anthropisation

Mourir de faim à la campagne et dans les grandes villes

Un postulat fréquent parmi ceux qui anticipent l’effondrement est qu’il vaudra mieux être dans les campagnes que dans les villes, de la « solution survivaliste » clef en main aux communautés solidaire permacoles. Je ne discute pas de l’insoutenabilité des grandes métropoles. Je veux montrer que dans certaines situations de crise, famines ou d’effondrement, les villes peuvent présenter des avantages. En France, lors des grandes famines de 1693-1694, la situation des riches régions céréalières du Bassin parisien est dramatique : les réserves et jusqu’aux semences sont saisies dans les campagnes pour assurer l’approvisionnement de Paris, « mégapole » de 500 000 habitant, par un pouvoir dont la première préoccupation et d’éviter les « émotions populaires » d’une ville dont la révolte déstabiliserait la monarchie. Dans l’ensemble, « l’on meurt de faim plus sûrement encore dans les campagnes que dans les villes ». À l’inverse, une considération importante pour la sécurité alimentaire des villes est que celle-ci dépend fortement des réseaux de transport disponibles et de l’existence de bassins d’approvisionnement disposant d’un surplus agricole exportable. Les hydrocarbures nous permettent jusqu’à présent de nous affranchir de ces contraintes (fertilisants de synthèse et transports à bas coût). Toutefois dans un monde de déclin pétrolier, de telles questions peuvent redevenir cruciales.

Dans le monde ancien et médiéval, les rares villes atteignant le million d’habitants, comme la Rome impériale ou la Bagdad abbasside dépendaient du drainage des productions agricoles de vastes ères géographiques. En dehors de ces cas exceptionnel, la taille des villes était étroitement limitée : dans l’Europe médiévale seuls Paris et quelques villes italiennes approchaient les 100 000 habitants. Sans pétrole, une ville de plusieurs dizaines de million d’habitant est donc difficile à envisager. Les approvisionnements sont fragiles : lors des famines de 1693, les péniches porteuses de céréales envoyées vers Orléans par la Loire sont ainsi arrêtées de force par les habitants de Blois qui refusent de voir partir ces approvisionnements. Ainsi, on peut supposer en cas d’effondrement une mosaïque de régions juxtaposant des villes qui continuent à centraliser une entité de complexité restreinte, et d’autres où les formes urbaines, incapable de maintenir la complexité nécessaire à leur existence, disparaîtraient. Les premières se maintiendraient en pressurant toujours d’avantage les ressources et les campagnes. Une répression sera d’autant plus violente qu’une population réduite facilite les massacres par soldats et mercenaires en rupture de solde, mieux armées et aguerris que les paysans. Les villes apportent au contraire une relative sécurité du fait de l’organisation de milices défensives urbaines ou de forces armées. En résumé, les villes sont les lieux où ils est le plus facile de conserver ou de reconstituer sécurité, pouvoir et concentration de ressources ; dans le même temps elles sont dangereuses car les phénomènes d’effondrement y sont exacerbés et car leur stabilité dépend d’un pouvoir qui maintienne la sécurité.

La violence est omniprésente et ambivalente dans les discours sur l’effondrement. D’un côté, on redoute une guerre de tous contre tous, de l’autre, certains espèrent des révoltes et des révolutions plutôt qu’un scénario d’appauvrissement général accompagné d’un durcissement de la domination des élites. Dans l’ensemble, plusieurs millions de personnes meurent de faim sans protester pendant les famines de 1693 et 1706. De même, les terribles famines irlandaises du XIXème siècle, malgré la disparition de près de la moitié de la population, ne suffisent pas à faire rejeter la domination anglaise. Il faut se garder de toute lecture mécaniste qui lierait nécessairement le passage sous un seuil de subsistance et l’émergence de révoltes. On peut d’ailleurs supposer que plus que les conditions objectives, c’est leur dégradation qui produit une conscience de la misère, et donc de possibles révoltes par comparaison. Ces révoltes populaires sont hélas souvent récupérées par des démagogues qui manipulent les pauvres ou par des prédicateurs. En effet les révoltes produisent souvent un déchaînement des eschatologies religieuses. Autant dire que le retour à l’intransigeance religieuse n’est pas une spécificité liée à une quelconque essence de « l’Islam » mais un phénomène qu’on peut s’attendre à retrouver.

Jean Autard, texte de septembre 2017 pour l’institut Momentum

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Les végétariens nous ont racontés des salades

Lierre Keith est née en 1964. Son livre « Le mythe végétarien »* est paru initialement sous le titre The Vegetarian Myth : Food, Justice, and Sustainability. Elle a été végétalienne (vegan en anglais) pendant 20 ans, ce qui donne une force particulière à sa critique du végétarisme. En résumé : Pas d’animaux sans végétaux mais les végétaux ont aussi besoin des animaux, et les herbivores ont besoin des carnivores. Il n’y a pas de hiérarchie, nous prenons notre tour dans les cycles de matière et d’énergie. Les humains ont évolué pendant 200 000 ans au moins comme chasseurs-cueilleurs. Leur nourriture à base de fruits, de noix et de viande a été déterminante pour leur physiologie. Les Eskimos, réputés pour leur très faible taux de maladies cardio-vasculaires ne connaissent pas le cancer alors que leur régime comprend 80 % de graisse animale. Le début de l’agriculture (la révolution néolithique) est perceptible pour le paléoanthropologue par son impact sur les ossements (infections et insuffisances osseuses, tuberculose, rachitisme, caries dentaires, petite taille adulte…). Avec l’agriculture, pour laquelle nos corps n’étaient pas préparés, sont apparus l’arthrite, le diabète, l’hypertension, les maladies cardiaques, la dépression, la schizophrénie et le cancer ainsi qu’une série de maladies auto-immunes et inflammatoires. Toutes ces maladies sont communes chez les civilisés et rarissimes chez les chasseurs-cueilleurs. Le cerveau est très gourmand en nourriture. Quand nos ancêtres habitaient les arbres, ils avaient déjà un régime varié avec des fruits, des feuilles, des insectes. Les chimpanzés restés arboricoles sont friands de sources de protéines animales. Quand les primates se sont adaptés à la savane ils ont commencé à manger de gros herbivores, ainsi que l’atteste la composition et l’usure des dents des australopithèques. Notre cerveau est devenu plus gros et notre tube digestif 60 % plus petit. Les gorilles, qui sont strictement végétariens, ont le plus petit cerveau et le plus gros tube digestif de tous les primates.

Les végétariens sont animés du désir (estimable) de protéger la vie, mais semblent ignorer ou censurer une notion importante : la vie n’est pas possible sans la mort. Quoi que vous mangiez, un être vivant a dû mourir pour vous nourrir. Cette loi de la nature est aussi valable pour les végétaux, les champignons, ou les bactéries. Les animaux que veulent protéger les végétariens occidentaux sont des mammifères, des oiseaux, au mieux d’autres vertébrés mais cette hiérarchisation du vivant résulte d’un anthropocentrisme primaire. L’agriculture avec ses monocultures annuelles et son labour détruit le sol et la biodiversité, c’est le biocide systématique. Dans certaines régions au climat favorable comme l’Europe et le Japon, avec des pluies suffisamment étalées au cours de l’année, la rotation des cultures de céréales avec les pâtures a permis de maintenir le sol mais cela implique des animaux domestiques. Une agriculture végétalienne, sans animaux, résulte en un saccage écologique. Pourtant fertiliser avec du fumier n’est pas moralement acceptable par les végétariens éthiques qui considèrent la domestication comme une exploitation, ni par les végétariens politiques qui pensent que toute la terre cultivable doit être dédiée à la culture de céréales annuelles. De nature, les humains et les ruminants ne sont pas en compétition pour le même repas, contrairement au discours des végétariens politiques. C’est la logique industrielle qui a installé la compétition. Les végétariens politiques ignorent les méthodes d’élevage autres que les méthodes industrielles, ils ne semblent pas savoir que les vaches mangent de l’herbe et que le sol mange les bouses des vaches. Quelle que soit la noblesse de leurs intentions, ils projettent un régime alimentaire planétaire en complète ignorance de l’origine de la nourriture. Lorsque les végétariens prétendent, par exemple que la Grande-Bretagne pourrait nourrir 250 millions d’individus suivant un régime totalement végétarien, ils se basent sur les chiffres d’une production qui n’est possible que par l’usage d’engrais issus de combustibles fossiles. Les méfaits du soja sont multiples. A part l’aide apportée aux moines orientaux pour leur faciliter l’abstinence sexuelle, le soja, une source de protéines végétales, n’a que très peu d’avantages. Il se défend contre les prédateurs en inhibant leur trypsine et en freinant leur reproduction. Ses effets sur le cerveau sont dramatiques.

Selon l’association britannique Vegfam, une ferme de 4 ha peut nourrir 60 personnes qui cultivent le soja, 24 personnes qui cultivent le blé, 10 personnes cultivant le maïs et seulement 2 élevant des bovins. Ce calcul fait l’impasse sur la destruction du sol. Un des leaders de la consommation locale et de l’agriculture durable, Joel Salatin, sur 4 ha en Virginie, produit : 3000 oeufs, 1000 poulets, 80 poules, 900 kg de boeuf, 1500 kg de porc, 45 dindes, 50 lapins et ajoute plusieurs cm de sol vivant. C’est suffisant pour nourrir au moins 9 personnes et les maintenir en bonne santé.

Ghislain Nicaise (résumé de son article)

* Le Mythe végétarien de Lierre Keith, aux éditions pilule Rouge (2013)

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Demain tous vegans ? Ce serait une catastrophe

LE MONDE fait une publicité intense pour les vegans*. C’est le phénomène à la mode, ça fait causer, c’est bon pour les ventes. Or le véganisme n’est que la frange extrémiste du végétarisme, un mode alimentaire exclusif qui doit être profondément remis en question. On devient végétarien pour des raisons de compassion et de viabilité écologique. Or les végétariens moraux, qui sont pour la plupart des partisans de la libération animale, ne comprennent pas le cycle naturel de la vie et utilisent des arguments anthropocentriques pour décider de ce qu’ils vont manger. Ils veulent une vie sans tuer, sans la mort. On catégorise les êtres vivants selon l’échiquier de ceux qui nous ressemblent le plus à ceux qui nous ressemblent le moins. Pourquoi l’humain serait-il le standard qui mesure ce qui peut vivre et ce qui doit mourir ? La chaîne alimentaire est un cercle, et c’est ça le processus nécessaire à la vie. Arrêter la mort tuera la vie. Les plantes se nourrissent des animaux, incluant les humains. Ils ont besoin de nos excréments – azote, minéraux, microbes – et de nos corps et de nos os. Or les prairies d’origine aux USA ont disparu à 99,8 %, il y a juste du blé, du maïs et du soja. Une annonce d’hamburger de soja dit « tu peux regarder une vache dans les yeux », peux-tu regarder un bison dans les yeux ? Des centaines d’espèces indigènes ont disparus ou été gravement réduits afin de nous permettre de nous nourrir de grains. Avec l’agriculture, la destruction a été tellement totale que nous ne pouvons pas voir comment le monde devrait ressembler, avec toutes ces forêts et ses marais. Les grains annuels ont tellement soifs qu’ils boivent des rivières entières. C’est ça qui est mort pour votre assiette vegan ; l’agriculture mange des écosystèmes en entier. Les végétariens se basent sur des croyances, pas sur des faits.

