épuisement des ressources

Bientôt nos pelouses seront remplacées par des potagers

« La sécheresse vient d’entrer dans sa quatrième année en Californie. Le gouverneur Jerry Brown a décrété un rationnement général et obligatoire de 25 % de l’eau potable, et on a cessé d’arroser les pelouses : « Brown is the new green ». On est passé des amendes pour pelouses mal entretenues aux amendes pour tous ceux qui n’auront pas réduit leur consommation. Les citoyens décortiquent les quantités d’eau qui sont entrées dans leur consommation. Un hamburger : 2 300 litres ; un verre de vin : 121 litres… Et les amandes ! Plus personne n’ignore qu’il faut plus de 3 litres d’eau pour faire pousser une seule amande. Les piscines ne peuvent plus être vidangées. Il faut contribuer à l’effort général, afficher une certaine solidarité avec les zones agricoles dont le robinet s’est tari. Les riches qui « peuvent payer les amendes », sont dans la ligne de mire. Les collectivités locales ont ouvert des pages Web où chacun peut dénoncer les gaspilleurs qui arrosent en dehors des heures autorisées ou lavent leur voiture à grands jets. »*

Le rationnement obligatoire en Californie est un débat qui va se généraliser au fur et à mesure que les ressources naturelles vont se raréfier : l’eau, les combustibles fossiles, les métaux, les terres arables, etc. Ne plus pouvoir montrer sa pelouse bien verte n’est pas bien grave, mais ne plus avoir d’essence pour faire bouger sa voiture remet en question toute notre civilisation. Sur ce blog nous préparons les esprits au rationnement carbone (la carte carbone).

En France, le rationnement fait presque immédiatement penser aux heures sombres de la Seconde guerre mondiale. Mais au Royaume-Uni, les choses sont différentes : là aussi le rationnement est associé à la période de guerre, mais si le rationnement a été une période difficile, il a été aussi l’un des principaux instruments grâce auxquels la démocratie a pu s’organiser pour traverser la tourmente des pénuries. Le rationnement doit sa mauvaise réputation à son association à l’idée de pénurie… alors qu’il est une réponse à la pénurie, et non sa cause. En fait le rationnement présente deux aspects qui, tout en étant liés, sont bien distincts : d’une part la garantie d’un minimum de partage, et d’autre part la limitation de ce que les gens sont autorisés à consommer. Beaucoup d’entre nous rejetons le second aspect, mais en temps de pénurie nous exigerons le premier ! Et nous nous occuperons de notre potager au lieu de tondre la pelouse !

* LE MONDE du 24-25 mai 2015, Californie, gazon maudit

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Make in India, un rêve qui ne crée pas assez d’emploi

Elu en mai 2014 sur un projet d’industrialisation*, le premier ministre Narendra Modi tourne le dos aux enseignements de Gandhi et de Malthus. En Inde, 750 millions d’Indiens sur 1,25 milliard ont moins de 25 ans. D’ici à 2025, 10 à 12 millions d’actifs supplémentaires vont se présenter chaque année sur le marché du travail. Parallèlement, une quinzaine de millions d’emplois disparaîtront dans le secteur agricole. Si l’on veut éviter que le dividende démographique ne se transforme en génération perdue, ce sont 100 à 130 millions d’emplois qu’il faudrait créer, hors agriculture, dans les dix prochaines années. La pauvreté frappe 30 % des Indiens mais le choix industriel ne pourra pas créer suffisamment d’emploi, sans parler de l’exploitation programmée de la main d’œuvre. De plus il détériorera l’environnement, épuisement des ressources fossiles, émissions de gaz à effet de serre, pollutions diverses. L’Inde deviendrait avant 2025 le troisième importateur net de brut, derrière les Etats-Unis et la Chine, et le troisième émetteur de CO2.

L’Inde n’aurait jamais du abandonner la voie choisie par le mahatma Gandhi. Le premier mouvement de résistance non violente conduit par Gandhi, de 1919 à 1922, avait pour thème la charkha (petit instrument ancestral de filage) et le khadi (toile artisanale), base d’une prospérité écrasée par la « machinerie de Manchester ». Gandhi voyait un grand danger dans toute innovation propre à élargir le fossé entre possédants et pauvres en induisant des besoins asservissants et impossibles à satisfaire. Ce modèle, la philosophie du rouet, refusait techniques dures et intrusion des pays riches. Gandhi s’il était toujours en vie aurait certainement dit face à Modi : « Le renoncement à la voiture, même à la Tata Nano , sera un jour la loi pour tous. »

L’Inde aurait du suivre l’enseignement de Malthus. « Si nous laissons la population s’accroître trop rapidement, nous mourons misérablement, en proie à la pauvreté et aux maladies contagieuses. Le peuple doit s’envisager comme étant lui-même la cause principale de ses souffrances. Je suis persuadé qu’une connaissance pleine de la principale cause de la pauvreté est le moyen le plus sûr d’établir sur de solides fondements une liberté sage et raisonnable. La multitude qui fait les émeutes est le produit d’une population excédante. Le nombre des ouvriers étant accru dans une proportion plus forte que la quantité d’ouvrage à faire, le prix du travail ne peut manquer de tomber ; et le prix des subsistances haussera en même temps. Tous mes raisonnements et tous les faits que j’ai recueillis prouvent que, pour améliorer le sort des pauvres, il faut que le nombre proportionnel des naissances diminue. Il suffit d’améliorer les principes de l’administration civile et de répandre sur tous les individus les bienfaits de l’éducation. A la suite de ces opérations, on peut se tenir pour assuré qu’on verra une diminution des naissances. »**

* LE MONDE éco&entreprise du 17-18 mai 2015, Le pari industriel de Narendra Modi
** Essai sur le principe de population de Robert Malthus (1798)

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Le pic du diamant prévu en 2019, dans quatre ans !

Philippe Mellier, PDG de De Beers, le principal producteur mondial de diamants, annonce « qu’après 2019, la production mondiale de diamants va baisser… Tous ceux qui sont aujourd’hui exploités le sont depuis trente ou quarante ans. »* Depuis plus d’une quinzaine d’années, aucun nouveau gisement important n’a été découvert sur la planète. Il faudra donc creuser plus profond, à plus de 600 mètres. Par exemple à Venitia (Afrique du Sud), les forages s’effectueront à un kilomètre de profondeur. En conséquence la production résiduelle sera plus rare et beaucoup plus chère. Le pic du diamant, ce moment de la courbe de production où l’extraction est maximale, c’est seulement dans quatre ans !

Mais que les diamants disparaissent de la consommation humaine, ce n’est pas bien grave. Dans une société égalitaire où les dépenses ostentatoires n’auront plus cours, les parures et bijoux n’auront plus aucune valeur. Par contre nous devrions être très inquiets de l’arrivée du pic pétrolier, ce moment où les réservoirs naturels déjà bien ponctionnés commencent à rendre l’âme. Pour le pétrole conventionnel, c’est déjà une réalité ; depuis 2006, nous avons atteint le maximum de production possible. Commence alors la descente énergétique, une catastrophe pour une civilisation thermo-industrielle, basée sur la puissance du feu issue des énergies fossiles. Comme tout est lié, il faut de l’énergie pour extraire les métaux du sous-sol et réciproquement, différents pics supplémentaires s’annoncent. En résumé, peak oil, peak all, peak everything, pic de tout. En France, il n’y a même plus de mines. Entre 1985 et 2005, la France a successivement arrêté sa production de tungstène, de bauxite, d’argent, de plomb, de zinc, de fer, d’uranium, de potasse, de charbon et d’or. Après l’arrêt des ardoisières de Trélazé le lundi 25 novembre 2013, il ne subsiste désormais dans l’Hexagone qu’une mine de sel. Or qui dit fin de l’exploitation minière dit aussi fin de la société thermo-industrielle, basée sur l’énergie fossile et les machines.

