« Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France » écrivait en 1638 Maximilien De Sully. Aujourd’hui l’élevage industriel du bétail nous pousse à l’augmentation exagérée de notre consommation de viande. Quant à l’agriculture intensive, elle se fait au détriment de la microbiologie des sols… Voici une mise au point sur la terre nourricière, un patrimoine dont nous ne laisserons que des miettes aux générations futures.
Lire, la Terre en partage, réalité que nous devrions adopter
Emmanuel Bourguignon : Depuis l’invention de l’agriculture sédentarisée il y a 10 000 ans environ, l’humanité a créé deux milliards d’hectares de désert, dont un au cours du XXe siècle. La mort d’un sol se déroule en trois étapes. En premier lieu arrive la mort biologique, elle est la plus commune. Elle commence avec les apports d’engrais qui favorisent la minéralisation de la matière organique. Privé de nourriture, la biomasse de la faune du sol s’effondre. Elle s’accélère depuis la fin de la seconde guerre mondiale par l’utilisation massive des pesticides qui détruisent les vers de terre et la microfaune (collemboles, cloportes, etc.), les champignons et les microbes. Le LAMS (laboratoire d’analyse microbiologique des sols) a noté plus d’activité biologique dans des zones très désertifiées en Tunisie que dans certains sols français ou espagnols ! Le sol devient progressivement incapable de retenir les éléments tels que la potasse, l’azote, le manganèse, le phosphore, qui sont solubilisés dans l’eau. A ce stade, le sol peut s’acidifier de manière irréversible et va ensuite rentrer dans sa phase ultime de dégradation, la mort physique. L’agronomie actuelle a fait une erreur fondamentale dans son approche du sol ; elle l’a considéré comme un simple support inerte sur lequel il suffisait de mettre des engrais et des pesticides. On a réduit l’agriculture à de la gestion de pathologies végétales sur sol mort, on a oublié que le sol était un milieu dynamique et vivant. On se rend compte maintenant que les rendements chutent dans tous les pays.
Marc-André Selosse : Un sol, pour faire simple, c’est de la matière organique en devenir, sous l’effet du vivant qui recycle ainsi des sels minéraux. Ce sont également des fragments minéraux colonisés par des microbes qui les dissolvent, notamment par des processus d’acidification locale. La fertilité ainsi libérée sert à nourrir les plantes. Les sols hébergent plus du quart de l’ensemble des espèces connues – encore ne connaissons-nous qu’à peine 1 % des microbes. Entre 50 % et 75 % de la masse vivante des écosystèmes se trouvent sous terre. Dans nos régions, un gramme de sol forestier contient des millions de bactéries, appartenant à plusieurs milliers d’espèces, des milliers d’espèces de champignons, un millier d’amibes et des milliards de virus, d’un nombre inconnu d’espèces. La biodiversité, on en parle autant qu’on la foule aux pieds… Les sols agricoles de nos régions sont très pauvres en matière organique parce qu’on les laboure. Cet appauvrissement les déstructure et les rend plus vulnérables à l’érosion et à la sécheresse, car ils retiennent moins bien l’eau, et cette sécheresse est elle-même très défavorable à la vie microbienne. Dans la Corn Belt du Middle West américain, par exemple, le maïs pousse – mal – sur un sol qui ne contient plus que quelques pour cent de matière organique. La construction de l’université Paris-Saclay, sur le plateau de Saclay, a allègrement détruit un des sols les plus productifs d’Ile-de-France, et nul n’a bronché. Suite au Dust Bowl, le président Franklin D. Roosevelt a eu cette réaction en 1937 : « Une nation qui détruit ses sols se détruit elle-même. » Nos sols labourés sont en train de fondre, mais en général trop lentement pour qu’on s’en rende compte Le processus de formation des sols prend un millénaire, au moins. C’est un patrimoine dont nous avons seulement le droit d’encaisser les intérêts, et notre devoir devrait être de le transmettre en bon état.
