Marc Ambroise-Rendu (1929-2024) était le premier journaliste dédié à l’écologie dans le journal LE MONDE. Il a publié entre autres « Des cancres à l’Élysée : cinq présidents de la République face à la crise écologique » (Jacob-Duvernet, 2007). Voici un condensé de son livre… mais on constate en 2024 qu’il y a encore et toujours un cancre à l’Élysée.
Georges Pompidou, un cancre de l’écologie à l’Elysée
extraits : Georges Pompidou a été élu confortablement, le 15 juin 1969, au terme d’une campagne courte et sans passion. En septembre 1970, Pompidou apprend que le Royaume-Uni vient de créer un important ministère groupant le Logement, l’Urbanisme et l’Environnement. Pompidou va donc créer le 2 janvier 1971 le « ministre délégué auprès du Premier ministre chargé de la protection de la nature et de l’Environnement ». Robert Poujade sera le poil à gratter des autres administrations et ministères. En juin 1971, Pompidou résume en deux minutes son point de vue : « Sauver la nature, c’est sauver la nature habitée et cultivée. Une nature abandonnée par le paysan devient une nature artificielle et je dirais une nature funèbre. Il est plus rentable d’avoir des terres habitées et cultivées par des hommes que d’avoir de vastes réserves nationales protégées fatalement par une masse de fonctionnaires. » Pompidou exprime l’aversion du paysan envers tout ce qui échappe à ses outils : la friche, la zone humide, la forêt laissée à elle-même…..
Giscard d’Estaing, un cancre de l’écologie à l’Elysée
extraits : Le 27 mai 1974, Valéry Giscard d’Estaing prend ses fonctions de président de la République par l’avenue Marigny… à pied. Mais Giscard n’a guère d’idée sur l’environnement et encore moins sur l’écologie. Une seule page sur la « nouvelle croissance » dans son livre-programme, Démocratie française, et pas un mot sur l’environnement dans les 1370 pages de ses Mémoires. Dès le mois de juin 1975, un conseil des ministres programme, pour les quatre années suivantes, le lancement de 29 réacteurs supplémentaires. Pourtant Giscard n’a jamais vu une centrale nucléaire, il ira à Gravelines seulement en octobre 1979. Ces monstres de puissance sont pilotés par une poignée de techniciens auxquels on fait confiance. En juin 1975, le ministre de l’Environnement Jarrot convoque des experts. Question : quelle sont les conséquences des rejets des centrales sur la température et la chimie des eaux de rivière ? Réponse : on ne sait pas, mais ça ne doit pas être bien dangereux. Les risques d’accident ? La main sur le cœur, les spécialistes garantissent que toutes les précautions sont prises….
Mitterrand, un cancre de l’écologie à l’Elysée
extraits : Son affiche de campagne en 1974 présente Mitterrand sur un fond de cheminée d’usine et de ligne à haute tension. Durant cette campagne présidentielle, le terme environnement n’est utilisé qu’une seule fois. Si le terme remplit plusieurs pages de ses livres, cela reste du domaine littéraire. Les neuf pages de sa campagne de 1981 consacrées à l’environnement résultent en fait des succès électoraux des écologistes en 1977. La crise écologique reste une notion assez floue pour Mitterrand, sous-tendue par l’intime conviction que la science lui portera remède. « J’adore les chemins de fer, les avions et tous les transports rapides, jusqu’aux fusées qui nous entraîneront ailleurs quand la terre sera devenue trop exiguë », écrit-il en 1978 dans L’Abeille et l’Architecte….
Jacques Chirac, un cancre de l’écologie à l’Elysée
extraits : Jacques Chirac entre à l’Élysée le 17 mai 1995. Jusque là, Chirac n’avait jamais montré un réel intérêt pour la protection de la nature, l’environnement, l’écologie. Bien qu’il ait été ministre ou Premier ministre pendant 28 ans, de 1967 à 1995, on peine à dénicher une vraie pensée ou une action décisive en matière d’environnement. Des quatre Premiers ministres qu’il a lui-même désignés, aucun ne montre le moindre intérêt pour l’écologie. Il n’est donc pas surprenant qu’en 1995 il stoppe la procédure de désignation des sites Natura 2000, édulcore les propositions d’une commission du développement durable et refuse de muscler le ministère de l’environnement. La première titulaire, Corinne Lepage, au 22e rang du gouvernement Juppé, dresse dans son livre On ne peut rien faire, Madame le ministre la longue liste des mesures que les lobbies et l’administration ont enterrées….
Nicolas Sarkozy, un cancre de l’écologie à l’Elysée
extraits : En 2001, Nicolas Sarkozy n’accorde pas une seule ligne à l’écologie dans « Libre », son autobiographie de 400 pages. S’il évoque le naufrage de l’Erika, c’est parce que la marée noire a touché la côte où il roule l’été à bicyclette ! Même ignorance du sujet en 2006, avec « Témoignage », livre confession destiné à asseoir sa candidature présidentielle. Dix lignes sur 281 pages pour souhaiter que le ministre de l’écologie ait de « vrais leviers d’action ». La campagne présidentielle de 2007 va modifier la donne, sur la forme, pas sur le fond. Sarkozy, sous la pression de Nicolas Hulot, a signé le pacte écologique en 2007, comme les autres présidentiables. Mais au second tour des élections présidentielles, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy proposaient à leurs électeurs le même objectif : intensifier la croissance des productions, des consommations et des déplacements sans s’interroger sur leur contenu…..
