La politique repose sur des « éléments de langage » que les membres de la classe dirigeante s’efforcent de propager dans la presse et d’inculquer à l’opinion publique. Car un consensus entre 49 millions d’électeurs ne peut aboutir que s’il y a à la base un langage commun, « des idées qui sont communes à tous ». Mais pour ces législatives, c’est la stratégie de la petite phrase qui l’emporte – et particulièrement deux personnalités qui accaparent l’attention des journalistes actuellement, et donc l’espace médiatique offert aux citoyens, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon.
Cécile Alduy (sémiologue, analyste du discours) :
Des « Gaulois réfractaires » au « pognon de dingue » ou aux Français qu’il « assume » « d’emmerder », Emmanuel Macron nous a habitués à des reparties intentionnellement choquantes. Plus récemment, cette propension s’est faite plus cynique avec une reprise calculée du vocabulaire lepéniste idéologiquement marqué : « droits-de-l’hommisme », dans un entretien à l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, « décivilisation » pour parler des émeutes provoquées par la mort du jeune Nahel, en juillet 2023, et, le 18 juin, « immigrationniste » pour parler du programme de la gauche unie. Et de parler de « guerre civile » dans la foulée, reprenant le leitmotiv zemmouriste d’un clash des civilisations. Il s’est disqualifié, et situé hors de l’« arc républicain » qu’il prétend construire. Dont acte. Ce qui compte, ce sont les effets de ses prises de paroles sur le débat public. Or, l’effet macroniste est limpide : confusion des clivages politiques et destruction des digues morales dans le débat public.
Quant à Jean-Luc Mélenchon, dont le nom est immédiatement évoqué par les journalistes à chaque interview d’un candidat ou soutien du Nouveau Front populaire, il n’est rien. Ni député, ni chef de parti, ni candidat. A quel titre l’invite-t-on en prime time et ramène-t-on sans cesse l’union de la gauche à son nom, si ce n’est pour ajouter à la confusion ambiante et oblitérer les vrais enjeux ? Dans un moment aussi grave, toutes nos énergies doivent se concentrer sur le décryptage des vrais enjeux. A force de prêter une attention médiatique démesurée à ceux qui parlent de travers ou le plus fort, la petite musique sibylline du RN passe sous les radars et s’enracine.
Le point de vue des écologistes
Sur ce blog biosphere, nous essayons de promouvoir le point de vue des écologistes comme éléments de langage commun aux protecteurs de la Terre-mère. Nous proposons par exemple de nous retrouver collectivement autour d’un certain nombre de thèmes : Acteurs absents (démocratie), Conférences de consensus (décisionnel), écologie profonde (éthique), écocentrisme (et biocentrisme), Non-violence (relationnel), Fécondité raisonnée (démographie), Décroissance maîtrisée (économie), Sobriété partagée (consommation), Techniques douces (production).
Vous avez constaté que pour ces législatives, aucun des éléments de langage ci-dessus n’a été employé : on préfère l’anecdote et le choc des mots sans conscience. Pourquoi ? Le Grand groupe (49 millions d’électeurs) élimine toute expression d’une intelligence collective !
En savoir plus grâce à notre blog biosphere
Nécessité pour la foule, partager un langage commun
extraits : On ne peut être d’accord que sur ce que l’on partage clairement, sur les idées qui sont communes à tous. Schématiquement, l’entente se fait sur l’intersection des idées des protagonistes. Plus le nombre de personnes ayant à se mettre d’accord sur une décision à prendre est important, plus les points communs à leur réflexion sont réduits. C’est pourquoi on retrouve la structure pyramidale habituelle de la société… avec un « chef » architecte qui décide en définitive tout seul. Souvenons-nous : L’homme est un animal de petit groupe, de clan, de tribu. Alors oui : lorsqu’il s’agit de réfléchir en petit groupe, au niveau de son clan, les hommes qui le composent sont capables d’aboutir à une réflexion commune, un consensus. Mais au niveau agrégé, les compétences dans la réflexion s’annulent. En d’autres termes : 8 milliard de personnes, cela fait une capacité d’action qui tend vers l’infini. 8 milliard de personnes, cela fait une capacité de réflexion qui tend vers zéro.…
les éléments de langage sur la transition énergétique
extraits : Une véritable transition repose sur la décroissance des besoins, l’usage de techniques douces moins productives mais plus adaptées à l’homme et à la planète, la coopération internationale et non la compétition, le refus du profit à court terme et de la rentabilité financière. L’inverse des éléments de langage véhiculés par la classe dirigeante et ses sbires. La situation est bloquée. Sobriété énergétique, nucléaire, gaz de schiste : sur tous ces aspects décisifs du débat, une alliance de fait existe entre le Medef et trois syndicats de travailleurs : la CGT, FO et la CFE-CGC… Ils ont tous un intérêt commun : la préservation du statu quo dans les filières de l’énergie. Un document présentant la synthèse des « priorités » du débat national sur la transition énergétique vient d’être retiré du site du ministère de l’écologie, car jugé « inacceptable » par le patronat….
L’attitude de Macron, mais pas seulement de lui, montre que nous ne sommes pas une démocratie éclairée. Les programmes des différents prétendants à être député ne sont que des copié-collé de la vulgate imposée par leur parti d’appartenance, ce qui montre le peu d’autonomie de ceux qui disent vouloir nous représenter. La série récente du Monde sur les habitants de villes moyennes de province tentés pas le vote RN est éclairante. Dans leur majorité, ils disent dans le même souffle :
– ils en ont marre et vont voter Rassemblement national
– En cas de victoire de RN ils n’en attendent rien, ils pensent que rien ne va changer !
Le décalage est énorme entre les éléments de langage instillé dans le débat public et des décisions à prendre qui devraient tourner autour du mot « sobriété », et ce dans tous les domaines. Pauvre France, pauvre état de la démocratie !
Qu’un président ait pu dire à une partie des français qu’il est censé représenter, qu’il avait pour projet de les « emmerder » est la chose non seulement la plus impolie (inconcevable à ce niveau) mais aussi la plus ignoble et impardonnable que l’on puisse imaginer.
Le président est au service de son pays, il n’est pas le chef de ses sujets. La peur seule a fait accepter aux gens cette ignominie, il n’y a pas de quoi être fier, ni pour celui qui a dit ça, ni pour ceux qui l’ont accepté.
Précisons, les « emmerder… jusqu’au bout » !
Sur ce point je suis d’accord avec vous, Monsieur Barthès.