Nous aurions du nous poser la question de fond plus tôt : à qui appartiennent les ressources du sous-sol ? Ces richesses naturelles n’appartiennent pas aux Etats, encore moins aux propriétaire du sol. Ces richesses n’appartiennent certainement pas aux firmes multinationales qui bénéficient gratuitement de l’œuvre de la nature. Ces richesses n’appartiennent même pas aux générations futures qui n’en feraient pas un usage meilleur qu’aujourd’hui. Tout cela n’est qu’utilitarisme de court terme et gaspillage après pillage. Il nous faut lutter contre la logique extractive et sanctuariser les dernières et rares ressources du sous-sol qui nous restent. Cela implique qu’il nous faut changer complètement de mode de vie et cultiver individuellement et collectivement la sobriété dans tous les domaines. Si nous ne le faisons pas volontairement, sous la forme d’une décroissance maîtrisée, nous le ferons dans l’urgence au fur et à mesure que les diamants, le pétrole, le cuivre… deviendront hors de prix.

Pour en savoir plus
Ugo Bardi, Nouveau rapport au club de Rome : le grand pillage (comment nous épuisons les ressources de la planète)
Editions Les petits matins, 433 pages, 19 euros
Sur notre blog
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2014/02/09/la-fin-des-reserves-minieres-cest-incontestable/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/11/29/fin-de-la-societe-miniere-fin-de-labondance-a-credit/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2013/10/11/gratter-lecorce-de-la-terre-jusquaux-dernieres-limites/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2012/08/20/arret-des-extractions-minieres-partout-dans-le-monde/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2012/05/15/le-peak-oil-tend-a-devenir-le-pic-all/
http://biosphere.blog.lemonde.fr/2012/05/13/pic-all-penurie-de-tout-energie-et-minerais/

* LE MONDE éco&entreprise du 6 mai 2015, De Beers anticipe la fin des mines de diamant

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Nouveau rapport au club de Rome : le grand pillage

L’agonie de l’Empire romain d’Occident a duré plus de trois cents ans. Les empereurs ont certainement dû se rendre compte que quelque chose clochait. Pourtant leur seule réponse a consisté à tout mettre en œuvre pour maintenir le statu quo jusqu’à ce que l’empire rende son dernier soupir. Les ressources naturelles qui avaient permis l’expansion du système impérial s’amenuisaient. Les mines d’or et d’argent d’Espagne s’épuisaient. Il ne subsistait plus aucun voisin facile à envahir et à piller. L’érosion des sols fertiles faisait diminuer la production agricole. Par ailleurs, les dépenses colossales à consentir pour l’armée, la cour impériale et le système bureaucratique avaient nécessité la mise en place d’un régime fiscal qui a précipité la faillite. Comme l’analyse J.A.Tainter , le système est rentré dans une période de « rendements décroissants ».

La solution était pourtant évidente, il fallait s’alléger. L’effondrement de l’ Empire a été suivi du Moyen Age, des années au cours desquelles l’Europe s’est libérée de l’étreinte de la bureaucratie impériale, des dépenses énormes liées à l’entretien des armées et de la terrible charge fiscale. La défense était assurée par des milices locales et l’impôt n’était dû qu’aux seigneurs locaux. Pendant la période de contraction économique, les sols se sont reconstitués et les forêts ont repoussé.

La situation de l’Empire romain ressemble à s’y méprendre à la nôtre. Nous souffrons également d’une diminution de nos ressources naturelles, d’une bureaucratie excessive et de toutes sortes de pollutions. Or nous mettons tout en œuvre pour que les choses restent telles qu’elles sont. Nous réagissons à la déplétion du pétrole en forant plus profondément, en forant davantage. « Drill, baby, drill » s’exclamait l’ancienne candidate à la vie-présidence des Etats-Unis, Sarah Palin. Pourtant forer encore plus revient à accélérer la déplétion !
Ugo Bardi, Nouveau rapport au club de Rome : le grand pillage (comment nous épuisons les ressources de la planète)
Éditions Les petits matins, 433 pages, 19 euros

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Démence extractive, c’est-à-dire «Explosons la planète»

Nous traversons la dernière étape de l’exploitation à grande échelle des minéraux. En deux siècles à peine, au terme d’une guerre impitoyable, nous aurons remonté à la surface de la terre un trésor qui avait mis des millions, voire des milliards d’années à se constituer. Le point culminant de cette démence extractive est la décision des compagnies pétrolières d’exploiter certains combustibles non conventionnels comme le gaz de schiste, le pétrole en eaux profondes ou les sables bitumineux.

En 2001, au tout début de l’envolée historique des prix du pétrole, BP avait lancé un nouveau slogan : « Au-delà du pétrole. » Ce leitmotiv avait été perçu comme une évolution qui mettrait un terme à l’ère des combustibles fossiles. Mais le scénario inverse s’est produit : comme les prix du pétrole ont augmenté, les compagnies ont compris qu’elles pouvaient engranger des bénéfices à court terme en exploitant des ressources dont le développement était auparavant trop coûteux. C’est ainsi que le leitmotiv « Au-delà du pétrole » s’est transformé en « Explosons la planète ». Cette stratégie nous piège dans l’économie extractive.

Deux messages essentiels au bien-être humain sont systématiquement laissés de côté. Plus nous extrayons, plus vite nous manquerons de ressources, et si nous continuons à brûler des combustibles fossiles, nous risquons de franchir le seuil d’un changement climatique non linéaire et incontrôlé. Le système économique contemporain est apparemment dépourvue de mécanismes incitant les grandes entreprises à valoriser les avantages à long terme pour nous tous, y compris pour elles-mêmes. Leur raison d’être consiste en effet à maximiser les bénéfices à court terme. De son côté le champ politique est dénué d’une vision du bien commun et ne fait que se plier à la volonté de divers groupes de pression. En coulisse, les dirigeants politiques continuent d’octroyer les permis nécessaires à la poursuite d’opérations minières toujours plus extravagantes, toujours plus nocives. Toutes les tentatives pour prendre des mesures à l’échelle mondiale contre le réchauffement de la planète sont restées lettre morte – à l’image de celles qui se proposaient de libérer l’humanité de sa dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles. Le moment est venu de remettre au goût du jour le principe du protocole de Rimini, c’est-à-dire d’imposer un plafond légal qui s’appliquerait à l’exploitation des ressources non renouvelables.
(extraits de la Postface de Karl Wagner : nous pouvons arrêter de piller la planète)

tiré du livre « Nouveau rapport au club de Rome : le grand pillage (comment nous épuisons les ressources de la planète) »
Éditions Les petits matins, 433 pages, 19 euros

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L’usage des agrocarburants est nocif pour la planète

Les véhicules à moteur n’auront bientôt plus d’énergie. On croyait remplacer l’essence par des agrocarburants, on déchante. L’union européenne revient en arrière et « limite l’usage des agrocarburants nocifs pour la planète » après en avoir fait un cheval de bataille. Le Parlement européen s’est prononcé à une large majorité le 28 avril 2015 pour un plafonnement des agrocarburants à 7 % du total des carburants utilisés dans le secteur des transports*. Timide tournant, Bruxelles s’était prononcée en 2012 pour un plafonnement à 5 %. Comme les carburants utilisés aujourd’hui en Europe contiennent déjà en moyenne 5 % d’agrocarburants, fixer ce plafond à 7 % laisse encore la possibilité d’une croissance Il est vrai que le conseil des ministres européens de l’énergie ne voudrait pas de restriction. Il n’est pas encore rentré dans les pratiques que le secteur de l’énergie n’est qu’un sous-aspect des considérations écologiques. Car la problématique des nécrocarburants est complexe.

Au niveau de l’affectation des sols, il faut choisir entre conduire (agrocarburants) et manger (produire de l’alimentation). La concurrence avec les cultures alimentaires est nuisible aux plus pauvres, en poussant les prix alimentaires à la hausse. Tenir l’objectif européen de 10 % d’énergies renouvelables dans les transports d’ici à 2020 nécessite plus d’agrocarburants et pénalise indirectement la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Par exemple l’utilisation d’une partie de la production de colza pour faire du biodiesel reporte la demande alimentaire sur d’autres huiles végétales et peut donc provoquer le déboisement de terres en Afrique ou en Asie pour y cultiver du palmier à huile, entraînant une perte d’écosystèmes captant le dioxyde de carbone (CO2). De plus, comme le colza absorbe assez mal l’engrais azoté, son développement en culture énergétique risque de provoquer une augmentation des pollutions de l’eau. Certains agrocarburants conduisent même à une augmentation des émissions de polluants atmosphériques, comme le protoxyde d’azote. Le bilan énergétique des filières présente des écarts gigantesques selon les modalités d’analyse : dans la chaîne de production des agrocarburants, on peut aller d’un gain de onze unités d’énergie produites pour une consommée à une perte de seize unités. Quant aux agrocarburants produits dans les pays tropicaux, s’ils présentent des rendements énergétiques bien meilleurs (notamment la canne à sucre), leur développement se produit en partie par la déforestation.