Le mouvement des droits des animaux est de l’individualisme libéral appliqué aux animaux. C’est une réflexion des désirs et besoins humains, et non pas des désirs et besoins des animaux eux-mêmes. Les animaux, eux, ils veulent chasser. Ils veulent la bouffe auquel ils ont été désignés pour. Les militants pour les droits des animaux finissent par avoir des problèmes avec la nature animale même des animaux parce qu’ils argumentent à partir d’une base philosophique de l’humanisme. Qu’ils arrêtent l’élevage industriel des animaux et la vivisection, les animaux en bénéficieront, mais s’ils imposent leur diète aux autres humains et aux autres espèces, ça sera un cauchemar pour la planète. Leur idéologie les empêche de voir les faits, les besoins du sol, la vérité sur le cycle du carbone et les exigences nutritionnelles du corps humain sont une réalité brute et physique que tu ne peux pas changer. L’éthique végétarienne n’est qu’une variation d’un modèle mécaniciste. Elle étend notre morale, quelle soit humaniste ou religieuse, à quelques animaux qui nous ressemblent. Le reste du monde, ceux qui produisent de l’oxygène, du sol, de la pluie et de la biomasse, ne compte pas. Ils produisent la vie et ils sont la vie, mais elle n’est que matière morte pour les végétariens. Même sans le vouloir consciemment, ils détruisent la planète. Manger selon un régime alimentaire vegan signifie que 2 tiers de la population devront dépendre du Mid-west américain, avec ses prairies dévastées. De plus, on dépendra du charbon ou du pétrole pour exporter ces grains à travers le monde.

Avant de devenir humain, nous mangions des fruits, des feuilles et des insectes. Depuis que nous avons commencé à nous tenir le dos droit, nous avons mangé de la viande. Cela fait 4 millions d’années que nous mangeons de la viande. Avant les armes de chasse, les humains allaient manger les restes de chasse d’un prédateur; nous étions des charognards. En mangeant de la viande, notre cerveau est devenu deux fois plus gros que celui d’un primate qui aurait notre taille. Les 84 dernières tribus de chasseurs-cueilleurs ont toutes un mode alimentaire composée de viande, volaille, poisson et feuilles, racines et fruits de plusieurs plantes. Nous, les civilisés, nous mangeons de la nourriture qui n’existait même pas il y a quelques milliers d’années : des annuels domestiqués, spécialement des grains (les céréales), et avec l’industrialisation, on peut dire des farines, sucres et huiles tous raffinés.Les grains doivent être décortiqués, rincés, trempés, et cuisinés. Vous ne pouvez pas manger du blé cru; vous aurez une gastroentérite si vous essayez. Ceci est vrai pour les céréales, les légumineuses et les patates (tubercules). Ils contiennent des toxines, des anti-nutriments, afin de prévenir que les animaux les mangent. Les plantes produisent des bloqueurs d’enzymes, qui agissent comme des pesticides contre les insectes et les animaux. La viande contient des protéines, des minéraux et des lipides, des lipides dont nous avons besoin pour métaboliser ces protéines et minéraux. En contraste, les grains sont essentiellement des glucides: les protéines qu’ils contiennent sont de basse qualité – manque d’acides aminés essentiels – et viennent envelopper d’une fibre indigeste. Manger de la viande, telle que pratiqué par les chasseurs-cueilleurs, ne nécessite pas de destruction, c’est l’élevage industriel et l’agriculture (grains) qui détruisent la biosphère (sol, rivières, marais, animaux, etc.). La destruction des vivaces (l’agriculture) a libéré autant de carbones dans l’atmosphère que l’industrialisation.

Source : synthèse du livre The Vegetarian Myth; food, justice and sustainability, de Lierre Keith (traduit en Français en 2013 aux éditions pilule Rouge)

https://fr.sott.net/article/4030-Le-mythe-vegetarien

* M le magazine du MONDE, Norman chez les végans (23 septembre 2017)

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Hans Jonas : « Au plus proche d’une issue fatale »

Der Spiegel : Professeur Jonas, vous avez publié en 1979 Le principe responsabilité, dans lequel vous appelez l’humanité à prendre conscience de sa responsabilité à l’égard de la nature, sur laquelle pèse la menace de la technique et de l’industrie. Treize ans plus tard*, le commerce de l’homme avec la nature s’est-il un tant soit peu amélioré ?

Hans Jonas : La conscience de l’homme a évolué, mais la situation effective s’est aggravée. Jusqu’à présent, rien n’est intervenu pour modifier le cours des choses et, étant donné que cette situation est porteuse d’une accumulation de catastrophes, nous sommes aujourd’hui encore plus près de l’issue fatale que nous ne l’étions il y a 13 ans. La faculté d’agir a décliné. Les hommes ne parviennent pas à se libérer des contraintes réelles auxquelles ils se sont exposés, compte tenu de l’attentat technologique qu’ils ont perpétré contre la nature. L’exploitation abusive de la nature a dégénéré en habitudes de vie. Qui n’est pas directement menacé ne se décide pas à réformer radicalement son mode de vie. Les perspectives lointaines, notamment lorsque ce sont au premier chef les générations à venir qui sont concernées, n’incitent manifestement pas les homme à modifier leur comportement. Et il se pourrait bien que les choses empirent, l’homme est grisé par des besoins sans cesse croissants et par la possibilité illimitée de les satisfaire.

En revanche, dès lors que la menace se fait pressante, il en va autrement, sur le plan tant individuel que collectif. On ne prend la fuite que lorsque l’éruption volcanique s’est déclenchée. Paradoxalement, l’espoir réside à mes yeux dans l’éducation par l’intermédiaire des catastrophes. Mais peut-être est-il trop tard pour parvenir à un équilibre stable, compte tenu du nombre sans cesse croissant des êtres humains, auquel cas, l’accroissement de la population devra s’inverser au profit d’une diminution de la population mondiale. La planète est surpeuplée, nous nous sommes trop étendus, nous avons pénétré trop profondément l’ordre des choses. Du point de vue de l’histoire de la terre, qui se compte en millions d’années, cela peut signifier le naufrage tragique de la plus haute culture, sa chute dans un nouveau primitivisme dont la responsabilité nous incomberait. J’entends par là la misère, la mort et le meurtre des masses, la perte qui s’ensuit de tous les trésors de l’humanité auxquels l’esprit, indépendamment de l’exploitation de la nature, avait contribué.

Il se pourrait très bien qu’une nouvelle religion insensée se propage. L’idée que de nouvelles doctrines de salut, susceptibles d’entraîner les hommes dans leur sillage et à l’aide desquelles tout ce qui est humainement possible, non seulement l’ascétisme, mais également le plus effroyable – puissent surgir fait frémir. Il s’agit en définitive d’une question de rapport de force. Si les ressources de la terre – l’eau, les matières premières, l’air – s’épuisent, les individus les plus forts pourraient obtenir par la violence la réduction des besoins humains et du nombre d’êtres humains. Cette loi fondamentale et cruelle de l’évolution en fonction de laquelle ce sont les plus forts qui survivent ne doit pas devenir la loi de survie de l’humanité, sinon l’humanisme irait effectivement au diable.

* Hans Jonas (Der Spiegel, 11 mai 1992) repris par « Une éthique pour la Nature » (Arthaud poche 2017)

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Encore plus d’humains et beaucoup plus d’Irma

L’ouragan Irma , une conséquence du changement climatique. Au-delà de la compassion justifiée et légitime en ces circonstances, en dehors de toute polémique, inutile et parfois choquante, ne faudrait-il pas préalablement se pencher sur les revers subis par les actions préventives successives, si tant est qu’il y en ait eu, et prendre des mesures autres, sachant que le pire est à venir ?  Il faut bien avoir à l’esprit que par l’équation : démographie – économie – espace vital, on obtient un cocktail de plus en plus impactant pour la planète, dont la fréquence et l’intensité toujours plus forte des phénomènes cycloniques sont un exemple. 

Constat : il y aura plus d’ouragans et plus intenses dans les années à venir en raison du réchauffement avéré de notre planète ? Ce réchauffement observé depuis le début du 20e siècle devrait continuer et s’amplifier  durant le 21e siècle, et avec lui ce sont les océans qui devraient voir leur température de surface augmenter. Il n’en faut pas plus pour imaginer que les mers plus chaudes vont alors favoriser l’activité cyclonique, voire l’intensité des phénomènes sur toutes les régions intertropicales. En 1960, la population mondiale était de 3 milliards d’habitants quand elle est de 7,1 milliards en 2013 (plus du double) et dépasse les 7,5 milliards en 2017. A raison d’une augmentation de 800 000 à un million habitants par décennies, sans pandémie grave ou accident nucléaire majeur, on estime qu’elle se situera à 9 milliards en 2030 et 10 milliards en 2050.

Cause du réchauffement : Même si les pays qui ont la plus forte croissance démographique ne sont pas les plus industrialisés, donc les plus gros émetteurs de CO2, cette augmentation de la population va avoir un impact sur la consommation mondiale des énergies fossiles à fort rejets de CO2 (pétrole, charbon, gaz), sans omettre que la transformation des métaux des terres rares indispensables à la révolution numérique et aux énergies «renouvelables» ont également un impact CO2 important, avec les conséquences que l’on peut imaginer du au réchauffement des mers et océans… Certains pays, comme la Chine et l’Inde, qui représentent à elles deux environ près d’un tiers de la population mondiale, sont en plein développement économique. Leur expansion engendre une forte consommation d’énergies fossiles notamment de pétrole de charbon.