Claude Bourguignon : J’ai fini mes études de zoologie et de biochimie pour rentrer à l’Agro. Et là, j’ai été horrifié. Il y a même eu des ingénieurs ingénieux qui ont créé des variétés de poulets sans plumes… Il se trouve qu’il y avait encore une formation en microbiologie des sols. Quand je suis arrivé en troisième année, j’étais le seul. Depuis la chaire de microbiologie a été supprimé en 1986. Il y a donc, depuis plus de vingt ans, 150 ingénieurs agronomes qui sortent chaque année en France, et qui ne savent pas ce que c’est que la biologie du sol, ni comment fonctionnent les microbes. Rien. Ils ne savent même pas que le sol est vivant, ils sont prêts à déverser des pesticides et des engrais. Ils ne savent pas que, chaque fois que vous mettez un grain de potasse sur un verre de terre, il est mort. Toutes les chaires de microbiologie ont été supprimées dans le monde. Pourtant les forêts, elles poussent sans engrais chimiques, sans l’aide de personne, et elles poussent depuis des millions d’années. Mais l’agronomie a fait croire aux gens que sans engrais on allait tous mourir de faim. C’est une propagande.
Lire aussi, Tout savoir sur une agriculture durable
Lire cet article : Halte au labourage !
Par Hervé Ponchelet, 18 novembre 2004, sur agriculture-de-conservation.com
Les gens des villes n’ont probablement pas remarqué que les charrues se faisaient de plus en plus rares dans nos campagnes. Encore faudrait-il qu’ils sachent faire la différence entre une charrue et un semoir à disques. Qu’ils sachent alors que si le semis direct sans labour a permis de faire une entorse au dogme de Sully (labourage et pâturage, mamelles etc.) c’est avant tout pour une question de pognon, d’économies. De gasoil d’abord, mais aussi de pesticides, fongicides et autres herbicides. Sans oublier le temps. Précieux le temps !
Alors POUR ou CONTRE ? (le semis sans labour)
Les rendements et la productivité sont les deux composantes des grands bouleversements de l’agriculture. La productivité reste la plus fondamentale (on peut avoir une baisse de rendement et une hausse de productivité). La productivité est le rapport entre la quantité produite et la quantité de travail pour l’obtenir. L’heure de travail étant la Référence, la productivité est un rapport au Temps.
Au niveau mondial, le gain de productivité agricole enregistré de 1950 à 1990 est supérieur à celui enregistré du néolithique à 1950. D’une manière générale, durant la première moitié du 20ème siècle les gains de productivité (tous secteurs) étaient de 1,5% par an. De 1945 au début des années 1970 ils sont passés à 5 à 6% par an (on double en 12 ans). Et du milieu des années 70 à 2010 ils sont passés à…1%. Comme quoi il y a des limites à tout.
Ce qui n’empêche évidemment pas de continuer à presser le Citron.
La notion de productivité a son histoire (Le pourquoi du comment. France Culture 03 décembre 2021). Comme par hasard… les gains de productivité les plus forts coïncident historiquement avec les périodes de très forte croissance économique.
Si aujourd’hui nos sols sont épuisés, si les rendements sont en baisse, si les campagnes se meurent, de paysans comme de faune et de flore, il ne faut pas chercher les causes ailleurs que dans cette course au Toujours Plus. En agriculture, toujours plus de quintaux à l’hectare, de blé, de pognon. Cette course folle est dictée par des idées (idéologie) tout aussi folles : Plus = mieux. Le temps c’est de l’argent. On le perd ou on le gagne. Pareil de la vie. Tout (et n’importe quoi) se mesure, se réduit à des chiffres, à des dollars ou des euros.
Mais ne prendre que le critère de la productivité pour justifier d’une performance est une très très grosse erreur. Il faut parler efficience, résilience et surtout durabilité. Sans oublier le contexte!
Le contexte:
Prenons l’exemple d’une production sur un hectare, en pente orientée nord, sans engin thermique, sans irrigation, sans engrais et autres cochonneries de traitements, sans aide de la PAC, avec un travail à tiers temps, où le sol est aggradé, la biodiversité favorisée…
De l’autre côté, un hectare dans la Beauce, avec tout le contraire(…)
Quelle installation a la meilleure productivité? La meilleure efficience? La meilleure résilience? La meilleure durabilité? Qui est déficitaire et en faillite? Comme en politique, l’agriculture a choisi le court terme, la dépendance et la fragilité. Choisis ton camps, camarade!