En fait, le développement des agrocarburants a été largement motivé par la volonté de soutenir les céréaliers, mis en difficulté des deux côtés de l’Atlantique par la baisse des subventions. Il est urgent de changer de modèle énergétique, ce qui veut dire d’abord limiter nos besoins… c’est-à-dire rouler à pied ou en vélo !

* Le Monde.fr | 28.04.2015, L’Europe limite l’usage des agrocarburants nocifs pour la planète

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Laisser les énergies fossiles sous terre, une obligation

Remplacez « l’or et l’argent » par « ressources fossiles » dans cette phrase de Thomas More écrite en 1516 et vous obtenez une magnifique idée contemporaine : « L’or et l’argent n’ont aucune vertu, aucun usage, aucune propriété dont la privation soit un inconvénient véritable. C’est la folie humaine qui a mis tant de prix à leur rareté. La nature, cette excellente mère, les a enfouis à de grandes profondeurs, comme des productions inutiles et vaines, tandis qu’elle expose à découvert l’air, l’eau, la terre et tout ce qu’il y a de bon et de réellement utile (L’utopie). » Nous conseillons aussi de lire Lewis Mumford : « L’exploitation minière est la métaphore de toute la civilisation moderne. Le travail de la mine est avant tout destructeur : son produit est un amas sans forme et sans vie, ce qui est extrait ne peut être remplacé. La mine passe d’une phase de richesse à l’épuisement, avant d’être définitivement abandonnée – souvent en quelques générations seulement. La mine est à l’image de tout ce qu’il peut y avoir de précaire dans la présence humaine, rendue fiévreuse par l’appât du gain, le lendemain épuisée et sans forces. » Il faut comme l’exprime Maristella Svampa déconstruire l’imaginaire extractiviste  : « Personne ne peut penser l’Argentine sans production agraire. Alors qu’il est possible de penser une Argentine sans grands projets miniers. »

Jusqu’à maintenant le « désinvestissement » dans les énergies fossiles n’était approuvé que par la plupart des écologistes, il reçoit aujourd’hui le soutien du quotidien britannique The Guardian. Ce média est associé depuis mars 2015 avec l’ONG 350.org dans la campagne « Keep it in the Ground » (« Laissez-le sous terre »). Alan Rusbridger, directeur du Guardian s’exprime dans LE MONDE*, en résumé :

« Durant mes vingt ans comme directeur du Guardian, je n’avais jamais lancé un appel comme celui-ci, un mouvement de désinvestissement. Si l’on pense à ce qui restera dans l’Histoire, le changement climatique est la plus grande « story » de notre époque. L’écrasante majorité de la communauté scientifique s’accorde à dire qu’il y a urgence à agir. Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le réchauffement climatique. Or jusqu’à présent, il n’avait fait que très rarement la « une » du Guardian. Au cours des dix dernières années, l’industrie de la presse s’est fracturée, elle est devenue peureuse. On regarde en permanence nos chiffres de ventes, nos nombres de lecteurs et d’abonnés. Si vous voulez faire du journalisme, il faut garder l’intérêt général comme moteur. Et je ne vois pas de plus grand intérêt général que d’aider à la prise de conscience sur le dérèglement climatique. Le journalisme est très efficace pour raconter ce qu’il s’est passé hier, mais il l’est beaucoup moins pour faire le récit de ce qui va se produire dans dix ans. Pourtant, cela reste du journalisme, car les décisions que nous prenons aujourd’hui auront des conséquences dans les dix prochaines années et au-delà. Il faut trouver le moyen de faire réfléchir nos concitoyens car la classe politique ou les marchés ne sauront pas le faire. »

* LE MONDE du 19-20 avril 2015, « Il n’y a pas de sujet plus sérieux que le climat »

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L’impossibilité de créer des emplois par la croissance

L’UMPS est sur la même longueur d’onde que les syndicats, croissanciste. C’est la pensée unique de la solution unique. Le PS Manuel Valls a expliqué que « tant que nous n’avons pas une croissance plus forte, autour de 1,5 %, il est difficile de créer de l’emploi.» L’UMP Gérard Larcher estime que les chiffres du chômage « montre[nt] combien un changement de politique économique est indispensable et urgent afin de lever les freins à la croissance et à la création d’emplois ». Le syndicaliste Jean-Claude Mailly (FO) juge « indispensable » de « changer de politique économique afin de retrouver une croissance porteuse d’emplois ».*

Ils attendent tous la croissance comme d’autres attendaient autrefois la pluie ; c’est la pensée magique de ceux qui sont incapables de résoudre effectivement un problème. Mais la croissance ne repartira pas, jamais, sauf à doses homéopathiques. La relance de la croissance par le déficit budgétaire est impossible étant donné la dette accumulée par l’Etat français depuis 1974 ; on pourrait ajouter des emplois publics dans chaque recoin de commune, mais avec quel argent ? La relance par la consommation est impossible, les ménages français dépendent de salaires limités par la concurrence internationale des pays à bas salaires et les difficultés des entreprises. La relance par l’offre voulue par Macron, c’est-à-dire le soutien aux entreprises par la flexibilité des travailleurs, se heurte à cette impossibilité majeure : comment accroître l’activité des entreprises si la demande est atone ? La relance par les exportations est impossible dans un marché mondialisé soumis à la concurrence internationale des pays émergents ; la Chine est devenue l’atelier du monde et il n’y a plus de nouveaux créneaux d’exportation. Valls à la suite d’Hollande fait croire qu’ils sont créateurs d’emploi alors qu’ils ne sont que les spectateurs de l’évolution des courbes du chômage.

De toute façon la croissance, mue principalement par la profusion des énergies fossiles depuis deux siècles, ne peut que s’effondrer avec les dernières gouttes de pétrole. Les crises par l’amoindrissement des ressources naturelles feront un bien plus grand nombre de chômeurs que les péripéties qui ont suivi le krach de Wall Street en 1929. L’argent ne fait qu’habiller une réalité économique alors que l’état de nos ressources naturelles forme le socle incontournable sur lequel reposent nos activités socio-économiques. Rappelons avec Jean-Marc Jancovici « qu’il ne saurait y avoir d’humanité prospère et le moindre PIB bien gras et bien dodu sur une planète dévastée. Si demain nous n’avions plus de pétrole, ni gaz, ni charbon, ce n’est pas 4 % du PIB que nous perdrions (la place de l’énergie dans le PIB), mais près de 99 %. Une journée d’hospitalisation en service de réanimation, accessible à tout citoyen occidental, coûte de 500 à 5000 kWh d’énergie. Lorsque l’approvisionnement énergétique commencera à être fortement contraint, il est logique que l’emploi tertiaire souffre autant que l’emploi productif, puisque le premier dépend du second. Etudiants, enseignants, employés de la Sécu, retraités et vacanciers sont tous des enfants de l’énergie abondante à prix décroissant : rien de tout cela ou presque n’existe dans les pays où l’énergie reste un luxe. Une grande partie des évolutions économiques et sociales vont s’inverser. »**

* Le Monde.fr avec AFP | 25.03.2015, Pour Valls, il est « difficile de créer de l’emploi » avec une croissance si faible
** * Changer le monde, tout un programme (Calmann-lévy, 2011)

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L’Europe et la planète malades de la présence humaine

Nous nous préoccupons beaucoup dans les médias du FN (« acteur incontournable aux cantonales ») ou de la fessée (« pas encore interdite en France »), mais vraiment pas assez dans notre comportement pour les choses essentielles. Rappel :