Solution : Le dérèglement du climat impose une révision urgente et radicale de notre modèle économique. Mais il faut admettre, comme l’a déclaré le président de la République, que la démographie reste la question centrale. Si l’on veut stopper la croissance des gaz à effet de serre, en particulier le CO2 et freiner, faute de pouvoir stopper la sixième extinction de la biodiversité, la première des urgences préventives est de parvenir à une décroissance démographique choisie, juste et équitable.

Daniel Martin

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De la fin de notre monde à une renaissance en 2050 ?

Il y a trente-trois ans naissaient Les Verts, première organisation unifiée de l’écologie politique en France. Jusqu’à aujourd’hui, les représentants de ce parti, puis ceux de son successeur EE-LV, ont accédé à presque tous les types de mandats électifs des institutions républicaines. Pour rien, à peu de choses près. Sous l’angle écologique de l’état géo-bio-physique de la France – de l’Europe et du monde – avouons que l’état de santé de ces territoires ne cesse de se dégrader par rapport à celui de 1984, comme le montrent à l’envie les rapports successifs du GIEC, du PNUE, du Programme géosphère-biosphère et autres publications internationales alarmistes les plus récentes. Sous l’angle social et démocratique, le constat est du même ordre : creusement des inégalités, accroissement de la xénophobie, raidissement des régimes politiques. Initialement munis d’une immense générosité intellectuelle et porteurs de la seule alternative nouvelle à la vieille gauche et à la vieille droite, les écologistes politiques ont aujourd’hui presque tout perdu, même leurs sièges. Ils apparaissent périmés, faute d’être présents au réel. Celui-ci a beaucoup changé depuis trente-trois ans, particulièrement par le passage du point de bascule vers un effondrement global, systémique, inévitable. Jadis, inspirés par le rapport Meadows ou les écrits de Bernard Charbonneau, René Dumont et André Gorz, nous connaissions déjà les principales causes de la dégradation de la vie sur Terre et aurions pu, dès cette époque et à l’échelle internationale, réorienter les politiques publiques vers la soutenabilité. Aujourd’hui, il est trop tard, l’effondrement est imminent. Bien que la prudence politique invite à rester dans le flou, et que la mode intellectuelle soit celle de l’incertitude quant à l’avenir, j’estime au contraire que les trente-trois prochaines années sur Terre sont déjà écrites, grosso modo, et que l’honnêteté est de risquer un calendrier approximatif. La période 2020-2050 sera la plus bouleversante qu’aura jamais vécue l’humanité en si peu de temps. A quelques années près, elle se composera de trois étapes successives : la fin du monde tel que nous le connaissons (2020-2030), l’intervalle de survie (2030-2040), le début d’une renaissance (2040-2050).

L’effondrement de la première étape est possible dès 2020, probable en 2025, certain vers 2030. Une telle affirmation s’appuie sur de nombreuses publications scientifiques que l’on peut réunir sous la bannière de l’Anthropocène, compris au sens d’une rupture au sein du système-Terre, caractérisée par le dépassement irrépressible et irréversible de certains seuils géo-bio-physiques globaux. Ces ruptures sont désormais imparables, le système-Terre se comportant comme un automate qu’aucune force humaine ne peut contrôler. La croyance générale dans le libéral-productivisme renforce ce pronostic. La prégnance anthropique de cette croyance est si invasive qu’aucun assemblage alternatif de croyances ne parviendra à la remplacer, sauf après l’événement exceptionnel que sera l’effondrement mondial dû au triple crunch énergétique, climatique, alimentaire. La décroissance est notre destin.

La seconde étape, dans les prochaines années 30, sera la plus pénible au vu de l’abaissement brusque de la population mondiale (épidémies, famines, guerres), de la déplétion des ressources énergétiques et alimentaires, de la perte des infrastructures (y aura-t-il de l’électricité en Ile-de-France en 2035 ?) et de la faillite des gouvernements. Ce sera une période de survie précaire et malheureuse de l’humanité, au cours de laquelle le principal des ressources nécessaires proviendra de certains restes de la civilisation thermo-industrielle, un peu de la même façon que, après 1348 en Europe et pendant des décennies, les survivants de la peste noire purent bénéficier, si l’on peut dire, des ressources non consommées par la moitié de la population qui mourut en cinq ans. Nous omettrons les descriptions atroces des rapports humains violents consécutifs à la cessation de tout service public et de toute autorité politique, partout dans le monde. Certains groupes de personnes auront eu la possibilité de s’établir près d’une source d’eau et de stocker quelques conserves alimentaires et médicamenteuses pour le moyen terme, en attendant de réapprendre les savoir-faire élémentaires de reconstruction d’une civilisation authentiquement humaine. Sans doute peut-on espérer que s’ensuive, autour des années 50 de ce siècle, une troisième étape de renaissance au cours de laquelle les groupes humains les plus résilients, désormais privés des reliques matérielles du passé, retrouvent tout à la fois les techniques initiales propres à la sustentation de la vie et de nouvelles formes de gouvernance interne et de politique extérieure susceptibles de garantir une assez longue stabilité structurelle, indispensable à tout processus de civilisation.

Ce type de sentences aussi brèves qu’un slogan peuvent entraîner une sensation de malaise chez le lecteur qui viendrait à se demander si la présente tribune n’est pas l’œuvre d’un psychopathe extrémiste qui se vautre dans la noirceur et le désespoir. Au contraire, débarrassés d’enjeux de pouvoir et de recherche d’effets, nous ne cessons d’agir pour tenter d’éviter la catastrophe et nous nous estimons trop rationnels pour être fascinés par la perspective de l’effondrement. Nous ne sommes pas pessimistes ou dépressifs, nous examinons les choses le plus froidement possible, nous croyons toujours à la politique. Les extrémistes qui s’ignorent se trouvent plutôt du côté de la pensée dominante – de la religion dominante – basée sur la croyance que l’innovation technologique et un retour de la croissance résoudront les problèmes actuels. Si notre prospective est la plus rationnelle et la plus probable, reste à en convaincre les militants d’EE-LV, les Français et tous nos frères et sœurs en humanité. La dissonance cognitive de nos sociétés empêche que ceci soit possible en temps voulu. Cependant, les orientations politiques déduites de cette analyse deviennent relativement faciles à décrire : minimiser les souffrances et le nombre de morts pendant les décennies à venir en proposant dès aujourd’hui un projet de décroissance rapide de l’empreinte écologique des pays riches, genre biorégionalisme basse-technologies, pour la moitié survivante de l’humanité dans les années 40. Autrement dit, profiter de la disponibilité terminale des énergies puissantes et des métaux d’aujourd’hui pour forger les quelques outils, ustensiles et engins simples de demain (les années 30), avant que ces énergies et ces métaux ne soient plus accessibles. Sans surprise, hélas, notre perspective générale ne semble pas encore partagée par la majorité des écologistes qui tiennent leurs Journées d’été européennes à Dunkerque ce 23 août 2017. Ainsi, la plénière finale du samedi 26 août est-elle consacrée au «développement industriel» en Europe. Un élan vers le pire.

Yves Cochet

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La Terre perd la boule car trop chaude et trop peuplée

Dame Nature n’est que chimie, biologie et physique. Tout ce qu’elle fait n’est que la somme de ces trois éléments. Elle est complètement amorale, elle se moque de la poésie, de l’art ou de savoir si vous allez à l’église. Vous ne pouvez pas négocier avec elle, vous ne pouvez pas échapper à ses règles. Tout ce que vous pouvez faire, c’est vous adapter en tant qu’espèce. Et quand une espèce n’apprend pas à s’adapter à Dame Nature, elle se fait éjecter. C’est aussi simple que ça (p.167).

Traverser la vie sans pouvoir sentir une fleur, nager dans une rivière, cueillir une pomme à l’arbre ou contempler une vallée au printemps, c’est aussi ne plus être tout à fait vivant. Certes, nous leur trouverions des substituts, mais rien n’égalerait la perfection, la beauté, les couleurs et la complexité de la nature, sans laquelle nous serions, littéralement, moins humains (p.171).

L’engagement suppose la responsabilité envers le monde naturel. Il découle de l’émerveillement et du respect que nous inspirent la diversité de la vie et la majesté de la nature. Cette curatelle implique une responsabilité à l’égard des générations futures, de ceux qui habiteront ces lieux après nous. Il existe au sein du mouvement environnemental une aile anticapitaliste, anticonsumériste, prônant le retour à la nature. C’est peut-être réalisable, et cette issue n’est pas exclue (p.227).

Même si nous nous bornons à découvrir des sources d’électrons propres et à nous débarrasser des molécules de CO2, l’avenir ne sera pas pour autant assuré. Nous avons besoin de forêts saines, de rivières propres et de sols productifs. Il faut en prendre soin pour leur valeur intrinsèque. Il est indispensable d’aller au-delà des arguments économiques, ou même pratiques, et de revenir au contact de la plus profonde de toutes les vérités : le vert est une valeur qui doit être préservée en soi et pour soi. Elle ne contribue certes pas à gonfler notre compte en banque, mais elle enrichit notre existence. Au bout du compte, c’est tout l’enjeu d’une éthique de la conservation (p.373)

extraits de « La Terre perd la boule (trop chaude, trop plate, trop peuplée) » de Thomas L.Friedman (éd. Saint-Simon, 2009). L’auteur est éditorialiste au New York Times. Il porte  les mêmes analyses que les Français Yves Cochet ou Jean-Marc Jancovici sur l’état désastreux de notre planète. Il fait implicitement référence à la philosophie de l’écologie profonde (l’amour de la nature).

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Croissance exponentielle, ennuis imminents à prévoir

L’astrophysicien Roland Lehoucq* estime qu’une consommation exponentielle des ressources naturelles épuisera beaucoup plus vite que nous l’imaginons le potentiel de la Terre. Il n’est pas le premier à le dire, déjà Malthus en 1798 montrait les méfaits de augmentation exponentielle de la population humaine : « Lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle va doubler tous les vingt-cinq ans, et croît de période en période selon une progression géométrique (autre expression pour dire évolution exponentielle ». Le rapport au club de Rome de 1972 dénonçait aussi les exponentielles : « L’un des mythes les plus communément acceptés de la société actuelle est la promesse que la poursuite du processus de croissance conduira à l’égalité de tous les hommes. Nous pouvons démontrer au contraire que la croissance exponentielle de la population et du capital ne faisait qu’accroître le fossé qui sépare les riches des pauvres à l’échelle mondiale. Dès que l’on aborde les problèmes relatifs aux activités humaines, on se trouve en effet en présence de phénomènes de nature exponentielle. Considérant le temps de doublement relativement court de nombreuses activités humaines, on arrivera aux limites extrêmes de la croissance en un temps étonnamment court. » Révisons un peu nos mathématiques.

