Homo disparitus ? Cela ne me gêne pas que l’humanité disparaisse. Avec ma mort d’ailleurs, et je suis sûr qu’il en sera ainsi, l’humanité disparaîtra en moi. Mais je sais que mes atomes tourbillonneront encore pour l’éternité de l’espace infini et je dis que cela est bon. Et si l’espèce humaine disparaissait un jour, et je suis sûr qu’il en sera ainsi, la vie continuerait à s’épanouir sur la Terre et je dis que cela est bon. Et quand la Terre disparaîtra un jour, et je suis sûr qu’il en sera ainsi, les atomes de « notre » planète continueront à tourbillonner pour un jour créer à nouveau la vie, et je dis que cela est bon. Cela est bon en soi, et pourtant je serai mort depuis fort longtemps et homo sapiens de même. Cela est bon car je suis un homme sans vanité, mon petit moi ne m’intéresse pas beaucoup.
Après ce petit détour d’ordre métaphysique, revenons à l’humanité actuelle qui a le bonheur (ça dépend des jours et des personnes) d’exister aujourd’hui pour le plus grand malheur de l’épanouissement de la vie sur Terre. L’humanité tue son frère ou sa sœur, l’humanité actuelle assassine des pans entiers des autres espèces, stérilise les sols sous ses bétons, vide de ses richesses les entrailles de la terre et remplis l’espace de ses immondices. Mon humanité ne s’adresse pas à ce genre d’humanité, ce n’est pas de cette humanité-là dont la planète a besoin. L’humanité que je préfère, c’est celle qui n’oppose pas les droits des puissants aux droits des pauvres, les droits du cœur aux droits de l’intestin et de ses bactéries, les droits de l’humanité aux droits des non-humains. En effet ça n’a pas de sens, écologiquement parlant, d’opposer les droits des humains à ceux des autres créatures et de la nature en général. C’est aussi ce que disent Aldo Leopold, Arne Naess, John Baird Callicott, François Terrasson, Philippe Descola, Robert Barbault…, la philosophie de l’écologie profonde, ma philosophie.
Moi aussi je suis assez étonné par certains aspects du discours de Pierre Rabhi. Voilà un homme qui a fait des choses intéressantes en matière d’agrobiologie et qui sait les faire partager. Et par ailleurs, ce même homme semble complètement sourd à la question démographique. De même que j’ai bien du mal à comprendre comment pourrait être généralisées les solutions qu’il préconise dans un monde de 7 milliards d’hommes à plus de 50 % urbains et sans connaissance agricoles aucune. Comme vous, et quoique l’homme ne soit pas naïf, j’ai du mal à ne pas voir un côté « bisounours » dans sa conception du monde et de l’humanité. Au fond je lui reprocherais de ne pas prendre en compte les ordres de grandeurs qui sont une composante déterminante de la réalité. Pour le reste de vos réflexions, tout à fait d’accord. Vous devriez vous rapprocher de l’association Démographie Responsable dont la philosophie générale et le point de vue sur la démographie me semble avoir quelques proximités avec les vôtres.
L’exemple des abeilles était un peu boiteux, c’est vrai.
Quant au bouquin de Gould, je le conseille vraiment. La plupart des avancées de la science – débarrassée de ses avatars techniques – nous poussent à l’humilité, c’est le cas dans ce livre. Aucun piédestal ne nous attendait. Après, c’est l’effort de chacun d’en tirer une remise en cause de ses ambitions et de sa vision de la réalité objective. Il doit y avoir de ça dans une définition acceptable de l’intelligence, être simplement capable de concevoir un outil ou même organiser une société (à supposer que nous en soyons nous-mêmes capables) sera bientôt à la portée d’une simple machine, il faut donc voir plus loin.
Et la bêtise, n’est-ce pas finalement l’incapacité à tenir compte de l’autre au sens large, l’absence d’empathie qui devient une loupe sur les différences? La cupidité qui fait vaciller notre civilisation, c’est bien de là que finalement elle vient, non?
Si on y ajoute l’ignorance, on a un tableau un peu plus complet des défauts qui nous perdront.
Pour illustrer l’ignorance: j’ai participé récemment à ma première et dernière réunion des colibris. Je ne sais pas de combien la composition de l’assistance s’éloignait des 100% d’instits et classes moyennes, ce que je sais par contre c’est qu’ils bâtissaient un monde de bisounours dans lequel la démographie par exemple, sujet qui nous préoccupe souvent ici, n’est pas un problème puisque le gourou Pierre Rabhi a décidé que c’est un faux problème (sic). Le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions; dans la pratique, quelle différence entre le mépris supposé des fameux 1% les plus riches et la bienveillance de cette mouvance écolo, pour laquelle le bien-être des masses se résume à leur procurer une ration alimentaire saine et suffisante, le bonheur s’ensuivra? Autant vous dire que, né en Espagne puis transplanté à Vaulx-en-Velin – qu’il n’est plus nécessaire de présenter? -, j’ai un avis bien différent sur la question.