1/2) Biodiversité, état des sols, pollution : l’environnement se dégrade en Europe
L’artificialisation des sols, due principalement à l’urbanisation, s’accompagne de leur fragmentation (30 % du territoire de l’UE est aujourd’hui fortement morcelé), mais aussi de leur dégradation, du fait de l’intensification de la production agricole et de l’érosion, qui touche plus de 25 % de l’espace européen… L’utilisation « non durable » des terres, facteur majeur de la perte de biodiversité, menace aussi les « services écosystémiques » assurés par les sols (comme le stockage de l’eau ou la filtration de contaminants), en même temps qu’elle accroît la vulnérabilité de l’Europe au changement climatique et aux catastrophes naturelles. Cette situation, qu’il est « difficile ou coûteux d’inverser », « ne devrait pas changer de manière favorable »…
L’AEE (agence européenne de l’environnement) exhorte à « une refonte complète des systèmes de production et de consommation qui sont à l’origine des pressions exercées sur l’environnement et le climat ». Ce qui nécessite, ajoute-t-elle, « de profonds changements dans les institutions, les pratiques, les technologies, les politiques et les modes de vie et de pensée prédominants ». (LE MONDE du 4 février 2015)

2/2) La Terre a perdu la moitié de ses populations d’espèces sauvages en 40 ans
La planète est malade, et sa guérison semble de plus en plus incertaine. La pression exercée par l’humanité sur les écosystèmes est telle qu’il nous faut chaque année l’équivalent d’une Terre et demie pour satisfaire nos besoins en ressources naturelles, tandis que le déclin de la biodiversité est sans précédent. Ce sont les conclusions alarmantes du Fonds pour la nature (WWF), dans la dixième édition de son rapport Planète vivante, le bilan de santé le plus complet de la Terre… L’empreinte écologique de l’humanité atteignait 18,1 milliards d’hectares globaux (hag, hectares de productivité moyenne) en 2010, soit 2,6 hag par personne.
Le problème, c’est que cette empreinte mondiale, qui a doublé depuis les années 1960, excède de 50 % la biocapacité de la planète, c’est-à-dire sa faculté à régénérer les ressources naturelles et absorber le CO2. Ce « dépassement » est possible car nous coupons des arbres à un rythme supérieur à celui de leur croissance, nous prélevons plus de poissons dans les océans qu’il n’en naît chaque année, et nous rejetons davantage de carbone dans l’atmosphère que les forêts et les océans ne peuvent en absorber… Résultat : les effectifs de ces espèces sauvages ont décliné de 52 % entre 1970 et 2010. Autrement dit, la taille de ces populations a fondu de moitié en moins de deux générations. (Le Monde.fr | 30 septembre 2014)

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P. Artus, la croissance économique ne durera pas toujours

Au milieu de l’été 2012 Robert Gordon entendait « questionner l’affirmation, largement partagée depuis les travaux de Robert Solow dans les années 1950, selon laquelle la croissance économique est un processus continu qui durera toujours ». Pour ceux qui n’auraient pas bien compris, Gordon enfonce le clou : « Mon article suggère que la croissance rapide observée au cours des 250 dernières années pourrait bien être un épisode unique dans l’histoire de l’humanité. » Emoi considérable, Gordon s’attaquait à une croyance collective. Cette référence récente du journaliste Vincent Giret* est étonnante. Il semble ignorer que les limites de la croissance sont bien analysées depuis plus de quarante ans avec le rapport au Club de Rome en 1972. Dans cette analyse systémique, les facteurs de blocage sont l’épuisement des ressources naturelles, la surpopulation, la pollution généralisée, les problèmes de l’agriculture et des limites technologiques. Ces causes structurelles sont liées à l’évolution exponentielle de l’emprise de l’humanité sur la planète. Notons qu’un taux de croissance du PIB de seulement 0,1 % constitue déjà une croissance qui entraîne un doublement d’une période à une autre.

En fait Vincent Giret introduisait ainsi une recension du livre de Patrick Artus et Marie-Paule Virard**. Ceux-ci mènent l’enquête sur les limites de la croissance : baisse de la productivité, vieillissement démographique, inefficacité croissante des systèmes d’éducation, coût de la lutte contre le réchauffement climatique, exigence du désendettement public et privé… Aucune des limites analysées par le rapport au Club de Rome ne sont envisagées si ce n’est par le mécanisme suivant : « L’exemple de l’industrie pétrolière est édifiant : il faut investir sans cesse plus de milliards pour espérer extraire la moindre goutte de pétrole brut des profondeurs. » Les économistes feraient mieux de s’interroger sur les limites biophysiques de la planète avant de s’intéresser aux phénomènes sociaux comme le vieillissement ou l’éducation.

La France n’est donc pas au « seuil d’un nouveau modèle de développement » comme espéré par Artus/Virard, mais au bord de l’effondrement. L’ensemble du système techno-industriel qui a voulu recouvrir la planète de son idéologie et de ses infrastructures ne pourra pas résister à la disparition des énergies fossiles. C’est ce que prévoyait déjà le rapport au Club de Rome : « Adopter un comportement de croissance, c’est finalement courir au déclin incontrôlé de la population et des investissements par voie de catastrophes successives. Cette récession pourrait atteindre des proportions telles que le seuil de tolérance des écosystèmes soit franchi d’une manière irréversible. Il resterait alors bien peu de choses sur terre permettant un nouveau départ sous quelque forme envisageable que ce soit. ». Quand la Biosphère ne pourra plus assurer notre subsistance parce que nous l’aurons irrémédiablement dégradée, la Nature haussera simplement les épaules en concluant que laisser des singes diriger un laboratoire était amusant un instant, mais que, en fin de compte, c’était une mauvaise idée.
* LE MONDE économie&entreprise du 6 février 2015, Le mystère de la croissance disparue
** Croissance zéro. Comment éviter le chaos ?, de Patrick Artus, Marie-Paule Virard. Fayard, 184 pages, 16 €.

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Bruxelles reste sous l’influence des croissancistes

Juncker et Timmermans préfèrent relancer l’emploi par la croissance et l’investissement. Ils abandonnent deux textes clés sur la qualité de l’air et l’économie circulaire. L’écologie est devenue le parent pauvre du programme de travail pour 2015 de la Commission européenne*.  Priorité à la libre entreprise de continuer à polluer et de se désintéresser du recyclage de leur merde. L’augmentation des décès prématurés et la raréfaction des ressources naturelles sont tenus pour quantités négligeables, place à l’économie pure et dure. Le patronat européen avait fait un intense lobbying auprès de Bruxelles pour demander l’abandon du paquet air et la réécriture du projet de directive sur l’économie circulaire d’un « point de vue économique et non purement environnemental ». Dans le même temps, Bruxelles a décidé de favoriser la pêche alors que 40 % des stocks de poissons sont surexploités**. « La Commission nous promet de nouveaux textes plus ambitieux, mais pourquoi abandonner le travail sur ceux qui sont sur la table ? », a interpellé Philippe Lamberts, coleader du groupe Verts au Parlement.

Lisez Cradle to cradle qui nous indique que la seule solution durable pour l’économie et l’emploi est le recylcage intégral. Les auteurs espèrent qu’un jour ce livre, comme tout ce que l’humain peut produire, pourra littéralement être mangé ou tout au moins digéré sous forme d’humus, éliminant ainsi jusqu’à la notion même de déchets. C2C, Cradle to cradle, « du-berceau-au-berceau » est le cycle vertueux qui s’oppose au fonctionnement « Cradle to Grave », du-berceau-au-tombeau : collecte de matières dans l’environnement, transformation, fin programmée sous forme de déchets jetés ou brûlés et donc perdus à jamais pour l’activité humaine.

Une industrie doit pouvoir (sur)vivre de ses déchets et les pêcheurs ne peuvent continuer à pêcher que si les stocks de poisson se reconstituent naturellement. Cela semble une évidence incontournable. Pourtant l’existence de la biosphère est ignorée tant par les entreprises que par Bruxelles ! En dernier ressort une chose est sûre, la nature ne négocie pas. Quand les humains dépassent les limites, les forces de la nature nous amènent assurément des catastrophes à un moment ou un autre.