Le « taux de croissance » s’exprime habituellement sous forme d’un pourcentage : un taux de croissance de 7 % par an signifie que la grandeur est multipliée par 1,07 chaque année. Si le taux de croissance annuel n’est pas trop grand, disons inférieur à 10 %, la durée de doublement s’obtient grâce à une approximation simple : exprimée en années, elle est à peu près égale au quotient de 70 par le taux de croissance. Ainsi la durée de doublement d’une grandeur ayant une croissance annuelle de 7 % est voisine de 70/7 = 10 ans. Le PIB de la Chine connaît ce genre d’expansion démesurée. L’humanité est dans la situation d’une colonie de bactéries dont les besoins doublent régulièrement. Initialement insouciantes, elles s’imaginent que tout va pour le mieux sous prétexte qu’elles ne prélèvent qu’une fraction des ressources de leur boîte de culture. En réalité, dès que la colonie occupera la moitié de sa boîte, elle saturera son espace vital en une ultime durée de doublement bien qu’elle dispose encore de l’équivalent de tout ce qu’elle a consommé dans le passé. C’est ce que montre la parabole du nénuphar. Imaginons un nénuphar planté dans un grand lac qui aurait la propriété de produire, chaque jour, un autre nénuphar. Au bout de trente jours, la totalité du lac est couverte et l’espèce meurt étouffée, privée d’espace et de nourriture. Question : Au bout de combien de jours les nénuphars vont-ils couvrir la moitié du lac ? Réponse : non pas 15 jours, comme on pourrait le penser un peu hâtivement, mais bien 29 jours, c’est-à-dire la veille, puisque le double est obtenu chaque jour. Si nous étions l’un de ces nénuphars, à quel moment aurions-nous conscience que l’on s’apprête à manquer d’espace ? Au bout du 24ème jour, 97% de la surface du lac est encore disponible et nous n’imaginons probablement pas la catastrophe qui se prépare et pourtant nous sommes à moins d’une semaine de l’extinction de l’espèce**… Le cerveau humain semble difficilement saisir les propriétés d’une croissance exponentielle.

Dernier exemple sur un échiquier. Une légende des Indes raconte que le roi Belkib, satisfait par le jeu d’échecs présenté par le sage Sissa, demanda ce qu’il souhaitait en échange. Sissa dit au roi de poser un grain de riz sur la première case de l’échiquier, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite en doublant le nombre de grains à chaque case, et ­réclama l’ensemble des grains déposés sur la 64e et dernière case du jeu. Le roi croyait pouvoir accorder cette récompense sans se douter que tous les royaumes de la Terre mettraient des siècles à produire la quantité de riz correspondant à la récompense demandée. L’ampleur phénoménale d’une quantité doublée 63 fois de suite avait complètement échappé au souverain. L’humanité est en train de vivre dans le réel les conséquences de la fable du roi ­Belkib. Croire que la solution à tous nos problèmes passe par une croissance renouvelée en permanence est un leurre qui oublie que la Terre est un système fini que notre croissance exponentielle épuisera beaucoup plus vite que nous l’imaginons. Il existe des lois qui ne se ­votent pas à l’Assemblée, contre lesquelles nul n’aura raison et dont l’ignorance peut conduire à de graves ennuis. La nature ne négocie pas.

* LE MONDE sciences du 12 juillet 2017, A croissance exponentielle, ennuis imminents

** Albert Jacquard , L’Equation du nénuphar (Calmann-Lévy, 1998)

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BIOSPHERE-INFO, Gouverner la décroissance ?

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Yves Cochet a rédigé le 1er chapitre d‘un livre collectif, « Gouverner la décroissance ». Voici un résumé de son propos suivi par trois éléments déterminants d’un avenir aussi prévisible que difficilement maîtrisable.

1/4) l’Effondrement global avant 2030, une prévision de Cochet

« L’effondrement concerne la planète entière, États et instituions internationales compris. Aucun État ne peut alors compter sur ses voisins ou amis pour lui venir en aide, tant la situation globale et la situation de chacun s’est dégradées. La vitesse de cet effondrement est fonction de la vitesse de désintégration la plus rapide d’un de ses sous-systèmes cruciaux, par exemple le système financier et bancaire, puis, par contagion et rétroactions positives, des vitesses d’effondrement des autres systèmes cruciaux, fourniture d’énergie et d’alimentation, flux des échanges commerciaux, systèmes de communication. La situation générale du monde sera tellement détériorée que des services aujourd’hui banals tel que l’usage de l’électricité ou la mobilité automobile ne seront plus envisageables. Les survivants à l’effondrement auront subi le plus grand traumatisme de leur vie, le plus grand traumatisme de l’histoire humaine, la mort par centaines de millions de personnes dont ils auront eu connaissance avant que s’éteignent les communications électroniques. Un exemple historique de grande ampleur est comparable, la peste noire en Europe (1347-1352). près de 50 % de la population européenne, soit environ 25 millions de personnes, moururent.

De même qu’en 1935, nul en pouvait imaginer ce qui se passerait jusqu’en 1945, de même aujourd’hui il est malaisé de penser à l’effondrement imminent de la société mondialisée contemporaine. Cet évitement est paradoxalement ce qui aggravera effondrement lui-même lorsqu’il adviendra, faute de préparation collective à cette échéance fatale. Au vu de la situation actuelle, j’anticipe un effondrement proche et rapide, avant 2030. Comment les humains vont-ils interagir en l’absence d’institutions. Nous savons déjà que l’espèce humaine est la seule qui exhibe depuis des millénaires une propension à la violence endogène ; les guerres, massacres et gestes épouvantables sont suffisamment fréquents pour que nous n’y insistions pas, sauf à dire que les prétendus « progrès » technologiques du XXe siècle ont montré une capacité extrême de s’entre-tuer, dont Alexandre le Grand ou Napoléon ne pouvaient pas imaginer l’outrance.

Soit une petite société locale qui dure encore cinq ans après l’effondrement. Quelles sont les conditions sociales nécessaires à cette durabilité ? La modération dans les inégalités économiques et dans les consommations individuelles devra être compensée par des dépenses festives collectives, indispensables à la cohésion sociale et à l’arrachement à la pure survie biologique. Certaines formes de démocratie participative seront mises en place pour assurer la continuité politique de la communauté. Dans une société restreinte comme celle-là, la maîtrise de la violence endogène ne pourrait pas être garantie par une police professionnelle légalement instituée. En effet, l’envie de domination qui peut habiter les policiers professionnels lorsqu’ils voient les biens des autres citoyens pourrait s’exacerber en une violence prédatrice à l’exemple des pouvoirs discrétionnaires de la police dans les États dictatoriaux. »

24)/ Biorégions pour le futur, instituer la résilience locale

Julie Celnik, Biorégion de Cascadia, territoire de la décroissance

Le biorégionalisme est un courant de pensée qui repose sur l’idée d’une réorganisation de la société à l’échelle d’un territoire défini par des frontières naturelles, appelé biorégion. C’est notamment le cas de la biorégion de Cascadia, située sur la côte pacifique, à cheval sur les États-Unis et le Canada. Le terme Cascadia vient du nom de la chaîne des Cascades, qui s’étend du Canada jusqu’au nord de la Californie. Une revendication indépendantiste est portée par une certains nombre de Cascadiens, un parti politique fut officiellement créé dans ce but en 2011. Des groupes plus informels promeuvent l’idée (essentiellement sur Internet) d’une Republic of Cascadia, reposant sur une confédération coopérative et biorégionale. La mobilisation citoyenne en Cascadia s’oppose notamment à des projets d’extractions d’énergies fossiles. La ré-habitation repose sur une relation d’interdépendances avec l’écosystème de la biorégion qui implique l’apprentissage du vivre-sur-place. Autrement dit il s’agit d’adopter un mode de vie et de consommation (eau, nourriture, énergie, habitat) autosuffisant à l’échelle d’une biorégion, tout en perturbant le moins possible l’écosystème local. Par ailleurs l’autonomie politique constitue un principe important, la démocratie directe y joue un grand rôle. Différentes actions sont menées, allant de la pétition à la désobéissance civile non violente, en passant par le lobbying auprès des décideurs politiques. La Cascadia est probablement la région la plus verte d’Amérique du Nord, ce qui est dû à la fois à des politiques volontaristes de transition énergétique, à des citoyens conscients des enjeux écologique et mobilisés, mais surtout à une conscience du lieu très forte. Dans l’imaginaire collectif, cette région possède une identité propre, en termes à la fois de paysages naturels et de culture commune, mais les institutions de cette biorégion restent pour la plupart à inventer, à officialiser.

Le projet biorégionaliste se rapproche fortement du mouvement des Transition Towns britanniques, qui met l’accent sur des actions multiples à l’échelle communale : potagers urbains, gestion des déchets, production d’énergies renouvelables. Pour le mouvement de la transition, il s’agit avant tout de préparer chaque communauté locale à l’après pic pétrolier et à l’ère d’une frugalité énergétique contrainte.

Benoît Thévard, entre utopies et catastrophes, instituer la résilience locale

C’est à l’État de jouer un rôle protecteur permettant aux territoire qui le composent d’envisager une transition écologique et pacifique. L’État doit pas ailleurs assurer une péréquation territoriale car la diversité topographique, démographique climatique et économique n’est pas favorable à une totale autosuffisance locale. Cet État doit également fixer des objectifs contraignants pour les collectivités territoriales (pourcentage d’autosuffisance, d’agriculture biologique, etc.). La création d’une agence de relocalisation permettrait de réunir et accompagner les dynamiques au niveau local, car relocaliser signifie construire à contre-courant du processus de globalisation.

3/4) Le rationnement, outil convivial (selon Mathilde Szuba)

La surproduction industrielle d’un service a des effets seconds aussi catastrophiques et destructeurs que la surproduction d’un bien. Par conséquent des limites assignables à la croissance doivent concerner les biens et les services produits industriellement. Plusieurs propositions ont été faites pour organiser un rationnement de l’énergie instauré dans un but écologique. Par exemple la carte carbone a été portée par le gouvernement de Tony Blair au cours des années 2000 et figure encore au programme du Green Party. Ce rationnement vise à la fois la protection de la planète et l’anticipation du pic pétrolier. Face à la pénurie qui s’annonce, il est difficile d’imaginer que l’on puisse se passer d’institutions plus ou moins centralisées pour organiser la coordination des efforts individuels d’auto-limitation et une répartition équitable et soutenable des ressources disponibles. Cet enjeu climatique et énergétique conduit directement à une politique de quotas individuels de carbone.