Malheureusement l’histoire des cancres à l’Élysée ne s’arrête pas là, voici notre analyse des deux suivants :
François Hollande (2012-2017)
Nicole Bricq, ministre (socialiste) de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, n’a duré qu’un mois (16 mai 2012 au 18 juin 2012). Elle a été licenciée par le premier ministre (socialiste) Jean-Marc Ayrault pour avoir voulu suspendre des forages pétroliers au large de la Guyane. Sa remplaçante entre juin 2012 et juillet 2013, la socialiste Delphine Batho, a été licenciée par Jean-Marc Ayrault… parce qu’elle contestait la faiblesse du budget qui avait été attribué à l’écologie ! Un ministre de l’écologie, ça ferme sa gueule ou il est mis à la porte. François Hollande complice, il a laissé faire son premier ministre !
Delphine Batho a écrit un livre sur son expérience ministérielle, « Insoumise » : Depuis presque trente ans, depuis mon adolescence, j’attendais l’élection d’un président de gauche. Je n’imaginais pas une telle déconvenue. Voici le récit, étape par étape, de la façon dont l’influence des milieux financiers et industriels s’est installée au cœur du pouvoir… C’est un petit article publié dans le magazine Challenges le 20 juin 2013 : « Philippe Crouzet s’est lâché devant l’état-major de Vallourec USA. Sans jamais nommer Delphine Batho, il a dit et répété qu’elle était « a real disaster » dans sa façon de mener le débat sur la transition énergétique et de se positionner en antinucléaire. Et précisé que son influence au gouvernement allait décroître. Un propos à ne pas prendre à la légère : Philippe Crouzet est l’époux de Sylvie Hubac, directrice de cabinet de François Hollande. »…La démocratie participative fait peur aux entreprises. Dans leur esprit, il faut traduire « les entreprises ne sont pas assez associées » par « ce sont les entreprises qui doivent tenir la plume ». Pendant le Conseil des ministres, en mars 2013, François Hollande me passe un petit mot : « Evitons de parler du gasoil. » Quelques jours auparavant, la Cour des comptes avait pourtant enjoint au gouvernement de mettre fin à l’avantage fiscal du diesel. ..
« De longue date je suis convaincue qu’il ne peut pas y avoir de sortie de crise sans changement de modèle et que c’est autour des enjeux écologiques que cette mutation doit s’organiser. Là est le cœur de mon désaccord avec le président de la République : la crise n’est pas conjoncturelle, elle est structurelle. Elle s’explique notamment par la crise énergétique et la raréfaction des ressources à l’échelle mondiale. »
Emmanuel Macron (2017-…)
Sur ce blog, nous nous étions penchés en octobre 2016 sur les positions d’Emmanuel Macron en matière d’écologie quand il était encore ministre de François Hollande. Il était pronucléaire sans sourciller : « Le réchauffement climatique est d’une actualité pressante. Grâce à utilisation de l’énergie nucléaire, la France est parmi les pays les plus décarbonés des pays développés. » Macron faisait une confiance absolue à la croissance : « La France dispose de grande marges de progression dans le domaine l’efficacité énergétique, c’est l’objet de la loi sur la transition énergétique et la croissance verte ainsi que 4 des 9 solutions industrielles qui composent la Nouvelle France Industrielle. » Macron adoptait le mythe contemporain du progrès technique in(dé)fini : « Le moteur de la transition, c’est l’innovation industrielle autant que l’innovation des business model. Toutes ces innovations (ndlr : non précisées) impliquent des créations d’entreprises et des emplois. » Macron était aussi pour l(’impossible) perpétuation du mode de vie actuel : « Devons-nous réduire nos déplacements ? Non, au contraire ! Il faut imaginer des véhicules individuels plus sobres, comme les véhicules électriques. » ….