* LE MONDE du 18 décembre 2014, Bruxelles recule sur l’environnement

** LE MONDE du 18 décembre 2014, Modeste diminution des quotas de pêche européens

 

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2015 concrétisera une science-fiction en faillite

Je lisais des bouquins de science-ficton quand j’étais adolescent. Cela m’a apporté un regard plus ouvert sur l’avenir, une pensée non obnubillée par mon environnement immédiat. Je rêvais, c’était au début des années 1960, d’aller sur une autre planète pour refaire une société meilleure et plus conviviale. La mienne me paraissait définitivement rétrograde, engoncée dans son économisme, ses fausses certitudes et ses petites querelles. Je me suis aperçu en 1972 avec le rapport au Club de Rome sur les limites de la croissance qu’en fait la société humaine ne pouvait qu’aller au désastre si elle continuait sur son aire : surpopulation, épuisement des ressources fossiles, pollution généralisée, changement climatique, etc. Aller sur une autre planète n’était qu’un rêve, il nous fallait affronter les difficultés dans la réalité. Mais aujourd’hui dans la sphère des décideurs économiques ou politiques, personne ne prend réellement en compte la profondeur durable de nos problèmes. Dans l’espace médiatique, au service du monde tel qu’il va, il en est de même sauf quelques rares voix comme celle de Stéphane Foucart.

Ainsi sa dernière chronique* sur « les vérités de l’imaginaire » montre que la science-fiction des uns est devenue l’actualité des autres. « S’il ne fallait retenir qu’une seule photo** de l’année qui s’achève, ce pourrait être ce paysage d’inondation et de catastrophe dans cette région du Bangladesh d’où émerge des hommes dépenaillés et hirsutes. Le texte au-dessous raconte des histoires à vous crever le cœur, celles des hommes et des femmes qui chaque année doivent quitter leurs terres, peu à peu rendues stériles par l’irrépressible avancée de la mer. Cette image dit quelque chose de notre incrédulité face aux conséquences de nos propres actions : l’histoire qu’elle raconte nous semble si lointaine et si irréelle qu’elle pourrait tout aussi bien former l’arrière-plan d’une œuvre de science-fiction. »

Stéphane ne dit pas la nécessaire conclusion de son texte : le progrès des uns se fait toujours au détriment des autres sur une planète close et saturée d’humains. Il y a ceux qui profitent du « progrès technique » imposé par IBM, Microsoft ou Google et ceux qui voient leurs « jours comptés sur une terre qui disparaît », noyée par les effets du réchauffement climatique. La science-fiction de son côté est surtout centrée sur la technique et la force, presque jamais sur le partage et la convivialité. La science n’a plus besoin de fiction ; pas besoin d’imagination pour s’apercevoir de l’inimaginable sur cette terre… il y a tant d’atrocités liées assez directement au pillage de cette planète par l’espèce humaine. Une science au service de cette prédation n’est plus une science. La science-fiction ne peut aider au changement qu’il faudrait, nous devons affronter nos réalités présentes, l’anthropocène et nos propres démons. Agissons ensemble ou chacun de notre côté du moment que c’est pour porter une conviction écologique. Merci de m’avoir lu, les commentaires sont ouverts.

Michel Sourrouille

* LE MONDE du 30 décembre 2014, Environnement : les vérités de l’imaginaire

** image signée Kadir von Lohuize dans l’édition internationale du New York Times

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Paradoxes du monde fini… selon Dominique Bourg

LE MONDE publie un quatre pages sur Vivre ensemble : « Les Français sont inquiets… » Mais on y parle uniquement des relations inter-humaines ; un seul petit article de Dominique Bourg* aborde les relations (inquiétantes) de l’espèce humaine avec la nature. En voici un résumé :

« La finitude du cosmos antique ne souffrait aucune transgression. Rien ne nous empêche, en revanche, d’accumuler dans l’atmosphère des gaz à effet de serre. Le changement climatique signifie 1 800 ans d’effets directs très forts, 5 000 ans d’effets forts, puis un decrescendo sur des millénaires, avec des effets indirects, en termes de biodiversité, sur un temps beaucoup plus long encore. Tel est le premier paradoxe : la finitude du monde échappe à nos sens, ne nous avertit en rien, puis s’abat sur nous irrémédiablement.

Le second paradoxe est celui des ressources. Elles demeurent abondantes, alors que nos réserves s’épuisent. La clé est l’EROI (Energy Return on Investment), TRE en français (taux de retour énergétique). Or, ce dernier ne cesse de chuter. Il suffisait autrefois d’investir un baril de pétrole pour en obtenir cent. Avec les sables bitumineux du Canada, en investissant un baril, on retire entre quatre et à peine plus d’un baril. Et si l’on ajoute à l’énergie nécessaire à l’extraction celle nécessaire à conduire le baril sur son lieu de consommation, en moyenne, l’énergie investie triple. Il en va de même pour les métaux. La clé est le coût énergétique de leur extraction. Lequel ne cesse de croître. Des ressources abondantes peuvent cacher des réserves limitées.

Parier sur l’abondance des ressources et la croissance, sur une planète insidieusement finie, alors même que la décrue démographique n’aura pas même lieu durant le siècle, est aussi inepte que dangereux. »

* LE MONDE du 2 décembre 2014, Paradoxes du monde fini

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Pascal Bruckner, négateur du changement civilisationnel

Sivens, nouvelle ère écologique ? LE MONDE ouvre le débat. D’un côté il y a tous ceux qui estiment que Rémi Fraisse est victime d’une guerre de civilisation (Edgar Morin), qu’il ne faut pas amalgamer les casseurs et les écologistes (Hubert Reeves), que la planète n’est pas qu’un vulgaire gisement de ressources (Pierre Rabhi), que les projets inutiles cristallisent les luttes post-croissance (Luc Semal)… De l’autre côté il y a, isolé, celui qui n’a toujours rien compris, Pascal Bruckner, pour qui « La tyrannie des idéologues verts s’oppose à la légitimité démocratique ». Pascal Bruckner, une incompétence notoire qui souffre de dissonance cognitive.  Mais laissons la parole aux commentateurs de son pensum sur le monde.fr :

jicehef13 : Lamentable. Mais pas surprenant venant de celui qui a commis « Le Fanatisme de l’apocalypse« .

Christophe Bureau : Ce qui est imbécile chez Pascal Bruckner c’est l’amalgame entre les combats qui ont une véritable légitimité écologique et les autres. Cela témoigne de l’inculture scientifique totale de l’auteur. Un exemple, la totalité des indicateurs montre que l’érosion de la biodiversité s’est accélérée que l’on est à un stade dramatique d’irréversibilité. Sur ce plan il est urgent de prendre des décisions radicales. Assimiler cela à du fanatisme montre que ce monsieur n’a pas lu un seul rapport de l’EEA ni du MNHN.

Gaffophone : Sivens, c’est un dossier entaché de conflits d’intérêts, multiples casquettes des élus à la fois commanditaires et financeurs, contournements de la loi, aucun appel d’offres, une même société d’économie mixte qui fait l’étude et réalise le barrage, non respect de l’arrêté préfectoral d’autorisation du projet dans la surface de zone humide à conserver lors des travaux… décidément Pascal Bruckner a une conception très particulière de la légitimité et de la démocratie…

Dario Ciprut : Bruckner et son ami ou ex-ami Finkielkraut, c’est toujours la même antienne. La démocratie parlementaire à délégation périodique, la dictature soft de l’économie pour les favorisés de l’emploi et de la retraite, hard pour tout le reste, le règne impavide des lobbies marchands sur l’opinion, est le nec plus ultra de la démocratie et rend toute critique extérieure caduque et complice des djihadistes. Affligeant.

Louis A : Bruckner vient d’inventer le droit à massacrer l’écosystème. Une drôle de conception de la démocratie. Ce qui colle bien à son image de libertarien. Rien, ni même la liberté des autres à vivre dans un environnement plus sain, ne doit entraver sa liberté à faire tout et n’importe quoi. Et avec un culot monstre quand il affirme que l’écologie avance sans preuve. Il y a des baffes avec les rapports du GIEC qui se perdent. Toujours « marrant » quand un petit bourgeois parisien se pose en défenseur des « redneck » franchouillards. C’est 400 millions d’oiseaux qui ont disparu en 30 ans sur le continent européen ? Encore un complot des Khmers verts sans doute.