Les limites à l’exploitation des ressources annuelles sont définies en fonction des objectifs climatiques souscrits par le pays. Un budget carbone annuel est ainsi fixé, déterminant la quantité maximale d’émissions que le pays va s’autoriser à émettre. Il est ensuite réparti entre les habitants, chacun recevant son quota égal. Les institutions permettant aux acteurs d’utiliser cette carte carbone en fonction de leurs situation sont la bourse d’échange pour les quotas excédentaires, mais aussi l’autorité chargée de la planification de la descente énergétique. Face à une ressource finie, le rationnement garantit à chacun un accès minimum parce que, dans le même temps, il plafonne les consommations de tous. C’est là un principe de base du rationnement. L’autonomie est compatible avec des restrictions des libertés individuelles, si ces restrictions sont la condition de l’autonomie des membres de la communauté*.

La carte carbone permet de garantir à chaque utilisateur d’énergie le maximum d’autonomie dans l’utilisation de son quota personnel ; la répartition entre les divers usages (chauffage, transports, etc.) revient aux préférences de chaque individu. En matière d’équité, le rationnement constitue une ressource indéniable pour une société qui chercherait à organiser la répartition politique et économique de la contrainte énergétique.

* Les droits humains ont certes été conçus pour protéger les individus de l’arbitraire du pouvoir et du groupe. Cependant, à l’heure de l’urgence écologique, ils doivent aussi permettre d’endiguer l’arbitraire de certains individus ou groupes quand celui-ci s’exerce au détriment de la viabilité de la planète pour tous les individus. Lorsque les jeunes Verts genevois ont voulu soumettre une initiative limitant la cylindrée des véhicules automobiles, il leur a été répondu que c’était contradictoire avec les droits humains et la liberté d’option !

4/4) Création monétaire, à lier aux possibilités matérielles

Une grande partie de l’histoire monétaire contemporaine, jusqu’à l’abandon en 1971 de l’arrimage du dollar américain aux réserves d’or, a consisté à essayer de libérer la création monétaire de tout ancrage matériel ou ressourciel pour faire d’elle un pur jeu de paris décentralisés sur une variable collective : la croissance de la valeur de la production nationale, voire mondiale. L’émission monétaire moderne par le crédit bancaire fonctionne tout autrement que le simple prêt d’une quantité d’or. Elle constitue une forme d’avance sur le vide adossée à la seule attente de valeur monétaire future des projets financés. C’est précisément grâce à ce mécanisme ingénieux mais potentiellement dangereux de création monétaire par endettement bancaire que les impacts humains sur la biosphère ont pu devenir si massivement repérables même au niveau géologique (anthropocène).

Les banques peuvent créer quasiment autant de crédits, donc de nouveaux dépôts, qu’elles le jugent nécessaires, et les banques centrales leur fournissent ensuite les réserves requises pour qu’elles restent solvables. Le débiteur, pense la banque, saura se débrouiller pour ramener durant la vie du crédit les écritures en compte requises pour que sa dette s’éteigne. Cette création ex nihilo est un pari sur la croissance économique future. Chaque crédit bancaire va se transformer en transactions qui s’accompagnent de flux de matière et d’énergie. L’entièreté de ce système monétaire est consacré à un accroissement de l’empreinte écologique globale. A partir du moment où, à travers la logique du crédit, les dettes deviennent des actifs profitables, il semble inéluctable que la finitude de la biosphère soit secondaire, voire l’objet d’un déni pur et simple. L’overshoot ou dépassement des capacités de la biosphère est étroitement lié aux effets de la création monétaire en termes d’extraction accélérée de ressources non renouvelable et d’insuffisant renouvellement des ressources renouvelables.

Au lieu de supposer un budget écologique ouvert et indéterminé, pourrions-nous échanger à budget écologique fermé ? Cette question est proprement inédite, tant elle rompt avec les réflexes d’une ancienne modernité anti-écologique. Il faudrait d’abord construire un indicateur synthétique capable de prendre le relais du PIB nominal. Ensuite on déduirait de la biocapacité globale du territoire des budgets écologiques nationaux, régionaux, locaux… puis finalement par entreprise et ménage. En fait ce serait instituer un droit de tirage individualisé sur l’empreinte écologique globale maximale autorisées. (ndlr : cela équivaut à un rationnement)

Christian Arnsperger, Repenser la création monétaire pour demeurer dans les limites de la biosphère

source : Gouverner la décroissance, collectif, 14 euros pour 234 pages (éditions SciencePo 2017)

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La race humaine, si elle veut ne pas disparaître !

Avril 1972, j’assiste à une conférence sur la pollution atomique. 20 000 instituteurs girondins étaient invités, il n’y en a qu’une vingtaine à peine qui s’est déplacée. Sans commentaire ! Hier je discutais avec un presque médecin. Pour guérir une angine, pas besoin de médicaments. Un peu de jeûne et 15 jours de lit suffisent. Le médecin sait cela, mais l’ouvrier qu’il soigne doit vite reprendre son travail. Alors on le dope et il est remis sur pied en deux jours !

Mai 1972, je suis visionnaire : « Le mode de satisfaction des besoins dans les pays dits développés ne peut pas être appliqué à la population du monde entier car les ressources naturelles sont trop limitées ; l’équilibre écologique devient trop difficile à maintenir puisque l’industrialisation technicienne a acquis une supériorité inaccessible à la critique. » Je cite Ivan Illich : « Davantage de marchandises peut signifier moins d’avantages… Plus grande est la vitesse à laquelle un homme se déplace aujourd’hui, plus important est le temps qu’il met pour se rendre d’un endroit à un autre… Une politique de limites supérieures donnerait à l’individu un pouvoir maximal pour déterminer quels outils sont adaptés à son existence, pour les produire et les utiliser à sa manière et pour ses propres buts, au service de sa vie et de celle des autres. » Je crois que la pollution nous donne un délai de trente ans seulement pour abandonner notre consensus de croissance économique au profit d’un consensus « angélique », où notre entourage n’est plus fait d’objets, mais d’amour et de sentiments, d’un attachement palpable à la terre et à notre planète. Quarante ans après, nous ne sommes toujours qu’une poignée à tenir ce discours. La planète a encore l’air de tenir le coup en 2012 … Notre chute n’en sera que plus brutale.

15 Juin 1972, je découpe un entrefilet sur la conférence des nations unies sur l’environnement qui se tient à Stockholm. La France a eu le mauvais goût de faire un essai nucléaire dans l’atmosphère à la veille de cette conférence… certains pays voudraient condamner ce genre d’exploit. La France montre qu’elle se fout complètement de ce qui se passe à Stockholm. Même jour, un article sur le nouveau cri d’alarme de Sicco Mansholt, président de la commission du Marché commun : « La race humaine, menacée par la pollution, l’accroissement démographique et la consommation désordonnée de l’énergie, doit modifier son comportement, si elle veut tout simplement ne pas disparaître… La grande crise devrait culminer autour de l’an 2020. » Cette déclaration se base sur l’enquête effectuée par le Massachusetts Institut of Technologie (le rapport du club de Rome sur les limites de la croissance), publié en juillet 1971, évoqué en février 1972 par une lettre de Mansholt. La planète est déjà peuplée de 3,7 milliards de personnes. Que faut-il faire ? Mansholt répond : « Il faut réduire notre croissance purement matérielle, pour y substituer la notion d’une autre croissance, celle de la culture, du bonheur, du bien-être. C’est pourquoi j’ai proposé de substituer au PNB « l’Utilité nationale brute » ou, comme on le dit plus poétiquement en français, le Bonheur national brut. » Même jour, un autre article où s’exprime Philippe Saint Marc : « Nous sommes dans un train qui roule à 150 km/h vers un pont coupé. Le monde court à la catastrophe écologique s’il ne procède pas rapidement à une réorientation fondamentale de la croissance économique. » (à suivre)

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Le PIB s’accroît, l’eau et l’air sont des biens rares !

Bientôt le PNB va s’accroître parce que l’eau et l’air seront des biens rares et donc monétarisés. Déjà dans les années 1970 le PNB commence (pour moi) à signifier Pollution nationale brute. Je questionne les emballages plastiques qu’on retrouve partout, l’évacuation des produits dangereux dans la nature, les nappes de mazout, les containers éclatés contenant des déchets radioactifs, la diffusion du DDT… Je questionne l’atomisation de l’habitat où la vie n’est saisie que dans sa matérialité, l’embouteillage qu’on subit patiemment seul à son volant… Il faudrait intégrer les déséconomies externes dans le tableau de Leontief ! Mais l’analyse coût-avantage n’en est qu’à ses premiers balbutiements. On peut d’ailleurs douter qu’elle dépassera jamais ce stade. Car il me paraît impossible d’évaluer objectivement les déséconomies externes ou de formaliser des seuils de sécurité. Je rêve cependant d’une planification pour la sauvegarde de l’environnement. Je consulte le bulletin interministériel sur la RCB (rationalisation des choix budgétaires) qui s’interroge doctement sur la valeur de l’environnement. Par exemple comment cerner la valeur des forêts suburbaines ? Mais on fait seulement référence à leur valeur récréative en envisageant des études de fréquentation et des enquêtes de motivation !

Fin juin 1971, je me déclare solidaire des objectifs du CSFR (Comité pour la sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin, à savoir :

– opposition par tous les moyens légaux au projet de construction, à la construction ou au fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim ;

– création d’un courant populaire en faveur de la sauvegarde de la santé publique pour la non implantation de centrales nucléaire dans la plaine du Rhin.

