Claude Lorius, la nique aux climato-sceptiques

Né en 1932, Claude Lorius avait reçu 12 novembre 2008 le prix Blue Planet, l’une des plus prestigieuses récompenses internationales dans le domaine de l’environnement. Chercheur, glaciologue, il avait montré au milieu des années 1960 l’influence des gaz à effet de serre sur le réchauffement climatique. Il est mort le 21 mars 2023. Merci à son action.

Laurent Carpentier en 2023, nécrologie : Un jour de 1965, près de la base Dumont d’Urville en Terre Adélie, au soir d’une journée de carottages ratée, il boit un verre de whisky. Quiconque a déjà mis un tel glaçon dans son verre sait que l’air, qui y est très comprimé, dégage un pétillement. En regardant ces bulles, Claude Lorius se dit : mais si on pouvait extraire et analyser l’air contenu dans la glace, on aurait là les archives de l’atmosphère. Il va falloir toute la force de conviction de Claude Lorius pour pousser les Américains (qui ont les avions) à aller chercher à la station Vostok les carottes des Soviétiques (qui ont les forages les plus profonds) pour les rapporter en France, où les équipes du laboratoire de Grenoble ont mis au point une technique pour analyser l’air piégé dans la glace. Et là, les yeux ébahis et incrédules des chercheurs voient se dessiner deux courbes : celle de la température à la surface de la Terre sur des milliers d’années et celle de la teneur en gaz carbonique. Or les deux courbes sont strictement parallèles. Eureka ! L’idée est à l’origine de tout ce qu’on sait aujourd’hui en climatologie. Si la civilisation industrielle produit de plus en plus de gaz à effet de serre, le climat, comme l’histoire de la Terre écrite dans les glaces nous le raconte, va continuer à se réchauffer.

Claude Lorius en 2008 : Vingt ans après mes travaux publiés en 1987 dans la revue Nature, je suis très pessimiste… Sur les CFC (chlorofluorocarbures), on voit bien que l’arrêt de leur utilisation a permis de réduire le trou dans la couche d’ozone, mais en ce qui concerne la crise climatique, on sait que même si on stabilisait aujourd’hui les émissions de CO2, ce gaz à effet de serre ne disparaîtrait pas pour autant. Il est là pour un moment… On prévoit d’ici la fin du siècle un bond climatique qui pourrait être équivalent à celui que la planète a franchi en dix mille ans pour passer de l’âge glaciaire à l’holocène ! Si le permafrost – ce couvercle de glace qui recouvre les sols arctiques – fond, il va libérer du méthane qui, en retour, va accentuer l’effet de serre et aider ainsi à la fonte des glaces. Et plus la surface de celles-ci diminue, plus leur pouvoir réfléchissant disparaît, amplifiant encore le réchauffement.Tout est interdépendant… C’est sûr, nous aurons des cataclysmes, des guerres, des inondations, des sécheresses, des famines. La question de l’énergie est essentielle. Au XXe siècle, alors que la population était multipliée par quatre, la consommation d’énergie dont dépendent les émissions de gaz carbonique était multipliée par 40 ! c’est là que réside mon pessimisme : je ne vois pas comment on va s’en sortir. La moindre velléité de mettre une taxe sur les 4×4 rend les politiques fébriles de devenir impopulaires… et ce n’est pas en habillant Total en vert qu’on va changer quoi que ce soit. Le développement durable est une notion à laquelle je ne crois plus. On ne peut pas maîtriser le développement. Et pour être durable, il faudrait arriver à l’état d’équilibre, or cet équilibre n’existe pas.

Avant, j’étais alarmé, mais j’étais optimiste, positiviste. Je pensais que les économistes, les politiques, les citoyens pouvaient changer les choses. J’étais confiant dans notre capacité à trouver une solution. Aujourd’hui, je ne le suis plus…

Le point de vue des écologistes climatologues

En 1896, Svante Arrhénius avait déjà sonné l’alerte sur le danger des émissions de CO2 sur le climat dans un article dans « Philosophical Magazine and Journal of Science ». La première représentation précise de l’effet de serre a été faite dans l’article de Manabe et Strickler en 1964. Lorius et Jouzel ont montré la corrélation du CO2 avec les températures au cours des cycles glaciaires. Dans ces cycles, le CO2 sort de l’océan quand cela se réchauffe et cela amplifie le réchauffement. A l’heure actuelle, le CO2 augmente à la fois dans l’atmosphère et l’océan car on en ajoute dans le système couplé en brûlant sur un simple clin d’œil géologique, le stock de fluides fossiles et charbon accumulés sur plusieurs centaines de millions d’année. Pour établir la chronologie des événements, le rapport isotopique est relié à la température à laquelle la glace a été déposée. La datation se fait essentiellement en comptant les cycles de dépôt et en utilisant les repères d’éruptions volcaniques connues ou des pics de bérylium.

Le tout dernier rapport de synthèse du GIEC de 2023 dit: « La température de surface globale était 1.09 degrés plus haute sur la période 2011-2020 que sur celle 1850-1900, avec un intervalle de très haute confiance de [0,95-1,20] degrés  » (point A.1.1) et « la contribution probable imputable à l’activité humaine est de 0.8 à 1.3 degrés avec 1.07 degré comme meilleure estimation » (point A.1.2). Ça fait une grosse part de la responsabilité pour les humains.

L’anthropocentrisme est un sentiment extrêmement ancré dans notre esprit. Tant que nous considérerons la planète comme la propriété exclusive de la race humaine, nous continuerons, en saccageant la nature et en exterminant les autres espèces, de scier la branche de plus en plus fragile sur laquelle nous sommes assis : la biosphère. C’est seulement dans les années 1970 que renaît l’idée fondamentale que tout est interrelié, que le vivant est une partie intégrante du système Terre et que l’homme est une espèce sacrément invasive qui risque de déséquilibrer le tout. Le XIXe fut une erreur, le XXe une catastrophe, et le XXIe ? On verra… Si un jour, dans des milliers d’années, nous revenons dans l’ère glaciaire, nous serons contents d’avoir gardé une parka, un vieux tournevis, et la faculté de sourire.

À lire son livre, 2010 Voyage dans l’anthropocène de Claude Lorius et Laurent Carpentie

Nos articles antérieurs sur ce blog biosphere

Al Gore et Claude Lorius contre les climatosceptiques (septembre 2011)

l’anthropocène confirme l’irresponsabilité humaine (novembre 2013)

Arctique et Antarctique, eldorado ou sanctuaire ? (septembre 2013)

L’historique du fiasco climatique (décembre 2019)

1 réflexion sur “Claude Lorius, la nique aux climato-sceptiques”

  1. Merci à Claude Lorius, pour son travail et son action.
    Claude Lorius qui ne fait pas la nique qu’aux climato-sceptiques :
    – « Au XXe siècle, alors que la population était multipliée par quatre, la consommation d’énergie dont dépendent les émissions de gaz carbonique était multipliée par 40 ! »
    Je doute que le facteur 4 soit la Cause de ce facteur 40. Ou 10 si vous préférez.

    – « C’est seulement dans les années 1970 que renaît l’idée fondamentale que tout est interrelié, que le vivant est une partie intégrante du système Terre et que l’homme est une espèce sacrément invasive {etc.] » (Le point de vue des écologistes climatologues)
    Et des écologistes malthusiens et en même temps. Les malthusiens qui, insatiablement, se plaisent à nous décrire l’homme comme une espèce sacrément invasive. Alors que moi je dirais plutôt une espèce sacrément boulimique. Ou insatiable, si vous préférez.

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