CLIMAT, faut-il saboter les pipelines ?

Comment lutter sur une planète qui brûle ? Contre le réchauffement climatique, nous bloquons, nous nous enchaînons aux grilles, nous nous collons au bitume, nous manifestons à nouveau le lendemain. Nous sommes toujours parfaitement, impeccablement pacifiques. Nous sommes plus nombreux, toujours plus nombreux. Et pourtant, les affaires continuent tout à fait comme avant – business as usual. « À quel moment nous déciderons-nous à passer au stade supérieur ? Comment cesser d’être à ce point inoffensif ? », s’interroge Andreas Malm*. A son avis le mouvement pour le climat devrait s’attaquer directement aux biens de consommation les plus néfastes en termes d’émissions. Il rêve d’actions nocturnes pour dégonfler les pneus des SUV en ville. Il veut forcer le mouvement écologiste à se poser des questions plus radicales : « Le problème, bien sûr, c’est que faire sauter un pipeline dans un monde à six degrés de plus, ce serait agir un peu tard. Doit-on attendre un assentiment quasi général ? Celui de la majorité ? D’une importante minorité ? »

Confrontant l’histoire des luttes à l’immense défi du réchauffement climatique, Andreas Malm interroge un précepte tenace du mouvement pour le climat : la non-violence et le respect de la propriété privée. La violence comporte des périls, mais le statu quo nous condamne. Il ravive une longue tradition de sabotage des infrastructures. Sur ce blog biosphere, nous préférons cette expression lumineuse, « contre-violence » au débat biaisé « violence ou non-violence ?». Il faut lutter contre la violence de la société thermo-industrielle en détruisant ses moyens, champs d’OGM, pipelines, panneaux publicitaires, voitures arrogantes, etc. Car endommager du matériel qui condamne notre avenir sur une planète surchauffée n’est qu’un acte d’autodéfense. Est-ce vraiment incompréhensible de lutter contre un système prédateur pour sauvegarder les générations futures tout en épargnant les personnes présentes  ? L’insurrection climatique devrait paraître une évidence pour les militants écologistes.

Il faut se rappeler les propos de Françoise d’Eaubonne au début des années 1970, le jour où elle fut scandalisée d’entendre un ami lui dire : « Le problème de la révolution passe au second plan devant l’urgence écologique. Le prochain acte réellement révolutionnaire sera l’attentat contre une centrale nucléaire en construction. Le Capital en est au stade du suicide, mais il tuera tout le monde avec lui ». Il lui aura fallu plus d’un an pour assimiler la profondeur de cette vérité. Au nom de la « contre-violence », Françoise d’Eaubonne participera à la lutte contre l’énergie nucléaire en commettant avec d’autres un attentat à l’explosif le 3 mai 1975 contre la centrale de Fessenheim, retardant de quelques mois son lancement. Elle a assumé cette position radicale jusqu’au bout puisque dans ses derniers tomes de mémoires elle écrit encore : « La contre-violence semble très indiquée comme retournement de l’arme de l’ennemi contre lui-même ; il va de soi que les attentats ne visent que des points de rupture précis du front ennemi, économisant au maximum les vies humaines, n’employant la prise d’otages qu’à bon escient et jamais avec n’importe qui, utilisant les moyens destructifs pour supprimer les coupables les plus évidents ou instruire le plus grand nombre possible d’abusés du sens de cette guérilla urbaine. »

Voici quelques exemples de ce débat sur lemonde.fr :

le sceptique : Déloger les « nombreuses personnes » de leur propriété privée et interdire leurs préférences? L’histoire du 20e siècle est claire avec les issues de ce raisonnement : fascisme, nazisme, communisme, intégrisme religieux et autres régimes où l’Etat prive les citoyens de leurs libertés.

François C.H. : Encore une fois de trop nombreuses personnes font passer leurs valeurs (respect absolu de la propriété privé) et leur désirs (on n’entravera pas ma liberté de consommer et vivre comme je l’entends) avant les réalités physiques du système Terre. Andreas Malm pose une question pourtant essentielle : puisque les COP sont des échecs, puisque les manifestations ne servent à rien, regardons comment eurent lieu les grandes avancées sociales et politiques de l’Histoire humaine. L’argument démocratique ne tient pas une seule seconde par ailleurs, le choix de la majorité n’a heureusement jamais été une raison éthique pour fermer sa gueule.

Novi : La réalité physique de la Terre, c’est un enfer pour l’homme. L’homme doit déployer un travail immense pour se nourrir, se vêtir pour se protéger du froid qui règne partout. Il a fallu s’asseoir sur le dos d’un cheval pendant des dizaines de milliers d’années pour enfin disposer ne serait ce que d’un vélo électrique. Imaginez la somme d’efforts que l’homme a du faire pour en arriver au vélo et au vélo électrique. Cette Terre est redoutable, il faut la dompter, la creuser, dominer son climat, dominer ses océans, vaincre son atmosphère et sa pesanteur. Et face à ça, des ahuris qui vivent pépère s’amusent à crever des tuyaux. Risible.