J’ai maintenant obtenu ma licence de sciences économiques, je commence ma vie active… en tant qu’éducateur ! Mais je continue ma réflexion écologique sans être encore écologiste. Tout autour de moi on ne jure que par la croissance, je commence vraiment à penser qu’on a été trop loin. Je lis en mars 1972 le livre de Jean Dorst Avant que nature meure (1965). Tout est déjà dit : « Si l’on envisage l’histoire du globe, l’apparition de l’homme prend aux yeux des biologistes la même signification que les grands cataclysmes à l’échelle du temps géologique… A l’époque contemporaine la situation atteint un niveau de gravité inégalé… Tous les phénomènes auxquels l’homme est mêlé se déroulent à une vitesse accélérée et à un rythme qui les rend presque incontrôlables… L’homme dilapide d’un cœur léger les ressources non renouvelables, ce qui risque de provoquer la ruine de la civilisation actuelle. » Je découvre cette vérité profonde : il est facile en théorie d’abattre la société moderne, il suffit de ne pas consommer. Vivre à la campagne, devenir végétarien et artisan, se vêtir, se nourrir, se loger par l’auto-production artisanale. Tout le reste devient inutile ville, usine, cinéma, auto, télé… Or cela apparaît impossible, parce que nous sommes coupés de la campagne, parce que les gens se nourrissent en échange de métiers inutiles, parce que les gens sont habitués au « confort »… Grothendieck s’est retiré du monde à cette époque, c’est une attitude que je comprends tout à fait. Il me faudra personnellement attendre 2011 pour que j’agisse en faveur des communautés de transition (dite aussi de résilience) pour une autonomie locale, alimentaire et énergétique. (à suivre)

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L’homme se retrouve seul avec lui-même sur cette terre

Début décembre 1970, je découvre avec Bombard que « dans dix ans, le thon de la Méditerranée aura totalement disparu. Pour cette espèce, on a atteint le point de non-retour. Pour l’homme, le point de non-retour sera atteint lorsque l’eau qui sert à nourrir nos cellules sera polluée à son tour. » Jusqu’au XVIIIe siècle, l’homme a vécu en harmonie avec la nature. Depuis 150 ans, nous vivons dans un univers physico-chimique ! J’étudie en janvier 1971 la physique contemporaine au travers de Werner Heisenberg. Pour lui, pour moi, la science n’est qu’un maillon de la chaîne infinie des dialogues entre l’homme et la nature. Mais comme on ne peut plus parler du comportement de la particule élémentaire sans tenir compte du processus d’observation, la division conventionnelle entre sujet et objet, entre monde intérieur et extérieur ne peut plus s’appliquer. Pour la première fois au cours de l’histoire, l’homme se retrouve seul avec lui-même sur cette terre, sans partenaire ni adversaire, ayant dompté les forces naturelles. « Par l’accroissement apparemment illimité de son pouvoir matériel, l’humanité se retrouve dans la situation d’un bateau construit avec une si grande quantité d’acier que la boussole n’indique plus le nord, mais s’oriente vers la masse du bateau. Un tel bateau n’arrivera nulle part, il tournera en rond. » Mes études d’économétrie en quatrième année de fac me semblent désormais voguer dans une autre galaxie.

Pourtant je vois encore l’espèce humaine comme un corps solidaire qui devrait se battre coude à coude CONTRE la nature, une humanité vouée à conquérir l’univers (février 1971). Teilhard de Chardin n’aide pas à me faire prendre conscience de mon anthropocentrisme, lui qui voit l’organisation de l’esprit succéder à celle de la matière. L’homme sur terre ne serait qu’un élément destiné à s’achever cosmiquement dans une conscience supérieure en formation : « N’est finalement bon que ce qui concourt à l’accroissement de l’esprit sur terre. » Photons, protons, électrons et autres éléments de la matière n’auraient pas plus ni moins de réalité en dehors de notre pensée que les couleurs en dehors de nos yeux. Teilhard de Chardin préfigure sans doute le transhumanisme, il envisage une mécanisation du monde qui puisse déborder le plan de la matière. Il s’agit d’une mystique de la science dont je vais assez rapidement me libérer. J’éprouve confusément le sentiment que la préoccupation émergente pour l’environnement montre – avec quelle force – combien l’action de l’homme n’est plus centrée sur l’homme seulement, mais relève aussi d’une conscience globale du milieu physique. (à suivre)

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Les sciences économiques, art des lignes géométriques

Octobre 1970, je commence ma quatrième année de sciences économiques, option économétrie. L’idiotie de la croissance économique n’est encore perceptible par personne. Pourtant Pierre Massé, du commissariat au plan, nous explique que si la production continue de progresser à son rythme actuel, elle conduirait à doter en 2070 chaque Français d’une centaine d’automobiles et à fabriquer avant l’an 3000 un volume de produits manufacturés dépassant celui de la Terre, de la Lune et de Vénus réunis.

Sur le taux d’intérêt, ma conviction est faite. Dans notre manuel d’économie de Raymond Barre, « L’économiste n’a pas pour sa part à résoudre le problème de la moralité de l’intérêt : il constate l’existence de l’intérêt et sa tâche est d’en fournir l’explication ». Qu’en termes immoraux ces choses-là sont dites ! Car j’ai une explication non conventionnelle, mais qui me semble irréfutable. Le taux d’intérêt ne représente que le coût qu’implique le fonctionnement centralisé du système monétaire. Il se résume aux coûts bancaires de paiement de la main d’œuvre nécessaire et du matériel utilisé. Pas besoin de l’argent des rentiers, la banque peut créer de l’argent ex nihilo, c’est d’ailleurs son rôle principal. Pas besoins de prime de risques, les contrevenants peuvent être repérés facilement. Quant au fait de rémunérer celui qui renonce temporairement par le prêt à l’usage de son propre argent, laissez-moi rigoler. Toute accumulation de fric résulte de l’exploitation d’autres personnes dont on a retiré des subsides de façon illégitime. L’appropriation privée du capital financier est une absurdité, il n’y a aucune explication raisonnable au fait de retirer un bénéfice de la monnaie : l’argent ne peut pas faire de petits : du catholicisme sans le savoir. Tout cela pour dire qu’à la fac, je ne fais plus grand chose à part expliquer que l’inflation résulte de la lutte des classes et de la taille de mes WC. En termes clairs, il y a spirale salaire-prix à cause des revendications syndicales et pression à la hausse sur le prix à cause de l’expansion de la demande.

L’enseignement de sciences économiques nous transformait en lignes géométriques reproduisant la parole des soi-disant grands maîtres. Notre rôle d’économiste sera de maintenir l’ordre, devenir expert-comptable ou économètre d’Etat, matricule untel au poste numéro tant. Contre cette police facultérale de la pensée, tout est bon pour moi pour contester, discuter, agiter. Février 1971, je me fâche avec mon groupe de travaux pratiques. Je voulais faire la simulation d’une prise de décision : le transport domicile-travail et ses améliorations possibles vues par la municipalité d’une grande ville. Mes camarades préfèrent un exposé magistral sur les critères de rationalité en Union soviétique : ils veulent exploiter leur travail réalisé depuis deux mois, « tel théoricien pense, tel autre croit… » Ils pouvaient très bien suivre à l’oral mon projet et rendre par écrit leur synthèse. Ils ne veulent pas ! Ils restent des techniciens de l’économie, pas des sociologues engagés. Et quand on sait ce qu’est devenue depuis la « rationalité soviétique » ! (à suivre)

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Notre monde est absurde, nous ne le savons pas encore

J’ai l’impression que l’humanité s’engage dans une impasse, mais il n’y a encore personne pour le dire clairement. Robert Prehoda montrait en 1967 (Designing, the future, the role of technological forecasting) que la prolongation des courbes indique que la quantité d’énergie sur terre dépassera en 1994 celle rayonnée par le soleil, que les vaisseaux spatiaux atteindront le vitesse de la lumière en 1998 et que l’espérance de vie approchera l’immortalité en l’an 2000 ; en l’an 3900, la population humaine formera une masse se propageant par sa propre croissance aussi vite que la lumière ! Notre monde est absurde, mais nous ne le savons pas encore.

Fin 1971, j’acquiers plus de confiance en moi. J’ai même une fâcheuse tendance à croire que j’ai toujours raison quand on discute de problèmes existentiels. Je pense avoir raison à cause des études prolongées auxquelles je me suis astreint, philosophie, droit, économie, connaissance de tous les mouvements politiques, communiste, anarchiste, UDR, PSU, SDS, Black Panthers… En fait je deviens super-chiant aux yeux de mes copains-copines. Et mes recherches tout azimut ne m’empêchent pas de me tromper. En novembre, j’estime que la tribu amazonienne ou la communauté de l’Arche sont des anachronismes voués à disparaître car non intégrés au mouvement général de l’humanité. Mon état d’esprit cosmopolite et global m’empêchait de voir la force du local et de la diversité culturelle.

Nous avions déjà en 1971 une condamnation du catastrophisme qui nous faisait oublier la réalité de la catastrophe ! Ainsi Louis Pauwells, dans sa Lettre ouverte aux gens heureux et qui ont bien raison de l’être (Albin Michel, 1971) : « Aliénation, pollution, surpopulation, sont des mythes. La grande injustice faite au Tiers Monde est aussi un mythe ». L’idée générale, « on n’arrête pas le progrès matériel ». Par exemple cette anecdote relatée par Pauwells : « Au début du XIXe siècle, Stephenson eut l’idée de mettre la locomotive à vapeur sur des rails. Un banquier, réticent, demanda : Et si une vache se met sur les rails ? Si une vache se met sur les rails, eh bien tant pis pour la vache ! » Pauwells prend un autre exemple : « Un bébé américain apporte plus de pollution dans le monde que 1000 bébés asiatiques. Il conviendrait donc d’arrêter l’industrie et de ne plus faire d’enfants. C’est la thèse de la croissance zéro. Mais les chefs syndicalistes en Amérique estiment qu’avec 5 millions de chômeurs, 12 millions d’assistés sociaux et 28 millions de logements à construire, les USA ont autre chose à faire que des grèves anti-progrès… Je crois que la vraie menace est l’invasion des élites occidentales par la sinistrose. » Quarante ans plus tard, les discours resteront malheureusement les mêmes. Mais je suis devenu un expert de la pédagogie de la catastrophe ! (à suivre)

NB : pour lire la version complète de cette autobiographie, ICI

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Les lynx, sauvagement concurrencés par les humains

Mes ancêtres lynx ont été sauvagement exterminés au cours des derniers siècles. Pourtant nous, lynx boréal, ne sommes pas plus gros qu’un berger allemand, nous ne vivons qu’une quinzaine d’année et nous pesons seulement 20 à 30 kilos. Au XVème siècle, nous existions encore partout en France, en plaine comme en montagne. Pourtant au milieu du XVIIe siècle, nous n’avions plus aucun représentant dans le massif vosgien et étions frappé d’extinction un peu partout ailleurs. Relégués dans les Carpates, nous ne pouvions que cultiver le souvenir de ce dernier lynx tué dans les Alpes en 1928. Miracle, au début des années 1970, notre espèce fait son retour sur le versant français du Jura depuis la Suisse toute proche où une vingtaine de lynx avait été relâchée. Notre réintroduction dans les Vosges débute en 1983, mais en 2014, plus aucun lynx n’avait été détecté. Aujourd’hui en 2017 ils font une nouvelle tentative à partir de l’Allemagne. Mais méfiance, des chasseurs nous attendent déjà avec impatience pour nous éliminer encore et toujours. Nous sommes persona non grata, considérés comme un perturbateur dans une nature jardinée. Il n’y a plus de nature sauvage, il n’y a que des humains et des routes à perte de vue, même dans leurs forêts d’exception modelées et remodelées, parfois détruites pour en faire du charbon de bois.