Après dix jour de retard, LE MONDE a fait une nécrologie le 4 juillet sur Marc Ambroise-Rendu, son journaliste préposé à l’écologie depuis 1974, mort le 24 juin 2024. Il est vrai que ce journal a toujours du retard en matière d’écologie :
« Lors de la première conférence de pesse du candidat écologiste à la présidentielle de 1974, Ambroise-Rendu se substitue au représentant du service politique qui n’avait pas prévu de se déplacer. L’humour et les propos de René Dumont (candidat à la présidentielle) tranchent et font finalement admettre au quotidien que le phénomène était important, donc impératif. Trois ans après la reconnaissance d’un ministère de la protection de la nature, confié au gaulliste Pierre Poujade, l’apparition de l’agronome qui porte les couleurs de l’écologie achève de convaincre Jacques Fauvet de l’importance de ce nouveau champ d’actualité. (à suivre)
(suite) C’est une vraie révolution pour L E MONDE qui restitue la voix jusque là inaudible de ceux qui protestent contre la pollution des eaux, le bruit, la défiguration des littoraux. La remise Ainsi l’entorse apparente qu’on peut lire dans sa remise de Légion d’honneur, « au titre de l’environnement », au siège du journal en 1990, dans le bureau même de Jacques Fauvet, se justifie-t-elle comme un acte militant en interne, destiné aux 40 % de la rédaction qui refusent la reconnaissance de sa rubrique, y voyant le signe d’une « décadence du journal », témoigne le récipiendaire, pointant la fronde menée par les économistes du titre. L’esprit fin et le regard lucide du journaliste l’ont mis dans la délicate posture de celui qui voit les périls s’annoncer, puis grossir, sans garantir que son apport soit réellement entendu. (à suivre)
(suite et fin) Dans un entretien paru dans Le Temps des médias en 2015, Marc Ambroise-Rendu analysait l’origine des réticences auxquelles il était confronté : « Le thème de la crise écologique déroute les journalistes. Ça touche à tout (politique, économie, affaires étrangères, culture, social, science), mais ça ne rentre dans aucune case, c’est un objet médiatique non identifié, on ne sait à quel service le confier. Ça reste dans le marais des “faits divers”. » Mais jamais il ne désarma, poursuivant son engagement, enfin marqué lorsqu’il cesse d’être journaliste, pour cette protection de l’environnement qui fut le combat de sa vie.
Je dirais que jusqu’aux années 80 … ON peut leur trouver des circonstances atténuantes. Voire à la rigueur leur pardonner. Ce n’est qu’à partir de 1990 que se fait vraiment entendre le courant écosocialiste. Comme quoi l’écologie politique ne peut être que de gauche.
Comme ON sait, Chirac n’était pas de gauche. Sarko encore moins. Comme ON sait aussi, mis à part ses virées nocturnes en scooter Hollande n’a rien fait. D’ailleurs depuis, Canteloup se sent obligé de mettre un casque chaque fois qu’il l’imite. ON peut toujours lui reprocher de ne pas avoir fait la Pub pour le scooter électrique. Macron pareil, pour le jet-ski électrique. Lui qui pourtant résume l’écologie à ce genre de conneries.
Au PS, le « pôle écologique » se crée début 2008, élabore une contribution générale qui se transforme en motion soumise au vote lors du Congrès de Reims en novembre. Résultat national, 1.58 % des voix ! La motion B, « pour un parti socialiste résolument écologique » n’aura aucune représentativité officielle, un désastre. L’écologie n’a jamais existé vraiment pour la gauche socialiste, elle a été sous-traitée aux Verts et les deux premiers ministres à l’écologie, pourtant socialistes, ont été rapidement viré sous Hollande. La gauche a toujours été productiviste, comme la droite, sauf que les « fruits de la croissance » devraient aller au prolétariat, pas au profit. La planète, on s’en fout !
Même en 2024 il n’est pas toujours pas question de fonder un parti social-écologiste, on préfère se vautrer dans l’insoumission…
– » La gauche a toujours été productiviste, comme la droite, sauf que […] »
Sauf que la gauche évolue. Laissons donc lui le temps. Et regardons cette évolution, déjà des années 70 à ces années 90, puis jusqu’à aujourd’hui.
Dans l’histoire des idées 30 ans c’est peu de choses. Je me souviens qu’il y a encore peu de temps, par exemple au NPA (ex. LCR)… ou dans des syndicats bien à gauche… ON ne se souciait guère d’écologie. Aujourd’hui, force est de constater que ce sont les partis de gauche (réunis dans ce NFP) qui prennent le mieux en compte l’écologie dans leur(s) programme(s).
– « L’écosocialisme conserve les objectifs émancipateurs du socialisme première version et rejette les buts atténués, réformistes, de la social-démocratie et les structures productivistes du socialisme bureaucratique. »
(En bref: qu’est-ce que l’écosocialisme ? cahiersdusocialisme.org/ 17 août 2010)
LFI aussi évolue… et l’écosocialisme progresse. Patience donc.
– « Le principe fondateur de l’écosocialisme, selon lequel il n’y a pas d’écologie possible dans les cadres de l’économie capitaliste de marché, et pas de socialisme possible sans rupture avec le productivisme, est pourtant de plus en plus admis. […]
Clémentine Autain, membre de la Gauche écosocialiste (GES, une organisation fondée à la mi-mai, intégrée à LFI) s’en revendique, tout comme le président du Parti socialiste belge, Paul Magnette, auteur d’un « manifeste écosocialiste » qui inspire son homologue français, Olivier Faure. […] Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), bientôt amené à se transformer, l’a adopté depuis des années. […] C’est un long travail de construction théorique qui, sous la pression des événements climatiques, s’accélère. »
( À gauche, l’écosocialisme s’impose comme trait d’union – Mediapart 18 juin 2023 )