Emmanuel Macron se heurte à une très forte contestation sur le dossier des retraites. Après les manifestations – fin 2019 et début 2020 – contre son projet de régime universel de pensions, finalement abandonné, c’est le relèvement à 64 ans de l’âge légal de départ à la retraite qui soulève des vents contraires. Première journée nationale d’action ce 19 janvier 2023, les slogans fleurissent : “du boulot à l EHPAD” ou “la retraite pas l’arthrite” et « retraite nous ne voulons pas passer notre vie à la gagner »
Mais nous ne sommes plus en 1936 ou en 1968, la fin de société thermo-industrielle rebat complètement les cartes, les retraites n’ont pu être généreuses que grâce à des millions de tonnes d’or noir utilisées depuis plus d’un siècle.
Chers manifestants, votre mobilisation aujourd’hui contre la réforme des retraites contraste avec l’absence presque indécente de mobilisation pour le problème infiniment plus grave qu’est pour notre génération future la crise climatique. Tout semble se passer comme si celle-ci n’existait pas vraiment pour vous, comme si nous allions vivre une vie similaire à la vôtre, comme si vous croyiez qu’en vous battant pour les retraites, c’est aussi notre avenir que vous garantissez. Qui d’entre les jeunes est assez naïf pour s’attendre à prendre sa retraite vers 2070 dans un monde à + 5 degrés ? Dans une Terre « étuve », il sera de plus en plus difficile de vivre. Pourquoi ne faites-vous pas massivement grève pour le climat ?
Pour en savoir plus grâce aux prospectivistes
John Michael Greer : « La coutume de la retraite a été le résultat de l’ère de l’abondance. Pendant une brève période, moins d’un siècle, les pays riches ont considéré qu’il était rationnel de payer les aînés pour qu’ils quittent le marché du travail afin de maintenir le chômage à un niveau acceptable politiquement. Tout cela découlait d’une économie industrielle qui débordait d’énergie à faible coût, qui facilitait le remplacement de la main d’œuvre par des machines et qui cherchait sans cesse de nouveaux marchés lucratifs, dans ce cas-ci l’industrie de la retraite. Mais avant cette période, un peu moins de la moitié de toute l’activité économique était le fait de l’économie de marché. La plupart des femmes et beaucoup d’homme trop vieux pour occuper un emploi régulier travaillaient dans l’économie domestique où les échanges familiaux l’emportaient sur les forces du marché. Tous ceux qui auraient eu droit à la retraite, selon nos standards actuels, y participaient. La fin de l’énergie abondante et bon marché signifie que de telles économies domestiques redeviendront nécessaires. On aura intérêt à garder les personnes âgées à la maison pour contribuer aux tâches et n’aura plus intérêt à les mettre à l’écart dans une oisiveté souvent confortable…. Si vous êtes comme moi à plus de trente ans de la retraite, oubliez le financement de la retraite, vous ne la prendrez probablement jamais. Si vous avez une grande famille avec laquelle vous vous entendez bien, vous gagnerez votre place en s’occupant des petits et du potager… » (La fin de l’abondance, l’économie dans un monde post-pétrole)
Jean- Marc Jancovici : « Ce que nous appelons « création de richesses » n’est en fait qu’une transformation de ressources naturelles, et tout notre système économique ne consiste qu’à utiliser ces ressources pour en faire autre chose… Enseignants, informaticiens, chercheurs, retraités et vacanciers sont tous des enfants de l’énergie abondante à prix décroissant : rien de tout cela ou presque n’existe dans les pays où l’énergie reste un luxe… Retraites et études longues sont « assises » sur des consommations d’énergie importantes… La contrainte sur l’approvisionnement énergétique futur, qui va venir contrarier la productivité physique de manière forte, aura pour conséquence que le niveau relatif des retraites baissera, et que l’on va probablement pour partie revenir à un système de gestion des personnes âgées économe en énergie, c’est-à-dire… les garder chez leurs enfants. La question n’est pas de savoir si cette organisation est désirable ou non. Les bons sentiments sans kilowattheures risquent d’être difficiles à mettre en œuvre ! » (Changer le monde, tout un programme)
Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere
Grève des retraites ou grève du climat ? (2020)
Retraites : ce qu’en disent les écologistes (a)variés (2013)
Adam Smith ne pouvait qu’ignorer en 1776 l’idée de « retraités », c’est-à-dire d’aînés « oisifs ». L’oisiveté était, pour lui, incarnée par la noblesse, et était assimilée à la paresse. Il ne pouvait savoir que la retraite allait devenir dans certains pays sur-développés comme la France un droit acquis qu’on défend sur le pavé. Les lycéens manifestaient déjà dans la rue en octobre 2010… pour la retraite à 60 ans !
Mais en 2070 les chocs systémiques auront fait leur effet. Quand les lycéens arriveront à l’âge de la retraite, la désindustrialisation sera galopante, les caisses de l’État seront vides, les réfugiés climatiques nombreux, les chômeurs encore plus nombreux. Beaucoup trop d’ayants droit pour les rares actifs occupés, le système de redistribution sur lequel reposent les retraites en France sera exsangue. Il faut expliquer tout cela aux grévistes d’aujourd’hui.
– « Chers manifestants, votre mobilisation aujourd’hui contre la réforme des retraites contraste avec l’absence presque indécente de mobilisation pour le problème infiniment plus grave qu’est pour notre génération future la crise climatique. » (Biosphère)
Le système des retraites, celui de la santé, celui de l’éducation etc. tout craque de partout et nous savons pourquoi. Nous exploiter jusqu’à la mort, sans aucun droit de dire NON, voilà ce que veulent les libéraux. C’est marche ou crève. Les marcheurs d’aujourd’hui ne faisaient pas seulement que défendre leur retraite, ils disaient NON à ce système, à ce monde où tout (et n’importe quoi) ne se pense plus qu’en terme de Pognon. Alors SVP n’opposons pas ceux qui luttent, nous n’avons rien à y gagner.
Certains ont résolu le problème des retraites de manière très radicale. Avant de se suicider en 1911, Paul Lafargue écrivait : « Sain de corps et d’esprit, je me tue avant que l’impitoyable vieillesse qui m’enlève un à un les plaisirs et les joies de l’existence et qui me dépouille de mes forces physiques et intellectuelles ne paralyse mon énergie et ne fasse de moi une charge pour les autres. Depuis des années, je me suis promis de ne pas dépasser les 70 ans. » Il a tenu parole.
Marius Jacob se suicide en 1954 (à 75 ans) : « Amis, j’ai eu une vie bien remplie d’heur et de malheurs, et je m’estime comblé par le destin. Aussi bien je vous quitte sans désespoir, le sourire aux lèvres, la paix dans le cœur. Vous êtes trop jeunes pour apprécier le plaisir qu’il y a à partir en bonne santé, en faisant la nique à toutes les infirmités qui guettent la vieillesse. J’ai vécu, je puis mourir »