Enfin, et c’est encore un écueil majeur, la dissonance cognitive. Comment expliquer autrement par exemple le comportement de cette connaissance, fervent écolo, dont les premiers revenus assurés par sa petite entreprise d’isolation écologique ont servi à acheter une grosse cylindrée avec laquelle il n’hésite pas à taquiner le 180 sur les routes de campagne, ou les voyages à Cuba, au Vietnam (pour leur édification personnelle peut-être?) de ces colibris. A moins qu’ils s’y soient rendus à pied…
En résumé, trois incapacités quand même: à voir le monde physique tel qu’il est, à voir l’autre tel qu’il est (donc le prendre en considération), à se voir tel qu’on est. Ceci à des degrés divers chez chacun.
Ça fait beaucoup pour réussir à passer entre les gouttes.
Les abeilles n’étaient qu’un exemple de ce que la nature peut proposer de différent de nous. Bien sûr l’exemple est boiteux si on considère que l’intelligence doit se manifester par des actes volontaires, encore que notre volonté soit peut-être une illusion si l’on s’en tient à l’argumentation difficilement réfutable de Schopenhauer.
Malheureusement la raison pure ne peut pas vraiment nous venir en aide pour définir un monde idéal, vu que dans l’absolu, un khmer rouge ou un caillou ne diffèrent que par la complexité des relations entre leurs constituants. La notion de morale, en tant que définition d’un objectif commun à l’espèce (sans préjugé sur cet objectif et les raisons volontaires ou non de ce choix) peut-elle servir de critère pour reconnaître la présence d’une intelligence? Dans ce cas nous sommes bien une espèce intelligente, mais notre échec viendrait sûrement alors de notre incapacité à réduire le pouvoir de nuisance des membres qui s’écartent trop de l’objectif. Il me semble que les grands idéaux de l’homme tiennent la route à l’aune de la durabilité, mais qu’individuellement ou en sous-groupes (les nations par exemple), nous nous en écartons trop en pensées et en actes.
Pour les pensées (et les actes aussi d’ailleurs), j’ai en tête les libertariens par exemple et leur avatar plus ou moins nocif le capitalisme actuel. Pour les actes je pense à une connaissance, écolo fervent qui a monté une entreprise individuelle d’isolation écologique, dont les premiers revenus stables ont servi à l’achat d’une Audi avec laquelle il pousse des pointes sur les routes de campagne, la même dissonance cognitive qui donne à voir des familles écolos de 4 enfants, avec dans ce cas l’assentiment du gourou Pierre Rabhi ( http://www.reporterre.net/spip.php?article3912 , ou http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/02/02/pierre-rabhi-un-anti-malthusien-en-parole-et-en-acte/ , avec de tels amis on n’a pas besoin d’ennemis).
Avec ce dernier exemple d’ailleurs, on découvre une autre difficulté: un aveuglement sur la contradiction entre les voeux pieux (c’est ce que deviennent rapidement dans ce contexte les objectifs) et la perception d’une réalité qu’inconsciemment peut-être (j’espère!) on enjolive. Né en Espagne, j’ai passé ma jeunesse de fils d’immigrés à Vaulx-en-Velin -qu’il n’est je pense plus nécessaire de présenter-. Sans même parler de la violence, mais juste de la difficulté de vivre partout sous le regard des tours-miradors, je sais ce que densité urbaine signifie. Alors vous imaginez mon ébullition quand j’ai assisté à ma première et dernière réunion colibris, entouré d’instits et de classes moyennes bisounours. C’est comme un prince de sang qui donnerait des conseils de soudure.
Finalement, ces oeillères sont peut-être l’obstacle majeur parce que représentées dans une grande partie de la population qui oriente les choix généraux. Si on peut considérer les fameux 1% comme néfastes, leur capacité de nuisance reste réduite s’ils n’ont pas le levier de cette partie des 99%, qui ferait mieux de balayer devant chez elle au lieu de s’insurger contre le 1%, dont elle ne se rend pas compte à quel point elle les soutient et leur ressemble.
Si cette prise de conscience ne se fait pas, en effet l’humanité (en tant que qualité au moins) finira par disparaïtre.
A la première lecture, j’admets que l’assimilation de l’apparition de l’Homme ou plus généralement de l’intelligence (individuelle) à la queue d’une distribution statistique ou à une mutation létale est un peu osée. Pourtant, je dois admettre que c’est la conclusion logique, concise et élégante de vos propos aussi bien que des miens. Les analyses de Stephen Jay Gould sont toujours brillantes.
Je suis plus réticent sur ce qu’aurait donné l’évolution des abeilles sans l’Homme, nous donnons beaucoup d’importance aux abeilles mais dans l’état naturel du monde elles ne constituent qu’un polinisateur parmi bien d’autres. D’autre part, si ce concept d’intelligence collective est intellectuellement séduisant, je trouve très difficile sa mise en parallèle avec l’ intelligence individuelle. Le concept d’intelligence est toujours délicat à définir. C’est moins le cas du concept de bêtise qui est souvent très bien illustré en effet par certaines tribunes de certains stades pour certain sport.
oups! je voulais écrire « de grandes possibilités de destruction ».