La plupart des chasseurs sont des monstres, ne regardant que leur nombril. Pour eux la nature doit rester figé telle qu’on l’a organisée par la main de l’homme, un espace domestiqué. Comme si les chevreuils étaient des animaux domestiques ! Ils croient qu’avec nous les lynx il n’y aura plus de chevreuils alors que nous n’en consommons chacun qu’une cinquantaine par an. Le taux de prédation d’un seul chasseur (à superficie comparable) est 4 ou 5 fois plus ! Le nombre de chevreuils abattus en France frise les 550 000 et pourtant ce prélèvement reste inférieur à l’augmentation naturelle de cette population. Les chasseurs se considèrent comme seuls propriétaires du « stock » de chevreuil. Ils ne comprennent pas ce que nous pouvons apporter, une régulation naturelle au lieu d’une biodiversité-fardeau. Le chasseur se croit tout puissant, il veut produire la totalité de son environnement à lui tout seul, incapable de comprendre que la raréfaction de la nature sauvage qu’il provoque fait disparaître une composante essentielle de son humanité. Juste un peu de statistiques pour mieux comprendre le problème. Chacun de nous, lynx, a besoin individuellement de 100 km² pour vivre et se nourrir. En France il y a plus de 100 habitants au km² , 117 exactement, une surpopulation qui étouffe toutes les autres espèces animales en prenant leur espace vital. Le nombre de chasseurs dépassent le million, nous les lynx sommes moins de 200 individus et nous perdons encore beaucoup d’entre nous, braconnés ou écrasés sur des routes. Les chiens en France sont plus de 7 millions ! Les Français comptent 67 millions de personnes qui s’entassent dans des maisons verticales au lieu de parcourir librement les forêts comme nous. Quand les humains seront seuls sur Terre avec leurs commensaux, pourront-ils survivre si ce n’est au milieu de leurs immondices ?

Heureusement commence à émerger une minorité de chasseurs plus clairvoyante, qui estime la prédation normale, donc ouverte à tous, les lynx compris. Ils sont conscients de la dynamique des écosystèmes, loin d’une vision figée de l’environnement, prenant les lynx comme des partenaires à part entière. A quand un « parlement du lynx » qui rassemblera toutes les parties prenantes ? Il semble que cela soit mis en place, avec des humains qui se font les avocats des acteurs absents, ceux qui ne peuvent participer directement aux négociations dites démocratiques comme nous les lynx, privés de parole, mais si heureux de notre liberté quand on nous laisse vivre. Notre ami Jean-Claude Génot estime que la révolution du XXIe siècle consisterait à abandonner l’anthropocentrisme dominant chez les humains au profit d’un écocentrisme, seul moyen de fixer des limites à l’expansion insoutenable de leur nombre et de leur activisme. C’est bien là l’expression d’une sagesse de lynx.

article de Michel Sourrouille, initialement paru sur le liste JNE

Sources : congrès JNE des 9 au 11 janvier 2017 dans les Vosges

conférence de Jean-Claude Génot, membre JNE et Christelle Scheid, chargée côté français de la communication sur le projet de réintroduction du lynx

annales scientifiques de la réserve de biosphère transfrontalière Vosges du nord

http://www.ferus.fr/lynx/le-lynx-conservation-et-presence-en-france

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l’Effondrement global avant 2030, une prévision de Cochet

Yves cochet a rédigé le 1er chapitre d’une œuvre collective*, en voici un résumé : « L’effondrement concerne la planète entière, États et instituions internationales compris. Aucun État ne peut alors compter sur ses voisins ou amis pour lui venir en aide, tant la situation globale et la situation de chacun s’est dégradées. La vitesse de cet effondrement est fonction de la vitesse de désintégration la plus rapide d’un de ses sous-systèmes cruciaux, par exemple le système financier et bancaire, puis, par contagion et rétroactions positives, des vitesses d’effondrement des autres systèmes cruciaux, fourniture d’énergie et d’alimentation, flux des échanges commerciaux, systèmes de communication. La situation générale du monde sera tellement détériorée que des services aujourd’hui banals tel que l’usage de l’électricité ou la mobilité automobile ne seront plus envisageables. Les survivants à l’effondrement auront subi le plus grand traumatisme de leur vie, le plus grand traumatisme de l’histoire humaine, la mort par centaines de millions de personnes dont ils auront eu connaissance avant que s’éteignent les communications électroniques. Un exemple historique de grande ampleur est comparable, la peste noire en Europe (1347-1352). près de 50 % de la population européenne, soit environ 25 millions de personnes, moururent.

De même qu’en 1935, nul en pouvait imaginer ce qui se passerait jusqu’en 1945, de même aujourd’hui il est malaisé de penser à l’effondrement imminent de la société mondialisée contemporaine. Cet évitement est paradoxalement ce qui aggravera effondrement lui-même lorsqu’il adviendra, faute de préparation collective à cette échéance fatale. Au vu de la situation actuelle, j’anticipe un effondrement proche et rapide, avant 2030. Comment les humains vont-ils interagir en l’absence d’institutions. Nous savons déjà que l’espèce humaine est la seule qui exhibe depuis des millénaires une propension à la violence endogène ; les guerres, massacres et gestes épouvantables sont suffisamment fréquents pour que nous n’y insistions pas, sauf à dire que les prétendus « progrès » technologiques du XXe siècle ont montré une capacité extrême de s’entre-tuer, dont Alexandre le Grand ou Napoléon ne pouvaient pas imaginer l’outrance.

Soit une petite société locale qui dure encore cinq ans après l’effondrement. Quelles sont les conditions sociales nécessaires à cette durabilité ? La modération dans les inégalités économiques et dans les consommations individuelles devra être compensée par des dépenses festives collectives, indispensables à la cohésion sociale et à l’arrachement à la pure survie biologique. Certaines formes de démocratie participative seront mises en place pour assurer la continuité politique de la communauté. Dans une société restreinte comme celle-là, la maîtrise de la violence endogène ne pourrait pas être garantie par une police professionnelle légalement instituée. En effet, l’envie de domination qui peut habiter les policiers professionnels lorsqu’ils voient les biens des autres citoyens pourrait s’exacerber en une violence prédatrice à l’exemple des pouvoirs discrétionnaires de la police dans les États dictatoriaux. »

Gouverner la décroissance, collectif, 14 euros pour 234 pages (éditions SciencePo 2017)

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Le gigantisme de la société entraîne l’ingouvernabilité

Pour Leopold Kohr, le gigantisme peut seulement mener à des problèmes d’une proportion ingérable ; il faut encore plus de pouvoir pour gérer le pouvoir en question et n’a qu’une fin possible, l’effondrement. Dans son livre*, Dmitry Orlov reprend cette analyse :

– La vaste échelle à laquelle fonctionne la société contemporaine rend impossible pour quiconque d’observer l’ensemble des choses avec un certain degré de pénétration, forçant chacun à se spécialiser dans une disciple ou une autre. La prolifération des experts qui savent presque tout sur presque rien est un signe certain que la poursuite de la connaissance a été entreprise sur une échelle excessive. Les idées de Leopold Kohr n’ont pas eu assez d’écho précisément à cause de la vaste échelle de l’entreprise intellectuelle contemporaine.

– Si un problème relativement spécifique, tel que la tâche de prohiber les pesticides causant le cancer, se brise en minuscules domaines mutuellement inintelligibles, que dire du problème bien plus général du contrôle de l’échelle à tous les niveaux ? Leopold Kohr essaya d’enrayer le cancer de la croissance sans contrainte ni contrôle après qu’il eut déjà métastasé et engloutit toute la planète. Notre défi est de sauter de ce train pour l’enfer sans nous casser les jambes !

– A mesure que les entités politiques (et économiques) gigantesques s’effritent, le monde pourrait assister à renaissance d’Etats assez petits pour accorder à leurs membres une part raisonnable de souveraineté personnelle. La démocratie n’existe plus partout où une conversation directe entre le dirigeant et n’importe lequel de ses sujets n’est plus possible. La souveraineté personnelle d’un Islandais est plus de 4000 fois celle d’un Chinois. Plus le groupe souverain est petit, plus grande est sa part de la souveraineté.

– Il existe une règle simple dont il faudrait se rappeler ! L’intelligence d’un groupe de gens organisé hiérarchiquement est inversement proportionnel à sa taille, et les puissants empires militaires sont si gros, et par conséquent si bêtes, que jamais, jamais ils apprennent quoi que ce soit.

* Les cinq stades de l’effondrement selon Dmitry Orlov (éditions Le Retour aux Sources 2016, 448 pages pour 21 euros)

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La nécessaire radicalisation des militants écologistes

Les opposants au centre d’enfouissement revendiquent des actes de « sabotage ». La petite commune de Bure est, du 19 au 26 juin, le foyer d’une semaine de mobilisation contre le projet Cigéo qui, porté par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), est destiné à enfouir les résidus nucléaires français à haute activité et à vie longue. Or, ces derniers jours ont été émaillés d’actions violentes, dont la radicalité est revendiquée par les opposants à ce « cimetière atomique » : vol de matériel (caisse à outils, câbles en acier…), édification d’une barricade, dégradations dans un hôtel-restaurant situé en face du siège meusien de l’Andra… La préfecture de la Meuse a mis en place un dispositif de sécurité renforcé. Elle souligne que « ces faits sont d’une nature différente des actions jusqu’ici conduites par les opposants », dans la mesure où ces derniers s’en sont pris non plus seulement à l’Andra ou aux forces de l’ordre, mais « à des entreprises, à des sites et à des personnes sans lien direct avec le projet Cigéo ». Les anti-Cigéo assument au contraire la responsabilité du « sabotage matériel de l’un des chevaux de Troie de l’Andra ». A leurs yeux, l’hôtel-restaurant pris pour cible illustre « l’invasion du territoire par l’Andra et la militarisation qui l’accompagne ». Celle-ci se traduit, relatent-ils, par « les contrôles incessants dont font l’objet opposants et habitants confondus, la surveillance policière constante, les fouilles de véhicules abusives, les survols d’hélicoptère… »*

Il est vrai que le choix du nucléaire présuppose une société militarisée. Une centrale nucléaire est déjà entouré de miradors et de barbelés, comme un camp de concentration, sauf que le danger vient de l’extérieur, des citoyens ! Le nucléaire ne pose pas seulement le problème de l’uranium (ressource non renouvelable), la dangerosité du mode de production, le coût financier exorbitant du démantèlement, le traitement improbable des déchets… il pose surtout le problème du choix de société que nous voulons, avec un état d’urgence permanent qui ne pourra être maintenu indéfiniment et dans tous les lieux. Il est même étonnant que si peu de militants s’attaquent à ce qui fait le malheur des générations futures, nucléaire, centrales au charbon, raffineries de pétrole, gazoducs, aéroports inutiles, etc. Voici quelques commentaires sur lemonde.fr :

Stan : Bah, il suffira bientôt d’assigner une centaine de ces perturbateurs (« terroristes » ?) à résidence le temps des travaux, et l’ordre républicain sera rétabli promptement. La loi sur l’état d’urgence permanent le permettra.

