De la génération 1968 à la génération climat

En mai 1968, la jeunesse se révoltait contre un passé minorant la place des jeunes. La majorité civile est passée de 21 ans à 18 ans seulement en juillet 1974. Un « enfant » n’avait pas accès au téléphone de la maison (quand il existait). Les parents rationnaient le passage devant une télévision où la couleur n’a commencé à se répandre qu’en octobre 1967. La jeunesse se révoltait contre la toute puissance du père, l’autorité parentale n’a été instituée qu’en juin 1970. Les mandarins régnaient sur l’université. La convention internationale des droits de l’enfant n’a été adoptée par les Nations unies qu’en 1989. En mai 2019, la jeunesse se révolte pour protéger son futur.

A la veille du scrutin européen du 26 mai, des jeunes étaient dans la rue avec leurs pancartes  : « Plus tard, je veux être vivant », « Je ferai mes devoirs quand vous ferez les vôtres ». « Nous sommes la première génération à subir les effets du ­changement climatique et la dernière à avoir une chance réaliste de prévenir une catastrophe », résume Linus Steinmetz, 15 ans*. Si les décideurs ne les écoutent pas les conséquences seront ­désastreuses : destruction de la biodiversité, raréfaction de l’eau et de la nourriture. Le mouvement « Fridays for future » cristallise l’engagement d’une Suédoise de 16 ans, Greta Thunberg, qui avait entamé une grève scolaire devant le Parlement de Stockholm en août 2018 ; la puissance des réseaux sociaux a transformé un combat solitaire en élan planétaire. Cette mobilisation contribue à la socialisation politique de la jeunesse, les débats dans les familles ne font que commencer. Les actions à venir risquent fort d’être spectaculaires, 90 % des jeunes acceptent les actions de désobéissance civile et entre 20 % et 30 % sont favorables à des dégradations de biens, notamment d’industries polluantes.Voici quelques réactions sur lemonde.fr :

Guillaume de Saluste du Bartas : C là que l’on se rend compte que l’on a pris un coup de vieux. Issus d’une génération qui a pu bénéficier de l’ascenseur socia , nous avons étudié, bataillé, bossé pour se faire une place au soleil. L’écologie était une notion nouvelle, étrange, excentrique. Elle devient maintenant une urgence. Nous les 50 ans et plus devrions remettre en question notre mode de vie …. L’avenir appartient aux jeunes : laissons-les prendre le pouvoir, mais que de résistances, de contre-attaques ….

Oh Boy : Ce sont les jeunes qui auraient mis en avant l’agenda climatique? On dirait que c’est Greta aux longues nattes qui a organisé la COP qui l’a invitée, créé le GIEC, fait la science, fondé les marches du carbone et développé des techonologies et stratégies de mitigation et d’adaptation: c’est nous les vieux.

Untel : J’espère ne pas être le seul à voir l’inconsistance du mouvement (comme avant lui Nuit Debout). Qu’est-ce ces grands mots comparés à la réalité de la mobilisation, qui s’essouffle à l’arrivée des examens et qui s’éteint pendant les grandes vacances. Mais vous rigolez ? L’absence de réelle motivation n’est pas compensée par le soutien indulgent des médias. Je pense que Lénine doit rigoler, là où il est, à la vision des révolutionnaires en culottes courtes (et cheveux tressés) du XXIe siècle.

le sceptique : Ces « générations » sont un concept un peu flou, surtout que chaque observateur voit ce qu’il a envie de voir parmi tout ce que fait une génération donnée. Qu’ont donné ou que donnent politiquement les générations 68, antiracistes, X, Y, Z…? Les jeunes pour le climat représentent combien de leur classe d’âge et en quoi est-ce très différent de l’engagement sur une thématique « progressiste » du moment, assez fréquent à l’adolescence ? Combien y a-t-il de jeunes qui sont dans le même temps aspirés vers les milieux identitaires-nationalistes, ou les milieux religieux tradi chez les 2e/3e génération de familles immigrées? Matériellement, quand viennent la vie active après papa-maman-bobo, puis le couple, puis l’enfant, cela donne quoi en bilan carbone, bilan matière première, bilan énergie ? Etc.