– « […] une très très grosse erreur »
Bien évidemment. Notamment si on raisonne sur du long terme. Comme dit précédemment, la notion de productivité a son histoire. Et dans l’histoire (ici celle de la pensée économique) le contexte joue toujours son rôle. En attendant c’est comme ça. On ne peut même pas dire qu’on a choisi (le court terme), on a juste cru tout simplement (tout connement) qu’on pourrait augmenter indéfiniment les rendements et la productivité. Et la résilience, la durabilité et tout ce que vous voudrez et en même temps. Et ce dans tous les domaines. Et maintenant nous déchantons. Puissions-nous redécouvrir le sens de la juste mesure, et des limites.
Quant à votre exemple (contexte…) ou vous comparez deux hectares, vos questions n’ont de sens que si vous précisez ce que vous voulez y cultiver. Par exemple, la vigne en pente nord c’est pas terrible, du moins sous nos latitudes. Et que ce soit en conventionnel ou en bio ne doit pas y changer grand chose. Maintenant je ne suis pas expert en la matière, comme pour tout le mieux reste de se référer à ceux qui savent. Tout ce que nous pouvons faire, en attendant, c’est trier entre les sachants et les charlatans. Et dieu sait combien ces derniers sont plus nombreux que les autres. Et dans tous les domaines.
Compte tenu de la relative fragilité « organique » des sols et des redoutables conditions météorologiques, il faut être largement tombé sur la tête pour affirmer que la terre peut nourrir sans coup férir et quotidiennement 12 milliards de bipèdes (isnt’ it , Ziegler ,la gauchiasse à haute densité en humanisme de pacotille)
12 milliards ! Et pourquoi pas 20 ou 50 milliards ? (le stratagème est bien connu).
Pour l’agronome Marc Dufumier (pas de jeu de mots déplacés SVP) «L’agroécologie peut parfaitement nourrir 10 milliards d’humains» (Le Monde 17 juin 2019).
Et bien sûr il n’est pas le seul à le dire (l’âge, le sexe, l’orientation politique etc. ne font rien à l’affaire). Là encore, on sait de quoi on parle ou on la ferme !
Maintenant, «peut» ça veut dire ce que ça veut dire. Si je vous dis que vous POUVEZ vivre en vous nourrissant comme la plupart des asiatiques, vous ne serez probablement pas d’accord. Et pourtant, oui vous pouvez, oui c’est possible, non vous ne crèverez pas de faim ! En attendant, des gens comme Marc Dufumier, Lydia et Claude Bourguignon et Jean Passe, disent qu’il est urgent de sauver nos sols.
Dufumier (un nom prédestiné) et ce bon Ziegler sont probablement des agents au service zélé de l’ oligarchie financière qui voudrait faire de nous des consommateurs zombifiés se contentant d’ un bol de riz journalier et d’ un peu d’eau , histoire de faire de la place à une masse sans cesse grouillante .
Le « peut » deviendra pour ces malades mentaux un « doit » .
Je ne suis d’ accord qu’ avec votre dernière phrase et il est temps de ‘ sy mettre .
Mais arrêtez donc d’en rajouter au grand n’importe quoi ! Les agronomes font leur métier, tout simplement. Comme les démographes, les astronomes, les fabricants d’engrais, de pesticides, de vaccins etc. etc. font le leur.
Sans oublier les experts comptables. Les meilleurs, ça va de soi ! 🙂 🙂 🙂
Pas d’ agriculture « durable » sans chiffre de population » soutenable » (beaucoup moins que 67 millions d’ individus)
En se passant des engrais chimiques et des biocides et en ne sollicitant pas exagérément les sols , la production agricole devient plus faible que celle dopée à la chimie .
Tout ceci en mode autarcique !
– « (beaucoup moins que 67 millions d’ individus) »
Je suppose que vous parlez pour la France. Qu’est-ce qui vous autorise à affirmer ça ? (quelles sont vos sources ?) D’autre part si «la production agricole devient plus faible que celle dopée à la chimie» c’est notamment parce que la chimie (engrais etc.) a épuisé les sols. Ce n’est pas nouveau, il y a plus de 20 ans on observait une stagnation, et maintenant cette baisse des rendements agricoles, ici ou là partout dans le monde. La Chimie plus le Climat… on parle alors de «grande panne».
En attendant, que les sols se refassent la cerise, comparés à ceux de la dite «conventionnelle», les rendements en agriculture biologique ne sont pas aussi inférieurs qu’on se plait à nous le raconter (je vous laisse vérifier).