innocent, subirait-il la peine de mort que ne subira pas le criminel ? »

  2. Parti d’en rire

    En bonus, over quota, et quitte à provoquer… un petit moment de détente et de … réflexion.
    En rapport direct avec le plat du jour, et en même temps avec celui d’hier :
    – “Avoir des réponses grâce à ce blog”.
    Comme par hasard, le 2 AOÛT 2022 À 16:25, sur “IVG, interruption volontaire de grossesse”, je posais quelques questions. Juste dans le but d’être un peu moins con.
    Et finalement, après mûre réflexion, j’en arrive à penser que le mieux pour moi, et par conséquent pour tout le monde, c’est de me con former à la devise Shadok :
    – « La plus grave maladie du cerveau, c’est de réfléchir. »

  3. Esprit critique

    – « Rien n’est jamais acquis. » (Biosphère)
    – « […] Comme les Trump et Compagnie. Misère misère ! » (17 JANVIER 2025 À 13:28)

    Sur l’avortement Trump a changé X fois de discours, dans un autre style Poutine n’est pas plus clair…
    et Xi Jimping reste lui aussi un gros facho.
    – Avortement, FIV, valeurs de la famille : la volte-face de Trump sur les « droits reproductifs » des femmes (Marianne 31/08/2024)
    – L’avortement dans la ligne de mire de la Russie (lapresse.ca 15 déc. 2023)
    – La Chine veut réduire les avortements sans raisons médicales (Le Figaro 27 septembre 2021)

    Bien qu’il ait lui aussi exprimé ses inquiétudes quant au vieillissement de la France, et même osé appeler à un «réarmement démocratique», et en même temps Macron a fait inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution.
    Je disais ici il y a deux jours ce que je pense des constitutions, des bouts de papier.
    ( à suivre)

    1. Esprit critique

      (suite) Même si le nôtre est un gros malin, il n’arrive toutefois pas aux chevilles des trois autres.
      Là où il existe, le droit à l’avortement aura été le résultat de longues luttes. Pas que ce droit là, bien sûr. En attendant, ici et là certains veulent revenir en arrière. En tous cas sur beaucoup de choses, et non des moindres. Alors évidemment ils ne le disent pas comme ça, d’autant plus qu’ils savent que ça leur prendra du temps, et qu’il leur suffit de nous y amener à petits pas.
      Pour nous faire avaler leur pilule ils oseront même nous dire que l’avant c’est l’arrière.
      Que l’esclavage c’est la liberté, le mensonge la vérité, etc. etc.
      C’est justement à ça qu’ON les reconnait.

  4. – « La fatalité de cette extrême misère m’a bouleversé. Et j’ai décidé de m’attaquer prioritairement à ce problème des grossesses subies. » (Etienne-Emile Baulieu)

    À peu près au même moment, un autre occidental faisait lui aussi du tourisme en Inde.
    Et, comme par hasard, lui aussi a vécu le même genre d’expérience, ressenti les mêmes émotions, pour finalement lui aussi avoir une véritable… révélation :
    – « Avec ma femme et ma fille, nous étions effrayés […] Il n’empêche que c’est depuis cette nuit-là que j’ai le sentiment intime de ce qu’est la surpopulation. Là, j’ai compris que ce qui se passe à Delhi et Calcutta nous concerne. » (Paul Ehrlich – La bombe « P », édit. 1971 ; p17-18)
    (à suivre)

    1. Esprit critique

      (suite)
      Bien qu’elles se rejoignent, ces deux révélations sont toutefois quelque peu différentes. Etienne s‘est donc focalisé sur une chose, les grossesses subies… et Paul sur autre chose, qu’il appellera «La Bombe P ».
      Pour moi ce n’est d’abord qu’une simple question de lunettes (de point de vue), ensuite de prédisposition ou de sensibilité personnelles. Un autre touriste sera bouleversé à la vue d’autant de misère, de mendiants, dont d’enfants, un autre de voir autant de malades, de saleté… un autre de subir autant de harcèlements, d’arnaques…
      – « L’Inde c’est bouleversant, éprouvant, traumatisant, intense, que dis-je, extrême. »
      ( Se préparer au choc culturel en Inde ½ – curiosity-escapes.com )
      (à suivre)

      1. (et fin) Personnellement je ne suis pas un adepte des sports extrêmes. Nul besoin d’aller en Inde pour être bouleversé, traumatisé, pas plus qu’émerveillé d’ailleurs. Simone Veil n’a pas eu besoin d’aller bien loin, mais peut-être revenir de très loin, pour devenir féministe. Bref, finalement Paul Ehrlich a écrit un bouquin, Mère Teresa aura consacré sa vie à aider les pauvres, et Étienne-Émile Baulieu a inventé la pilule abortive. Rien que ça.
        En fait non. Étienne n’a pas fait qu’inventer cette pilule, Simone n’aura pas seulement fait passer sa loi, et Paul n’en a pas écrit qu’un seul. 🙂
        D’un côté celles et ceux qui font avancer le monde, et de l’autre ceux qui le font reculer. Comme les Trump et Compagnie. Misère misère !
        Et pendant ce temps «chez nous» en France la légalisation du cannabis (médical) se fait toujours attendre. Comprenons par-là qu’il y a d’autres priorités. 😉

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