MARC PIÉPLU : Les plus dangereux ne sont pas quelques encagoulés inconséquents mais les dirigeants qui nous imposent le nucléaire avec ses centrales à risques énormes et ses déchets empoisonnés pour des milliers d’années. Il faut arrêter la production d’énergie par le nucléaire en France comme cela a été décidé dans d’autres pays européens.

XMX : La terminologie « les radicaux » n’est pas si récente, les radicaux sont seulement supposés prendre le mal et à la racine. Ce qui a quelquefois des effets extrêmes.- en particulier dans des périodes révolutionnaires – où nous ne sommes pas encore.

Raphael : Intervention sur la forme: « se radicaliser », nouvelle expression qui décrit au départ l’évaluation de certains djihadistes comme étant une maladie mentale, un processus à combattre par la déradicalisation. Et voilà que maintenant, c’était prévisible, le verbe s’applique à des écolos.

le sceptique @ raphael : c’est la réalité de toute idéologie de transformation sociale, non? Dans les années 1960 et 70, des communistes radicalisés ont versé dans le terrorisme face à l’impuissance des partis à prendre le pouvoir en Europe de l’Ouest. Idem autonomistes. L’écologie a déjà des exemples de radicalisation sur le modèle (littéraire au départ, plaisant à lire d’ailleurs) du gang de la clé à molette, avec agressions contre des personnes et des biens (forêts animalerie), occupations illégales, etc. Tant que l’écologisme sera sensible voire complaisant sur des illuminés qui parlent de crime permanent contre la vie et la planète, d’humanité parasite n’apportant que la mort, de système capitaliste-industriel intrinsèquement pourri et à faire disparaître en priorité, il n’est pas si étonnant que des personnes à tempérament violent finissent par être attirées et par passer à l’acte

raphael @ « le sceptique » : le catastrophisme de certains écolos est-il si démesuré ? Et la violence de ceux qui continuent de polluer malgré tout ?  » On s’intéresse souvent à la violence des fleuves qui débordent, rarement à celles des rives qui l’enserrent« . Attention: je ne dis pas que cela justifie de mettre le feu à un hôtel occupé. Mais les industriels qui continuent de polluer parce que leur profit est jugé plus opportun mettent le feu à toute la planète, eux.

* LE MONDE du 24 juin 2017, A Bure, la lutte contre le stockage de déchets radioactifs se radicalise

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Crime d’écocide, bientôt la reconnaissance officielle

Définition de l’écocide. L’écocide est un concept-clé pour protéger la nature. « Eco » vient du grec oïkos, la maison, et « cide » du latin caedere, tuer : se rendre coupable d’écocide, c’est brûler notre foyer, la Terre. Construit à partir des mots « écosystème » et « génocide », le néologisme dérange. Faut-il créer un parallélisme entre génocide et écocide, c’est-à-dire entre des êtres humains et des écosystèmes. Philippe Descola considère que le mot « écocide » coule de source : « Regardez ce qui se passe en Amérique latine. Les compagnies pétrolières et minières polluent l’air et le sol, bouleversent les conditions de vie de populations entières obligées d’abandonner leurs terres. C’est un écocide ou, dans le cas précis que j’évoque, un ethnocide… Que des espaces de vie deviennent des sujets de droit est une manière d’en finir avec l’anthropocentrisme et l’individualisme possessif. » L’un des articles les plus emblématiques du code civil français porte le numéro 544 : « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou les règlements. » Disposer de la manière la plus absolue de la nature ! Dominique Bourg s’insurge : « Défendre le concept d’écocide est un combat primordial. Bien sûr, certains appellent encore à hiérarchiser entre homme et nature ; mais il ne faut plus les opposer car les écosystèmes sont les conditions d’existence de l’humanité ».*

Histoire de l’écocide. De 1962 à 1971, durant la guerre du Vietnam, l’armée américaine avait mené épandu sur ses forêts ennemies des dizaines de milliers de mètres cubes d’un défoliant très puissant, l’agent orange. Un désastre écologique et humain à l’origine de milliers de cancers. En 1970, le biologiste Arthur W. Galston évoque l’« écocide » en cours : c’est la première fois que le terme est utilisé. Le chef du gouvernement suédois Olof Palme le reprend en 1972, à Stockholm, lors de l’ouverture de la conférence des Nations unies sur l’environnement. Dès 1990, Hanoï définit l’écocide dans son code pénal comme « un crime contre l’humanité commis par destruction de l’environnement naturel, en temps de paix comme en temps de guerre ». Créée officiellement en 2002 pour juger les auteurs de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression, la CPI n’a certes pas décidé de créer un crime spécifique pour les atteintes à l’environnement. Mais sa déclaration d’intention politique réaffirme sa volonté de coopérer avec les Etats qui le lui demanderaient, afin d’enquêter sur des crimes graves à l’instar « de l’exploitation illicite de ressources naturelles, du trafic d’armes, de la traite d’êtres humains, du terrorisme, de la criminalité financière, de l’appropriation illicite de terres ou de la destruction de l’environnement ». Pour l’instant l’Equateur est le seul pays du monde à avoir inscrit en 2008 les droits de la nature (la « pachamama ») dans sa constitution. Le programme des ­Nations unies pour l’environnement évaluent à 258 milliards de dollars les revenus générés en 2016 par l’ensemble des crimes environnementaux. Mais comme pour l’instant il est  indispensable d’identifier une personne à l’origine du crime, sinon le droit pénal ne peut pas s’appliquer, les poursuites restent difficiles. Une approche plus radicale voudrait faire condamner les multinationales dont les activités altèrent de manière grave les écosystèmes. Les 15 et 16 octobre 2016, un tribunal citoyen s’est tenu à La Haye – ville où siège la CPI – afin de juger Monsanto, le géant de l’agrochimie (qui fut d’ailleurs, avec Dow Chemical, l’un des fabricants de l’agent orange). « Reconnaître l’écocide comme un crime international est devenu un impératif moral », affirme la juriste Valérie Cabanes, porte-parole du mouvement citoyen « End Ecocide on Earth ». L’objectif : préserver l’avenir des générations futures. Faudra-t-il un nouveau désastre écologique pour que la préservation de la pachamama se réalise enfin ?*

Sur ce blog, notre première mention de l’écocide date de juin 2007, extraits : « L’immense nouveauté de notre époque réside dans le fait que pour la première fois dans l’Histoire, il est reconnu que l’espèce humaine, sous la houlette implacable de l’Occident, intervient sur le déterminant essentiel de sa propre apparition : la biosphère. Cette intervention provoque des effets assimilables à un écocide généralisé. L’hospitalité de la Terre est remise en question. » Voici la plus synthétique, extraits : « En Inde, en Chine ou à Madagascar, LE MONDE a traqué cinq écocides, des crimes contre la nature. Le premier volet est consacré au bolabola, l’arbre qui saigne, le bois de rose. Les termes sont forts, « écocide » à l’image du génocide, « crimes contre la nature ». Mais le droit pénal contre la criminalité environnementale est encore dans ses limbes. »

* LE MONDE du 20 mai 2017, Crime contre nature

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Quelques citations pour accélérer la réflexion (3/3)

La différence entre un désert et une forêt, ce n’est pas l’eau, c’est l’homme.

La culpabilité écologique est bien peu répandue, sinon l’écologie serait la priorité des sociétés occidentales.

« Celui qui pense qu’une croissance exponentielle infinie est possible dans un monde fini est soit un fou soit un économiste. » (Kenneth Boulding)

« Le problème, c’est que les gens intelligents sont pleins de doutes, alors que les imbéciles sont pleins de certitudes. » (Charles Bukovski)

« Ceux qui prêchent la croissance de la consommation dans des pays où les besoins vitaux sont déjà plus que satisfaits sont aussi néfastes que les dealers. » (Albert Jacquard)

« La publicité crée le désir de consommer, le crédit en donne les moyens, l’obsolescence programmée en renouvelle la nécessité. » (Serge Latouche)

« Nul ne peut résoudre un problème en s’appuyant sur une logique identique à celle qui a suscité son apparition. » (Albert Einstein)

« Quand on a la tête en forme de marteau, tous les problèmes ressemblent à des clous. » (Albert Einstein)

«  Au programme, ne plus se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore. » (Georgescu-Roegen)

« Nous utilisons la nature parce qu’elle est précieuse, mais nous la perdons parce qu’elle est gratuite. » (Pavan Sukhdev)

« Il faut environ 100 millions d’années pour « produire » du pétrole ; si la nature était une marchande capitaliste, à combien nous offrirait-elle le litre de super ? » (Yves Cochet)

« La vérité mérite d’être souvent répétée car la propagande des idées fausses ne s’arrête jamais. » (Goethe)

« Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. » (Albert Einstein)

« Sois le changement que tu veux voir dans le monde. » (Gandhi)

« Tout homme qui a raison contre tous les autres constitue déjà une majorité d’une voix. » (HD Thoreau)

« Enseignez à vos enfants ce que nous avons enseigné aux nôtres, que la Terre est notre mère. Si les hommes crachent sur le sol, ils crachent sur eux-mêmes. La Terre n’appartient pas à l’homme ; l’homme appartient à la Terre. Toutes choses se tiennent comme le sang qui unit une même famille. Tout ce qui arrive à la Terre arrive aux fils de la Terre » (chef indien Seattle, 1854)

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