DMA : « On anticipe plus de souffrance à être pauvres qu’à avoir chaud ». Soyons optimistes, le changement climatique, est généreux, il nous donnera très probablement l’opportunité d’expérimenter les 2.

Pouch : Dans la même veine que le livre Comment saboter un pipeline, mais en roman débridé et jouissif, je recommande ‘Le Gang de la clef à molette‘ d’Edward Abbey

Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :

16 octobre 2019, Quelle critique faire à Extinction Rebellion ?

20 mars 2019, Un hymne à la violence des GJ dans LE MONDE

13 juillet 2018, Deep Green Resistance, ne nous trompons pas d’ennemi

12 juillet 2018, Faut-il casser des vitrines pour manger moins de viande ?

26 mai 2018, Nous serons des millions, pas une poignée de radicaux

21 mai 2018, NDDL, la violence symbolique de l’écologie politique

6 décembre 2012, Où sont les écoguerriers ? Partout et près de vous !

24 avril 2007, le code de l’écoguerrier

* Comment saboter un pipeline, de Andréas Malm. Traduit de l’anglais par Etienne Dobenesque, éd. La Fabrique, 216 pages, 14 euros.

4 réflexions sur “CLIMAT, faut-il saboter les pipelines ?”

  1. Andreas Malm : « Le mouvement pour le climat s’est largement appuyé sur des activistes de la classe moyenne, nous avons un pacifisme pieux. Je considère cela comme une forme de régression. Quand le monde est en feu, la réceptivité populaire à la destruction des biens qui causent l’incendie augmente. Imaginez si quelqu’un – un groupe organisant un sabotage ou une manifestation de masse – avait réagi à l’enfer des feux de forêt en Australie en attaquant une infrastructure liée au charbon.
    Nous sommes conduits aux désastres, Il faut neutraliser ce qui nous y conduit ou, un jour ou l’autre, nous finirons carbonisés. Si les États ne peuvent pas se résoudre à faire le nécessaire, il nous faut le faire pour eux…Total se vante d’être la quatrième plus grande compagnie de combustibles fossiles, à ce titre, elle doit être liquidée. »
    https://www.contretemps.eu/saboter-pipeline-entretien-malm/ (19 juin 2020)

    1. Andreas Malm avait aussi écrit  : « La priorité stratégique pour les années à venir devrait être celle-là : se focaliser sur les producteurs d’énergies fossiles, leurs infrastructures et leurs sources de financement. Les attaquer au portefeuille, faire en sorte qu’elles s’inquiètent pour leur argent, leur imposer des pertes économiques en détruisant et en sabotant. Aujourd’hui, le sabotage peut viser directement des sources d’émission de CO2 qui tuent des gens et détruisent cette planète. Ce genre de sabotage me semble tout à fait légitime, d’un point de vue moral. Je ne vois pas comment on peut défendre l’intégrité physique de machines qui, objectivement, sont en train de détruire la planète.
      En fait, le vrai paradoxe, la vraie question, c’est bien de savoir pourquoi cela ne s’est pas encore produit, à grande échelle. »

  2. @ François CH : « L’argument démocratique ne tient pas une seule seconde par ailleurs, le choix de la majorité n’a heureusement jamais été une raison éthique pour fermer sa gueule. »

    Bah oui ! La majorité choisira toujours en priorité les profits personnels immédiats. Et bien évidemment cette même majorité ne voudra jamais assumer ses responsabilités contre les dégâts qu’elles génèrent. A l’échelle de l’entreprise, c’est privatisation des profits et socialisation des pertes, mais concernant les pollutions et dégradations de l’environnement, c’est pareil, aussi bien les entreprises que les consommateurs, c’est privatisations des ressources et socialisation des pollutions et dégradations de l’environnement.

    1. Personne ne veut assumer les coûts de recyclage des ressources et restaurations de l’environnement proportionnellement à sa consommation alors ils refourguent l’addition à l’échelle de l’état, comme si un gouvernement n’était qu’un ectoplasme produisant les besoins financiers nécessaires pour réparer les dégâts environnementaux et puis les problèmes sont réglés ainsi d’un revers de main, sans avoir de responsabilité. Dans les Wc publics, c’est marqué « Priez de laisser les toilettes dans le même état que vous les avez eu en entrant, il devrait en être de même pour la planète… Pourtant, chacun devrait payer le recyclage des ressources et la restauration de l’environnement, suite aux dégâts générés, proportionnellement à sa consommation.

Les commentaires sont fermés.