M@m : Bruckner qui se préoccupe des paysans maintenant ? On aura tout lu ! Depuis « Paria » il s’est surtout distingué par des prises de positions réactionnaires et libertaires (riennes?) en matière de sexualité, de colonialisme, etc. Dommage, lorsqu’il ne se mêle ni de philosophie ni de politique, il peut être intéressant. Cette prise de position est affligeante !

Daniel Heguy : Je l’ai écouté l’autre soir sur FR3 dans l’émission de Frédéric Taddéi, beaucoup d’approximations et de contre-vérités. Heureusement il y avait en face Corinne Lepage et Christian de Perthuis, personnes plus qualifiées pour parler environnement qu’un écrivain obscur, en mal de publicité. Il me fait penser à Claude Allègre, l’ancien ministre. Sa position est une posture.

Damien : Peut-être aurait-on fait l’économie des scandales de l’amiante et du tabac si on écoutait de temps à autre ces quelques « zozos » stigmatisés par M. Bruckner. L’Histoire a montré à maintes reprises quels désastres « les milieux autorisés » savent réserver aux petites gens. Mais sans doute devons-nous accepter sans réagir d’être gouvernés par les vrais réactionnaires de l’acabit de M. Bruckner et de ses amis.

Christian Cépété de Far : Pascal Bruckner ne connaît pas la France profonde où les élus ne sont que les défenseurs de leurs intérêts. Il ne connaît pas cette France profonde qui tue impunément les espèces protégés, où seuls les « riches » qui peuvent payer les frais de justice arrivent à faire reconnaître leurs droits. Cette France où les petits mafieux locaux bafouent les codes (civil, rural, travail) et limitent leur sens de la communauté à l’arbre de noël des enfants et au repas des vieux.

Rogerthornill : Hallucinant! Certes Bruckner est un penseur de supermarché mais là on assiste à un véritable naufrage intellectuel. Sous prétexte de dénoncer des dérives extrémistes, son discours consiste à légitimer sans condition toute la modernité dans sa dimension industrielle, y compris la plus destructrice, sous prétexte que c’est la marche du progrès. Ce pseudo-modernisme s’apparente à un véritable nihilisme…

Alain Bourgoin : Il est toujours affligeant de voir un dit « philosophe » se ranger du côté du manche.

* LE MONDE du 5 novembre 2014, La tyrannie des idéologues verts s’oppose à la légitimité démocratique

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Le prix de la vie, plafonné à 35 000 euros pour la santé

Après avoir abaissé deux fois le plafond du quotient familial en 2013, le gouvernement taille une nouvelle fois dans les prestations familiales : division par trois de la prime à la naissance à partir du deuxième enfant, décalage dans le temps de la majoration d’allocation perçue quand les enfants grandissent, durée du congé parental qui devrait diminuer de moitié. La motivation est budgétaire, réaliser 700 millions d’euros d’économies*. Mais l’objectif est ridiculement faible alors que le déficit de la Sécurité sociale tourne autour de 15 milliards. Selon LE MONDE**, « La gauche est en train d’échouer complètement à rétablir les comptes de la Sécu… La gauche n’a jusqu’ici jamais tenu ses objectifs… ». En l’absence d’une croissance qui ne reviendra plus, le seul moyen de rétablir les comptes, c’est de diminuer drastiquement les dépenses. Comment ?

                C’est l’éditorial du MONDE*** qui nous ouvre la réflexion de fond. Il prend l’exemple du Sovaldi, un nouveau médicament contre l’hépatite C. Qui peut s’offrir cette molécule, soit 56 000 euros pour trois mois de traitement ? Avec 200 000 contaminés en France et 5000 nouveau cas chaque année, le coût de l’hépatite C devient exorbitant pour les caisses de la Sécurité sociale. la conclusion du MONDE est claire : « On attend une vraie réflexion sur le prix que l’on est prêt à dépenser pour sauver une vie. » Voici quelques éléments de réflexion.

Pour un philosophe anthropocentré, la première pensée serait de donner un prix infini à la vie humaine, un prix au sens propre « immense », hors mesure. Cet horizon sans limite donne de la vie de chacun un prix exorbitant. Pour wikipedia, la valeur d’une vie statistique(ou valeur d’une fatalité évitée) est le consentement à payer d’un individu pour une réduction marginale de son risque de mortalité. Cela ne nous avance pas beaucoup. Pour un économiste, l’idée courante est d’attribuer à un homme la valeur actualisée de la production qu’il aurait pu produire s’il n’était pas mort. Le prix de la vie humaine dépend donc de l’âge, du niveau de PIB du pays d’appartenance et de la qualification. Par exemple, les services de transplantation pourraient réserver les reins disponibles pour des jeunes ou des adultes, au détriment des personnes trop âgées. Un américain moyen vaut énormément plus qu’un Indien mort dans la catastrophe de Bhopal. Un dirigeant d’entreprise vaut beaucoup plus qu’un manutentionnaire. Il n’empêche qu’un pays dont les dépenses budgétaires dérapent doivent prendre des décisions. L’Institut national de la santé britannique estime le prix de la vie à 35 000 euros****, correspondant au prix d’un traitement permettant de gagner une année de vie supplémentaire. Au-dessous, l’organisme autorise, au-dessus, cela se négocie.

* LE MONDE du 1er octobre 2014, Politique familiale : la coupe de trop ?

** LE MONDE du 1er octobre 2014, Coup d’arrêt à la réduction des déficits de la Sécurité sociale

*** LE MONDE du 1er octobre 2014, La vie n’a pas de prix, mais qui va payer ?

**** LE MONDE du 7 janvier 2014, Du prix de la santé au prix de la vie

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Impossible mais vrai, l’homme dévore 1,5 Terre par an

« L’homme dévore 1,5 Terre par an », tel est le titre d’un article du MONDE. Cet état de « dépassement global » signifie, par exemple, que le rythme auquel nous exploitons les forêts, pompons l’eau douce et rejetons du CO2 dépasse celui auquel les arbres repoussent, les aquifères se reconstituent et la nature séquestre nos émissions. La Terre a perdu la moitié de ses populations d’espèces sauvages en 40 ans, les stocks de ressources se sont appauvris et les déchets s’accumulent. Telles sont les conclusions alarmantes du Fonds pour la nature (WWF) dans son dixième rapport Planète Vivante. La conclusion de l’article est encore plus déprimante : « Cette tendance devrait aller en s’aggravant avec l’augmentation de la population, qui a déjà doublé depuis 1950, pour atteindre 7 milliards en 2011, et devrait encore croître à 9,3 milliards en 2050 ». Mais la journaliste Audrey Garric tient pour acquis qu’il n’y a rien à faire, il suffit de constater ! Il est vrai que sa première phrase, « La planète est malade, et sa guérison semble de plus en plus incertaine » occultait par avance le fait que c’est l’espèce humaine dans son ensemble qui va être malade dans les années qui viennent sur une planète qui deviendra un désert vide de biodiversité et riche en gaz carbonique.

Le communiqué de presse WWF était un peu plus incisif : « Face au grave déclin de la biodiversité planétaire, des solutions restent à notre portée. » Ken Norris, Directeur scientifique à la Zoological Society of London, est cité : « L’ampleur de la perte de biodiversité et les dégâts subis par des écosystèmes tout simplement essentiels à notre existence sont alarmants… Ces dégâts ne sont pas inévitables, car ils sont une conséquence du mode de vie que nous choisissons. La protection de la nature passe par une action de conservation ciblée, par la volonté politique et par le soutien de l’industrie. » Mathis Wackernagel, dont l’ONG calcule l’empreinte écologique, prévient : « Près des trois quarts de la population mondiale vit dans des pays présentant à la fois des déficits écologiques et de faibles revenus. Les contraintes de ressources font que nous devons avant tout chercher comment améliorer le bien-être humain autrement que par la simple croissance. » Le premier politique qui invoque encore la divine croissance, je sors mon revolver !