Michel SOURROUILLE : Aujourd’hui les jeunes savent que les glaces du pôle fondent et qu’une planète exsangue leur sera «  léguée » sans qu’ils puissent refuser l’héritage. Il est donc normal qu’ils fassent entendre leur voix au nom de l’avenir. De leur côté, les vieux, décideurs économiques et politiques, gilets jaunes, parents, restent accrochés aux vieilles lunes des Trente Glorieuses, la croissance à n’importe quel prix et le court-termisme de rigueur. Il semble donc que toutes les conditions soient réunies pour qu’un nouveau clash générationnel se fasse jour comme en 1968 ; cette grève scolaire de la génération climat n’en serait que le précurseur.

* LE MONDE du 24 mai 2019 ,« Plus tard, je veux être vivant » : la naissance d’une « génération climat »

2 réflexions sur “De la génération 1968 à la génération climat”

  1. Bruno Latour : « Ces jeunes qui manifestent reprochent aux générations précédentes leur incapacité à léguer un monde vivable. Pour les gens de mon âge, qui ont connu Mai 68, c’est surprenant. Les aînés, on voulait qu’ils nous laissent la place ! Maintenant, on a des enfants qui disent : « Nous ferons nos devoirs quand vous ferez le vôtre. » Ma génération voulait accélérer et faire table rase. Eux souhaitent ralentir le temps et font appel à la responsabilité. Le geste moderniste consiste à aller de l’avant en ignorant les conséquences de nos actions, ce geste se trouve aujourd’hui congédié par la nouvelle génération.
    La Suédoise Greta Thunberg, jeune militante écologiste et icône de cette « génération climat », est une figure apocalyptique, une jeune fille autiste, sans aucun charisme apparent, qui essaie de freiner la catastrophe. Elle me fascine. Sa maladresse même lui confère une puissance de conviction extraordinaire. Elle répand non l’espoir mais la peur. A ses aînés, elle ne dit pas « on va vous remplacer », mais « nous sommes vos enfants et nous nous demandons s’il faut encore en faire, des enfants ». Cette crise de l’engendrement est une crise de civilisation.
    (LE MONDE du 1er juin 2019, Bruno Latour : « L’apocalypse, c’est enthousiasmant »)

  2. Peut-on raisonnablement parler de révolte, peut-on raisonnablement espérer grand chose des jeunes ? Permettez-moi au moins d’en douter. Je suis plutôt d’accord avec ce que disent Oh Boy, Untel et Le sceptique. Michel SOURROUILLE dit que les jeunes savent. Oui il savent, et alors ? Les moins jeunes aussi, savent. Le problème c’est qu’il ne suffit pas de savoir, encore faut-il déjà le croire. D’autre part, on ne peut pas dire que TOUS « les vieux […] restent accrochés aux vieilles lunes des Trente Glorieuses, la croissance à n’importe quel prix [etc.]». Un grand nombre oui, certainement, mais il y a de tout chez les vieux. Comme chez les jeunes d’ailleurs, « le temps ne fait rien à l’affaire » chantait Brassens. Essayons de voir réellement combien de jeunes et de moins jeunes croient à cette «Transition», à ce «Développement Durable», à toutes ces fables « vertes » qui les maintiennent dans l’idée qu’on pourrait avoir le beurre (une jolie planète) et en même temps l’argent du beurre (le confort petit-bourgeois)… et plus (toujours plus) si affinité. Et à partir de là demandons-nous ce que nous pouvons raisonnablement attendre, espérer, de cette « prise de conscience », de cette « révolte » etc.
    Nous avons déjà abordé cet excellent article de Pierre Thiesset dans « La décroissance » d’avril dernier (« L’écologie infantilisée »). Je vous laisse réfléchir sur ce passage : « Dans l’après 68, Jacques Ellul se moquait déjà de la propension de notre société à glorifier la jeunesse, à lui faire peser sur les épaules un espoir de révolte. »

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