@Didier Barthès
Je m’étais fait la même réflexion, et ma conclusion penchait plutôt vers le oui.
En laissant de côté un hypothétique dieu, si nous ne sommes, en tant qu’espèce vivante et de surcroît en tant qu’espèce intelligente, qu’une échappée vers le haut du bouillonnement de la nature, la queue supérieure d’une distribution statistique, comme l’explique de manière convaincante S. Jay Gould dans « l’éventail du vivant » (et selon lui c’était aussi l’idée de Darwin), alors toute forme assimilable à la vie qui atteindrait le même niveau serait confrontée à des contraintes semblables, et ceci conjugué aux conclusions de la théorie des jeux, qui n’a aucune raison de ne pas avoir une valeur universelle, la mènerait dans la même impasse. Cela en posant l’hypothèse que les mécanismes darwiniens sont pertinents pour décrire généralement l’évolution. A priori ceux-ci semblent indépassables (même la théorie neutraliste ne remet pas en cause ses principes). Donc en tentant de maximiser individuellement nos gains, nous ou nos alter egos, équipés d’une intelligence qui nous ouvre de grandes possibilités, nous saborderions collectivement.
D’un autre côté on peut imaginer que sans la présence sur Terre de cette mutation létale, ce sont les abeilles qui auraient continué à perfectionner l’intelligence de la ruche dont parlait Maeterlinck, et parviendraient à éviter ce piège. Mais il est probable que ce serait au prix de l’intelligence individuelle, et à part les bouddhistes purs et certains philosophes, peu d’entre nous seraient prêts à accepter ce qu’on peut considérer comme une extinction du moi. Nombreux sont ceux qui croient encore que la grandeur de l’homme est consubstantielle de son ego, amalgame que souvent ils résument en « génie de l’homme » (génie où ça? dans la tribune Boulogne?).
@Didier Barthès
Je m’étais fait la même réflexion, et ma conclusion penchait plutôt vers le oui.
En laissant de côté un hypothétique dieu, si nous ne sommes, en tant qu’espèce vivante et de surcroît en tant qu’espèce intelligente, qu’une échappée vers le haut du bouillonnement de la nature, la queue supérieure d’une distribution statistique, comme l’explique de manière convaincante S. Jay Gould dans « l’éventail du vivant » (et selon lui c’était aussi l’idée de Darwin), alors toute forme assimilable à la vie qui atteindrait le même niveau serait confrontée à des contraintes semblables, et ceci conjugué aux conclusions de la théorie des jeux, qui n’a aucune raison de ne pas avoir une valeur universelle, la mènerait dans la même impasse. Cela en posant l’hypothèse que les mécanismes darwiniens sont pertinents pour décrire généralement l’évolution. A priori ceux-ci semblent indépassables (même la théorie neutraliste ne remet pas en cause ses principes). Donc en tentant de maximiser individuellement nos gains, nous ou nos alter egos, équipés d’une intelligence qui nous ouvre de grandes possibilités, nous saborderions collectivement.
D’un autre côté on peut imaginer que sans la présence sur Terre de cette mutation létale, ce sont les abeilles qui auraient continué à perfectionner l’intelligence de la ruche dont parlait Maeterlinck, et parviendraient à éviter ce piège. Mais il est probable que ce serait au prix de l’intelligence individuelle, et à part les bouddhistes purs et certains philosophes, peu d’entre nous seraient prêts à accepter ce qu’on peut considérer comme une extinction du moi. Nombreux sont ceux qui croient encore que la grandeur de l’homme est consubstantielle de son ego, amalgame que souvent ils résument en « génie de l’homme » (génie où ça? dans la tribune Boulogne?).
Il est bien difficile de dire si l’humanité va disparaitre, tout est d’ailleurs question de temps. A long terme c’est inéluctable ne serait-ce que par transformation progressive. Dans un ou deux millions d’années, nos descendants, si nous en avons, risquent en effet d’être fort différents, si bien que le terme « espèce humaine » n’aura plus grand sens ou au moins un sens très différent.
Pouvons-nous nous éteindre, c’est à dire ne plus avoir de descendants, très rapidement disons dans le millénaire qui vient ? Ce n’est pas exclu et nul n’est prophète, toutefois compte tenu du nombre d’humains et de l’inventivité de ces derniers il semble difficile d’imaginer que face à un effondrement sociétal aucun individu ou petit groupe n’arrive à subsister.
Une question plus générale se pose : Si l’intelligence mène inéluctablement au pouvoir et le pouvoir inéluctablement au déséquilibre et donc à l’effondrement, l’intelligence n’est elle pas par avance condamnée… partout dans l’Univers ?