La conclusion d’un accord mondial ouvrant la voie à une économie faiblement carbonée semble la voie royale pour le WWF, la consommation de combustibles fossiles étant aujourd’hui le facteur dominant de l’Empreinte écologique. Mais il ne faut rien attendre des politiques ; ils défendent les intérêts de leur propre nation et attendent des autres qu’ils fassent des efforts à leur place. ce sont les médias, et le MONDE en tant que journal de référence, qui devraient être à la pointe du combat écologique. N’oublions pas que nous sommes tous concernés, simple lecteur du MONDE ou citoyen analphabète : où que nous vivions sur le globe, nous avons tous besoin de nourriture, d’eau douce et d’air pur. Il n’est pas normal que la première page du MONDE ne mette pas en évidence cette absurdité du monde contemporain :  l’homme dévore 1,5 Terre par an et ce n’est absolument pas possible de continuer ainsi.

* LE MONDE du 1er octobre 2014, L’homme dévore 1,5 Terre par an

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Le jour du dépassement, 19 août 2014 : tous aux abris !

Nous relayons cette information* que tout le monde devrait connaître : pour 2014,  le « jour du dépassement » a eu lieu le mardi 19 août. En effet l’empreinte écologique de l’humanité dépasse à cette date la « biocapacité » de la planète, c’est-à-dire sa capacité à reconstituer ses ressources et absorber les déchets, y compris le CO2. Jusqu’à la fin de l’année, l’humanité va vivre «  à crédit » en détériorant le capital naturel qui nous était offert gratuitement par la biosphère. Encore excédentaire en 1961 avec un quart des ses réserves non consommées, la Terre est devenue déficitaire au début des années 1970. Le « jour du dépassement » est de plus en plus précoce ; au milieu des années 1990, il tombait en novembre. En 2000, c’était le 1er octobre. Aujourd’hui, selon les calculs de Global Footprint Network, les besoins de l’humanité dépassent de 50 % les réserves de ressources renouvelables disponibles. Dorénavant 86 % de la population mondiale vit dans des pays qui demandent plus à la nature que ce que leur écosystème peut renouveler. Par exemple en Chine, la production en ressources naturelles du pays nécessiterait d’être deux fois plus importante pour satisfaire la demande des Chinois. Le Japon aurait besoin de 7 fois plus de ressources  pour satisfaire sa consommation actuelle.

Aujourd’hui, 86% de la population mondiale vit dans des pays qui demandent plus à la nature que ce que leur écosystème peut renouveler. L’empreinte écologique des habitants des pays développés est cinq fois supérieure à celle des pays pauvres. La palme du déficit écologique revient aux Emirats Arables Unis : les réserves de ce pays devraient être 12,3 fois plus élevées. Ayant la « chance » d’avoir une nature assez généreuse, la France, quant à elle,  aurait besoin de ressources naturelles 1,6 fois plus importantes.

Selon Diane Simiu de WWF, « des solutions existent : passer massivement aux énergies renouvelables, repenser l’urbanisation, la mobilité,  la fiscalité, recycler davantage…. Mais il faut agir dès maintenant. En tant que consommateur, on peut aussi manger moins de viande… »

En fait il faudrait remettre en question tout le mode de vie de la classe globale, celle qui se permet de posséder entre autres une voiture individuelle. Les inégalités vont donc avoir tendance à s’accentuer toujours plus, les riches voudront continuer à abuser de la planète au détriment des pauvres. Un socialiste digne de ce nom devrait connaître le « jour du dépassement et agir en conséquence. Mais François Hollande en France pense toujours en terme de « croissance économique » : on veut accélérer pour arriver encore plus vite dans le mur !

* lemonde.fr du 19 août 2014, Ressources naturelles : l’humanité vit « à crédit » pour le reste de l’année

NB : nos articles antérieurs, avec dates faussées car il y a eu une variation du mode de calcul par l’ONG Global Footprint Network. Les concepteurs de l’empreinte écologique estiment que le jour du dépassement intervient depuis 2001 en moyenne chaque année trois jours plus tôt que l’année précédente.

Aujourd’hui 22 août 2012, le jour du dépassement

le jour du dépassement, 27 septembre 2011

le jour du dépassement, 21 août 2010

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« Développement durable », une expression sans avenir

 Serge Latouche (décoloniser l’imaginaire aux éditons Parangon)

Le problème avec le développement durable n’est pas tant avec le mot durable qui est plutôt joli que dans le mot développement qui, lui, est carrément toxique ! En effet le « durable » signifie que l’activité humaine ne doit pas créer un niveau de pollution supérieur à la capacité de régénération de l’environnement. De fait les caractères durables ou soutenables renvoient non au développement réellement existent mais à la reproduction. La reproduction durable a régné sur la planète en gros jusqu’au XVIIIe siècle. Les artisans et les paysans qui ont conservé une large part de l’héritage des manières ancestrales de faire et de penser vivent le plus souvent en harmonie avec leur environnement ; ce ne sont pas des prédateurs de la nature. Or c’est précisément cela que l’économie moderne a détruit. La signification historique et pratique du développement, liée au programme de la modernité, est fondamentalement contraire à la durabilité. Il s’agit d’exploiter, de mettre en valeur, de tirer profit des ressources naturelles et humaines. Il est clair que c’est le développement réellement existant, celui qui domine la planète depuis deux siècles, qui engendre les problèmes sociaux et environnementaux actuels : exclusion, surpopulation, pauvreté, pollutions diverses, etc. En accolant l’adjectif durable au concept de développement, il est non moins clair qu’il ne s’agit pas vraiment de remettre en question le développement (…)

La colonisation de l’imaginaire par le développementisme est telle qu’il faut absolument affirmer la rupture de façon radicale, et donc l’afficher aussi au niveau du vocabulaire. Les mots toxiques sont des obstacles pour faire avancer les choses.

Yvette Veyret (éduquer à l’environnement, vers un développement durable, actes de la DESCO)

La notion de développement durable m’inspire un scepticisme relatif. On ne peut dire que le développement durable soit un champ de recherche pour la science, car il ne comprend pas d’indicateurs scientifiques. Il se révèle en perpétuelle construction et est davantage politique que scientifique. Dès la fin des années 1980, peu après la popularisation du terme, il en existait déjà 40 définitions, qui correspondaient à différents types de position, en fonction de l’importance plus ou moins grande accordée au libéralisme (…)

Dans les pays en voie de développement se pose la question du choix d’un modèle économique. Faut-il transposer notre modèle de développement ? Peut-on concevoir que 1,3 milliards de Chinois possèdent tous une voiture ?

Le développement durable, les termes du débat (Compact civis, chez Armand Colin, février 2005)

– Corinne Gendron (professeure à l’université à Montréal) : l’ambiguïté des implications concrètes du développement durable n’est certainement pas étrangère à l’adhésion qu’il suscite auprès d’un large spectre d’acteurs sociaux. La principale contradiction concerne le traitement de la croissance économique. Certains auteurs dissocient la croissance du développement au point ou la croissance est perçue comme antinomique au développement. D’autres interprètent le développement durable comme une croissance où serait internalisés les coûts sociaux et environnementaliste. Une troisième confond simplement le développement et la croissance dans une perspective qui s’approche de l’école macroéconomique néoclassique. L’irruption de la dimension écologique des conditions de vie vient dissocier le développement économique d’un bien-être défini en terme social alors que les deux sont étroitement confondus dans le paradigme industriel.

– Dominique Bourg (philosophe, professeur à l’université de Troyes) : la décroissance générale interdirait la réduction de la pauvreté et n’est guère compatible avec nos systèmes démocratiques. Il convient, en revanche, de disjoindre le dynamisme de nos sociétés de la croissance des flux de matières et d’énergie qui l’a toujours sous-tendu. C’est la croissance de ces flux qui met en péril la viabilité pour l’espèce humaine, notamment la biosphère. Il convient encore d’ajouter à la nécessaire décroissance des flux de matières et d’énergie, la décroissance, non moins impérieuse à plus long terme, des effectifs démographiques planétaires.

Dictionnaire du développement durable (AFNOR, mars 2004)

– Développement durable : Jusqu’à la fin des années 1950, les auteurs ont eu tendance à assimiler « accroissement du revenu par tête » et « développement. Significatif à cet égard est l’intitulé des ouvrages de l’époque. Il fait référence à la seule croissance économique comme le livre de Lewis (Theory of Economic Growth, 1955) ou celui de Rostow (The Stages of Economic Growth, 1958). Selon cette approche, les économies sous-développées ne se distinguent des économies développées que par leur incapacité à produire un revenu suffisant.

– Décroissance soutenable : concept selon lequel la décroissance devrai être organisée non seulement pour préserver l’environnement, mais aussi pour restaurer une certaine justice sociale au niveau international. Survie sociale et survie biologique seraient étroitement liées. Les limites du « capital nature » ne posent pas seulement un problème d’équité intergénérationnelle, mais aussi d’équité entre les humains contemporains. Cette doctrine conteste la possibilité d’une croissance économique durable et s’inspire des travaux de Nicholas Georgescu-Roegen dont le livre majeur (The Entropy Law and The Economic Process, 1971) fait un rapprochement entre les lois de l’entropie et les sciences économiques afin de souligner le manque de prise en compte, par les théories économiques, des aspects biogéophysiques des activités humaines.

 

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Vers une économie biophysique, de gré ou de force

L’humanité devient une force géologique dont l’impact rivalise avec les forces telluriques. Les activités humaines modifient en effet de façon terrifiante les cycles de la nature. Les années 1950 se caractérisent par une accélération de l’érosion, un bouleversement total du cycle du carbone et de la température, des extinctions désastreuses d’espèces animales et végétales ainsi que l’emballement de l’artificialisation des sols. Face à cela, la majorité des économistes soutiennent encore un modèle orthodoxe (néolibéral) qui reste productiviste ; on vit dans l’illusion d’une croissance économique qui reviendra une fois la crise passée. Le modèle «augustinien» est plus réaliste : tout système se comporte comme n’importe quel individu : il naît, il grandit et il meurt. Tout accroissement aboutit à une période de dépérissement. Mais il est fort possible qu’un autre avenir, beaucoup moins prévisible, s’ouvre devant nous : le modèle « discontinuiste ». Une perturbation même mineure peut entrainer des changements considérables dont l’ampleur est impossible à anticiper.

L’économie biophysique (ou écologiste) se situe dans cette perspective puisqu’il est fort probable que nous avons dépassé certaines possibilités de résilience des écosystèmes. L’approche biophysique se base sur les flux fondamentaux d’énergie et de ressources plutôt que sur les paramètres monétaires. On note que l’économie actuelle va être confrontée à la diminution des ressources énergétiques et métalliques alors même que la demande mondiale s’accélère, principalement avec l’irruption sur le marché mondial des pays émergents comme la Chine. Les technologies « vertes », beaucoup trop complexes et consommatrices de terres rares, ne constituent pas une solution durable. Il faut donc faire plus simple, plus réparable, raccourcir le détour de production (utiliser moins de capital fixe), prolonger l’usage des biens de consommation (faire plus solide, plus recyclable…), consommer moins… et glorifier les métiers manuels tout en abandonnant les emplois parasitaires.

Le changement vertigineux qui nous attend exige des industriels un renoncement au profit à court terme et de la gent politique une vision non croissanciste… c’est pas gagné ! D’autant plus que tous, en proportion de son niveau de vie, devra faire des renoncements en pratiquant la simplicité volontaire, la sobriété énergétique et l’humilité vis-à-vis des forces déclinantes de la nature. Plus nous attendrons, plus la rupture sera brutale… et douloureuse !

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Bac SES 2014, thuriféraire de la croissance libérale !

Les sujets du bac ES (économique et social) illustrent la compromission absolue du système enseignant avec le libéralisme croissanciste. Le sujet de dissertation pose d’emblée que la croissance économique est inéluctable, seul importe ses modalités : « Les facteurs travail et capital sont-ils les seules sources de la croissance économique ? » De son côté l’épreuve composée veut conforter à la fois la flexibilité libérale et le libre-échange : « 1. Comment la flexibilité du marché du travail peut-elle réduire le chômage ? 2. À quels risques économiques peuvent s’exposer les pays qui mènent une politique protectionniste ? » Nous ne développerons notre argumentation que sur le sujet de dissertation, laissant au Nouvel Obs sa critique perspicace de l’épreuve composée.

       Nous devrions savoir en 2014 que les facteurs travail et capital s’accompagnent forcément du facteur ressources naturelles : la croissance a besoin de la nature puisqu’elle se nourrit de ses produits et y dépose ses déchets. Que nenni. Ce sujet de bac porte seulement sur le modèle théorique de Solow : la croissance économique provient du travail (L), du capital (K) et… du reste qu’on appelle en jargon économique le « résidu ». Ce « résidu » serait expliqué par la « productivité générale des facteurs ». Les 4 documents rattachés au sujet confirment le choix de cette conception dénué de tout sens des réalités physiques : le doc.1 donne des statistiques sur la croissance, la productivité globale des facteurs de production et les TIC (Technologies de l’information et de la communication. Le doc.2 relate les dépenses intérieures de recherche développement en % du PIB. Le doc.3 retrace l’évolution de la productivité globale des facteurs en France de 1978 à 2010. Et, cerise sur le gâteau de l’économie vendue au capitalisme, le doc.4 indique clairement que « Toute invention peut faire l’objet d’un titre de propriété industrielle délivré par le directeur de l’Institut national de la propriété industrielle qui confère un droit exclusif d’exploitation. » Vive donc la croissance et le capitalisme libéral ! Notons que ce « résidu » pourrait constituer 40 à 60 % de l’explication de la croissance économique et que Robert Solow pouvait aussi anéantir certaines illusions : « Vous pouvez voir l’informatique partout, sauf dans les statistiques de la productivité. »

        Voici quelques éléments de corrigé de ce sujet de dissertation. L’élève devrait montrer en introduction qu’un tel sujet relève du passé, les temps présents tendent à la croissance zéro dans les pays développés et à la surchauffe dans les pays émergents. Ce sujet témoigne aussi d’une croyance quasi-religieuse, imaginer que la perpétuation de la croissance dans un monde fini est possible. Mais comme il faut bien traiter le sujet comme il est posé, allons-y. Dans la première partie, le futur bachelier brode sur l’équation théorique de Solow en utilisant tous les documents rattachés au sujet. Mais dans une deuxième partie le bachelier éclairé indique que travail, capital et productivité ne sont pas les seules sources de la croissance. Ces facteurs classique sont surdéterminés par la capacité de la biosphère à fournir denrées alimentaires et autres substrats matériels des biens et services aux travailleurs. De même le capital technique nécessite un apport extérieur en énergie et matières premières. Or les calculs de l’empreinte écologique montrent que nous avons déjà dépassé de 40 % les capacités de la planète à soutenir l’activité humaine. En d’autres termes, nous puisons dans le capital naturel au détriment des générations futures. Il est aussi judicieux d’indiquer que le niveau de vie des Français nécessiterait 3 planètes s’il devait être généralisé, ce qui montre que notre croissance n’est ni juste ni équitable.

En conclusion, nous reprendrions l’ensemble des sujets de ce bac SES de 2014 en montrant que les intitulés ne correspondent pas à ce qu’on attendait à l’origine de ce nouveau bac créé à la fin des années 1960 : apprendre à réfléchir !

Professeur de SES, j’ai honte de voir ce qu’on a fait de la matière SES, un thuriféraire de la croissance qui a abandonné la nécessité de peser dialectiquement le pour et le contre de nos croyances économiques. Disserter encore de croissance libérale en 2014 est une aberration. Rappelons ce texte d’un nouveau manuel de terminale pour la rentrée 2007 : «  Pour éviter  une catastrophe sans précédent pour l’humanité, il n’y a pas d’autres  choix que la décroissance dans les pays qui dépassent les seuils tolérables de ponction sur l’environnement. Le terme de décroissance a un sens principalement symbolique, politique : c’est une rupture avec la religion de la croissance. » (J.Gadrey, l’impact de la croissance sur l’environnement, Alternatives économiques n° 242 décembre 2005).

Michel Sourrouille

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